Chinaski - Amour, Année zéro !
Spécialisée dans le cauchemar climatisé, la petite entreprise Chinaski a fêté en 2008 avec l’album « Noces de zinc » ses dix ans de mariage. Un mariage pour le meilleur et pour le pire dans l’ombre et la lumière du sud. Jean-Louis Rougier né à Nice en 1964 de parents qui tenaient une épicerie à Saint-Roch, sa licence de droit en poche vit de petits boulots tout en faisant la tournée des groupes locaux. En 1997 lorsqu’il décide de prendre le micro et de se balancer au bout d’une six cordes, il convoque l’ami américain. Ainsi naquit Chinaski, son alter ego emprunté à l’œuvre du sulfureux Charles Bukoswki. L’écrivain éthyliquement incorrect qui signa les « Contes de la folie ordinaire » (adapté à l’écran par Ferreri) et autres tranches de vie partant à vau-l’eau dans les bétoires de l’American dream. Mais oui, souvenez-vous c’est lui, l’énergumène qui passablement éméché dû quitter manu militari le plateau d’Apostrophe pour avoir entrepris sa voisine de façon un peu trop cavalière.
Du botox pour les âmes grises
Jean-Louis, lui, n’a jamais quitté de plateau et pourtant en 4 albums, il s’en est passé de drôles d’histoires sous son crâne rasé. Après avoir fait sa « toilette intime » en 2003 Chinaski lance à 45 ans sa crème de soin. Du botox pour les âmes grises ? « Faudrait voir à regarder nos rides comme des éphémérides/ Sans qu’elles soient trop arides pour nos deux si douces peaux ». Dès l’entame de « Noces de Zinc » l’artiste creuse l’écart avec la légende. Exit le petit blanc et le gros rouge qui tache ?
« On a forcé le trait, il faut dire qu’avec ce pseudo j’avais tendu la perche. Depuis que je vis en couple avec des enfants, je n’écris plus dans les bars. L’alcool ça décoince, mais ce n’est pas avec ça que l’on peut faire carrière ! ». Et pour exprimer toutes les nuances du gris, mieux vaut ne pas l’être ! Ainsi l’auteur compositeur est-il plus souvent à la bibliothèque qu’à la cave, où il pioche parfois l’inspiration du côté de Stevenson ou de Philippe K Dick. Résultat : Chinaski 12 ans d’âge, vendange large, sépare le grain de l’ivraie pour nous convier à un voyage au bout de l’envers, l’envers du paradis. Désillusions, amours perdus, dérives existentielles… Sa peinture au couteau n’a jamais été aussi éloquente révélant au fil des plages une galerie de portraits au vitriol, d’époux dézingués (Venise, Ce soir) en idylles tarifées (Supermarché). En suivant les traces de ces « beautiful losers » qui cherchent en vain l’éclaircie (Le chemin des allongés) Chinaski traque ces lézardes du quotidien qui laissent parfois filtrer le soleil entre les planches. Ainsi entre spleen et romantisme, femmes fatales et filles de joie ce dernier brûlot livre son « bestiaire d’humanité » sur des rengaines électro rock ‘trianguleuses’. Une sorte de petit bal perdu où Nino Rota dirigerait les Stranglers sur fond de chanson française, celle de la génération qui mit le feu à la maison Carpentier : Bashung, Miossec, Arno, Daniel Darc. Mais entre la madeleine de Proust et celle de Brel (qui ne viendra pas ce soir) la reconnaissance tarde ! « Il me semble parfois que j’ai manqué une correspondance » avoue-t-il. Mais où et quand ? Car nos niçois n’ont pas chômé affichant au compteur plus de 300 concerts du Printemps de Bourges aux Francofolies avec de beaux levers de rideau : Bashung, Arthur H, Mickey 3D, Higelin et même un certain Houellebecq à Monaco. Gageons qu’avec ses « Noces de zinc » le compositeur décrochera enfin la jarretière de la mariée !
Attention, l’oiseau va sortir !
Pour Jean-Louis et ses complices (Morgan Manzi -Batterie/Clavier, Antoine
Todaro -Guitares, Sébastien Vonner - Basse/Guitares/Clavier) l’aventure se poursuit, sur les planches du Palais Nikaia au Théâtre Lino Ventura via la MJC Picaud, le Volume, le Stacato, le Sezamo… Des scènes « au sud de nulle part » qui n’ont pas la même saveur que celles investies extra-muros, explique Jean Louis au retour de plusieurs dates à Panam : « Ici, à domicile on joue en famille, alors forcément je n’ai ni la même écoute ni le même retour qu’en pays inconnu, parfois c’est un peu frustrant ». En revanche l’auteur profite de cette proximité pour tester ses dernières créations, comme ce concept solo (avec un Lp en ligne de mire) qu’il rode sous le nom de Jean-Louis Chinaski, tout en poursuivant sa carrière au sein de la maison mère. « C’est un format minimaliste qui m’offre plus de liberté créative, de fantaisie et d’intimité avec le public ». Sur scène il évolue avec sa guitare parfois avec le renfort de samples ou d’un piano, lâchant la bride à un univers composite de la plume au saphir (Littérature gonzo, beat génération, romantisme noir, chanson réaliste, cold wave etc). Le cocktail doux-amer fait de truculence et de dérision, de tendresse et de cruauté nous rappelle parfois celui d’un autre latin visionnaire, s’il en est « Cela doit venir de mes racines italo-niçoises mais l’imaginaire de Fellini m’a toujours fasciné ». Il faut dire que les romances néo-réalistes de Chinaski sont consanguines aux « désabusions » des héros de Huit et demi. Des Vitelonni à Casanova on y retrouve la même charge nostalgique, la même gamme pantone d’émotions virant à la décoloration comme « Un petit caméléon ». Cet animal au redouté ramage, que Chinaski exorcise sous les projecteurs, serait-il de la même lignée que l’oiseau bleu de Bukoswki « Un oiseau bleu veut sortir de mon cœur, mais je suis trop coriace pour lui. Je lui dis : reste dedans que personne ne te voie ». Réponse le 20 Juin à la Salle 700 du Nikaïa (Nice) où le volatile un rien alien risque fort de ressortir de sa cage !