Succulente Aurore Valade
Vous présentez à la Galerie Sintitulo un travail à première vue radicalement différent de Intérieurs avec Figures que nous avions découvert à la Galerie Soardi à Nice en 2008 : on passe de l’humain au végétal, de la colorisation saturée au bi-ton sobre, de la surcharge au minimalisme, de l’ultra sophistication à l’épure étudiée.
Quelles raisons vous ont poussées à mettre en œuvre un travail créatif à propos de ce jardin botanique à l’abandon à Collioure et à ces cactus balafrés ?
Aurore Valade : Je voulais faire des portraits sans figures humaines, des natures mortes qui soient plus vivantes que les figures que je photographie habituellement.
J’ai découvert ce jardin semi-abandonné où les marques humaines, tags, scarifications étaient présentes en l’état.
Les cactées que vous avez photographiés sont taggés, gravés de noms, de dessins ou d’insultes variés : ces marques étaient donc naturellement présentes sur les plantes grasses ?
– Aurore Valade : Oui
On peut lire clairement certaines inscriptions sur les feuilles tentaculaires : Avez-vous retouché les photos pour accentuer certains mots, faisant sens pour vous, de ces saillies faites par la main de l’homme ?
– Aurore Valade : Ces images ne sont presque pas retouchées en post-production, seulement quelques retouches classiques comme le contraste. Mais je suis intervenue au moment de la prise de vue. J’ai nettoyé les feuilles des cactus, à la bière pour les rendre plus éclatantes.
J’ai travaillé sur leur brillance in situ, j’ai rajouté des paillettes, je les ai maquillé, je voulais les apprêter comme des mannequins, des stars de la nuit.
Vous avez pris le parti de présenter les plantes photographiées de nuit, à la lumière du flash : on a ainsi l’impression que le spectateur est placé comme un « voyeur » qui surprend en un éclair ces séquelles tatouées sur les plantes : quelle était votre intention en utilisant un tel procédé ?
– Aurore Valade : Je voulais les isoler de leur contexte naturel et les sublimer pour les rendre plus humaines encore : la nuit et le flash se sont imposés.
Le titre de l’exposition Sempervivum Decorum se réfère à une plante succulente, l’Aeonium Sempervivum Decorum qui a aujourd’hui disparu du jardin. L’étymologie latine nous offre une traduction intéressante, « vivre pour toujours dans l’apparat ».
Une façon pour vous de souligner que l’homme a nécessité de transfigurer le réel pour le rendre séduisant, appétissant ?
– Aurore Valade : Oui. En fait ces cactus n’ont plus rien de naturel, ils brillent dans la nuit sous les flashs et les paillettes exhibant leurs tatouages. Une façon de souligner le besoin de l’homme de transformer la nature pour la rendre plus séduisante et en faire un décor à son image.
Immortaliser ces agaves et aloes est-elle votre façon de laisser votre empreinte d’artiste sur ces plantes ?
– Aurore Valade : J’ai laissé mon empreinte en y gravant moi aussi un nom.
Ces photos sondent l’intervention de l’homme sur la nature : les deux sont étroitement mêlés, il y a la nature mais elle est marquée par l’homme : finalement qui de l’homme et de la nature influence l’autre ?
– Aurore Valade : Ce qui m’a intéressée dans ce projet ce n’est pas tant l’idée de nature mais une pratique culturelle autour d’un élément naturel : la pratique du graffitti.
En définitive on ne voit pas l’homme sur cette série de photos mais on ressent sa présence partout : paradoxalement il n’a peut-être même jamais été aussi présent ! La nature - aussi délaissée soit-elle - aujourd’hui n’est plus jamais vierge de la présence de l’homme ?
– Aurore Valade : Je ne pense pas que la nature ne soit jamais vierge de l’homme mais que c’est notre regard qui est toujours anthropomorphique.
Il y a également à côté de chacune des plantes un petit piquet surplombé par un carton qui donne le nom de la plante, comme une vaine tentative de l’envie de l’homme de tout répertorier, nommer : laisser ce piquet un peu penché sur chaque photo comme une réitération était important ?
– Aurore Valade : C’est dans ce jardin que j’ai découvert ces écriteaux abandonnés qui portaient jadis le nom scientifique de la plante. Mais ce nom s’est effacé, il est remplacé par les prénoms des personnes gravés à même la plante.
Les noms changent, disparaissent mais le besoin de nommer, marquer pour se souvenir et pour exister est toujours présent.
Ce travail photographique date de 2007 : êtes-vous retournée dans ce jardin botanique depuis ?
– Aurore Valade : Non. Mais je sais qu’ils sont encore là. De nouvelles feuilles ont certainement poussé et les noms ont changé. Quand j’étais sur place déjà, tous les jours ils avaient de nouveaux tags.
Jacques Dutronc chantait « Le monde entier est un cactus, il est impossible de s’asseoir ».
Au contraire vos photos donnent à voir des cactées plutôt inoffensifs flanqués d’esthétisme, qui s’étalent comme des natures mortes peintes : l’extime trompe son monde pour mieux cacher l’intime, l’apparent est forcément éloigné du véritable ?
Aurore Valade : En fait ces cactus même s’ils brillent dans la nuit sont décadents, certains ont les feuilles tellement scarifiées qu’elles finissent par pourrir.
Ils sont vivants et mourants.
Ces intimités, ces noms et insultes gravés finiront par disparaitre, les agaves produiront de nouvelles feuilles vierges.
La symbolique liée au cactus met en exergue la notion de résistance, de temporalité longue : êtes-vous quelqu’un de pareillement tenace, qui aime à faire et refaire les prises de vues jusqu’à atteindre le résultat recherché ?
– Aurore Valade : En effet. Mais je refais rarement une photo. Je préfère prendre mon temps, observer, préparer la prise de vue, réunir les conditions idéales. Faire une seule photo me prend alors entre 3 et 4 heures minimum.
Quelle place occupe la photographie dans votre vie quotidienne : prenez-vous plaisir à photographier sans arrière-pensées créatives ?!
– Aurore Valade : Non. Je ne suis pas une photographe compulsive, je prends mon temps, je peux passer des mois sans photographier. J’ai besoin de voir le monde autrement qu’au travers d’une lentille, de donner un sens à l’acte photographique.
Vous avez obtenu votre diplôme de l’Ecole Nationale Supérieure de la photographie d’Arles et vivez à Marseille : pensez-vous que la photographie est suffisamment représentée dans la région ?
– Aurore Valade : Ce n’est jamais suffisant, on en veux toujours plus, non ?
Vous avez obtenu de nombreux prix, et êtes une artiste reconnue aujourd’hui : ressentez-vous une pression nouvelle sur votre travail en raison de ces nombreux regards portés sur vous ?
– Aurore Valade : On est toujours plus libre quand on travaille à l’ombre.
Vous voyagez et exposez à l’étranger : le langage photographique est un langage universel qui permet plus facilement de partager ses créations en faisant fi des barrières de langues ?
C’est vrai qu’avec la photographie je n’ai pas besoin de dictionnaire.
Sur quel projet travaillez-vous actuellement ?
– Aurore Valade : Un sujet autour de l’adolescence.
Informations pratiques
Exposition du 6 août 2010 au 5 septembre 2010
Galerie Sintitulo - art contemporain
10 rue Commandeur 06250 Mougins France
T +33(0)4 92 92 13 25 • M +33(0)6 17 32 76 71
www.galeriesintitulo.com • [email protected]
Ouvert du mardi au dimanche inclus
11h - 13h • 14h - 19h
Lundi sur rdv