Regards croisés
Jean Claude Fraicher « Du cadre au champ »
Jean-Claude Fraicher est un des fondateurs du « Sept Off de la photographie » avec Robert Matthey et Laurent Colonna.
« Quand je suis arrivé à Nice, il y a 15 ans, nous avons décidé de créer le Sept Off qui a coexisté une dizaine d’années avec le In, se déployant dans des lieux qui ne sont pas réservés à la photographie. Aujourd’hui le septembre de la Photo n’existe plus que grâce au Off qui pour sa 13ème édition souligne notre identité méditerranéenne. Le thème « Passe (ports) méditerranéens » choisi en 2010 a été rattrapé par le printemps arabe qui sera au cœur d’une exposition à Saint Jean d’Angely avec un photographe tunisien Hamid Bouali, F. Fernandez et J-F. Roubaud qui ont couvert l’événement pour Nice-Matin et moi-même, avec un sujet sur les tunisiens de Vintimille ».
Le reportage, Jean-Claude Fraicher s’en est nourri depuis qu’il a contracté le virus de la photo et arpenté le globe. Né en Afrique du nord, Jean-Claude vient faire ses études de lettres à Nice puis passe sa maitrise aux USA. Dès lors, le périple durera près de 20 ans l’amenant en Nouvelle Calédonie, dans le Pacifique sud, aux Indes, en Chine, en Australie. : « Sur la route de Kerouac » fut le sujet de ma maîtrise mais finalement j’ai fait plus de photos que d’écriture. Cette attirance remonte à mon père. Géomètre à l’IGN, il avait réalisé un album sur les villes méditerranéennes qui exerça une fascination sur l’enfant que j’étais » A Nouméa dans les années 90 Jean-Claude braquera son objectif sur la culture Kanak. « Quant il y a eu l’assaut de la grotte d’Uwea, j’ai été mis à l’écart en tant que blanc. Etre photographe ethnologue c’est aussi savoir que l’on aura toujours le regard de l’étranger ».
Ce regard décalé peut être aussi un champ de liberté. « J’aime trop la lumière naturelle et la vie pour l’enfermer dans un studio. J’ai toujours œuvré comme un reporter, être mobile, faire des rencontres. Pour Jean-Claude Fraicher, le portrait est une enquête rapide où il traque les indices autour de ses sujets pour « tenter de comprendre comment ils se retrouvent aujourd’hui en face de moi… Chez Eliane Radigue, la veuve d’Arman j’ai été fasciné par sa collection de vieux magnétos à bandes ». C’est selon ce processus durant lequel « il est vital de travailler vite, de continuer une conversation » qu’il réalisera quelques portraits/reportages sur les travailleurs du Port de Nice, mais aussi sur les artistes azuréens « Pour les 50 ans du Patriote, j’ai photographié les artistes dans leur atelier. Une expo baptisée Attitude montrée à l’Espace à vendre en 2010 et au Cedac de Cimiez regroupant une trentaine de créateurs d’Ernest Pignon à Ben via Vernassa, Caminiti, ou Mendonça « C’est un personnage étonnant. Je l’ai shooté dans sa combinaison blanche parce qu’il me rappelait ces scientifiques illuminés des séries B américaines » Le cinéma, c’est l’autre passion de J-C. Fraicher qui découvrit l’Italie à travers ses films néo-réalistes, tant et si bien que le photographe avoue utiliser régulièrement la fonction caméra de son appareil « je bouge beaucoup, c’est pour ça que j’aime filmer. On a la chance avec le numérique d’avoir une qualité d’image exceptionnelle. Aujourd’hui cela me fascine plus que la photo qui n’existe plus que par l’approche plasticienne. Il y a un potentiel dans l’image en mouvement comme il y a 20 ans dans l’image fixe » explique cet artiste insaisissable qui semble désormais sortir du cadre de la photo pour rentrer dans le champ du clip et du documentaire.
Olivier Remualdo « India Song »
« Il y a 5 millions de Sâdhus en Inde qui sont à l’origine des brahmanes ayant choisi une vie d’errance, d’ascèse pour se consacrer à la spiritualité. Ils sont nomades ou sédentaires, parfois à la tête d’ashram qui compte des milliers de dévots. Ils peuvent être puissants et riches. C’est un des paradoxes de la culture indienne. »
Olivier Remualdo est intarissable sur le pays des Mantras. Un pays que ce photographe âgé de 33 ans a parcouru et « documenté » à six reprises, passant sur place l’équivalent d’un séjour d’un an et demi. Elevé à Cannes, Olivier Remualdo est de souche niçoise. Après des études de commerce à Paris VIII, il fera bouillir la marmite en faisant le métier de voiturier à l’hôtel Belles Rives et à Courchevel. La photo l’amène très vite à la rencontre de l’autre. Après un stage de photographie au Noga Hilton il choisit sa voie « J’aime trop les gens au naturel. Cette expérience m’a permis de savoir ce que je ne voulais pas faire ».
Et ce qu’il veut c’est tailler la route des Indes. Malgré son catogan et son visage christique, Olivier n’a pas la même motivation que ses aînés qui prirent les chemins de Katmandou. Il veut découvrir l’envers du décor, comprendre qui sont ces sages à l’avant-scène de la spiritualité « A 26 ans je suis parti 2 mois en Inde. J’y suis resté 6 mois » Et depuis Olivier n’aura de cesse d’explorer cette ethnie. Des milliers de photos et de kilomètres au compteur.
Tous ces projets photographiques restent une quête à la fois humaine et culturelle « Mythic Sarasvati » son premier périple au cœur de l’Inde spirituelle s’attacha à réinventer le cours du Sarasvati « le seul des 7 fleuves sacrés rayé de la carte il y a 4000 ans ». Lauréat du Prix Défi Jeunes et finaliste de la Bourse Lonely Planet 2006, ce projet de 6 mois fut subventionné puis exposé à Orléans, à Paris, à Cannes (Espace Ranguin) en 2008 et au Musée des Arts Asiatiques. Olivier réalise ensuite Street Massala mettant en scène de buveurs de thé dans les rues de Bénarès et montré en 2009 au Sept Off. Son troisième grand projet naît d’une rencontre avec un Sâdhus à la Kumba mellâh, un événement qui réunit 74 millions de pèlerins venus se purifier dans le Gange ». En mai et juin 2010, il part ainsi en pèlerinage dans l’Himalaya aux cotés de ces Sâdhus. Il réalisera à pied en chameau stop, plus de 600 kilomètres dormant à la belle étoile ou dans des temples. Le fruit de ce travail flirtant avec le reportage « gonzo » apportera une importante source documentaire à un projet dont la première mouture fut dévoilée en 2010 au Sept Off. Un an après, sa saga sur « Les Sadhus- Les hommes Saints de l’Hindouisme » immortalisés en noir et blanc sur un fond de bâche neutre « afin d’occulter tout exotisme » décroche le prix Lucien Clergue 2011. Une version définitive du livre sur les Sâdhus doit bientôt voir le jour. « L’Inde c’est une planète qui éveille tous les sens. Je mets un certain temps pour atterrir quand je reviens. Mais avec l’expérience, j’ai appris que la sagesse n’est pas l’apanage d’un seul pays et que le véritable voyage, c’est à travers le regard qu’on le fait ».
Gabriel Yoshitsune Fabre : L’empire des signes
Né à Tokyo en 1967 de parents exilés au Japon, Gabriel a lui aussi voyagé mais sa plus belle aventure, il la vit à travers ses créations .
« J’ai un inconscient japonais car j’ai été élevé par une nounou japonaise jusqu’à l’âge de 7 ans. Cela m’a laissé une empreinte qui s’est révélée à la lecture de « L’empire des signes » de Roland Barthes »
Niçois d’adoption depuis 11 ans, Gabriel a étudié à Paris les arts plastiques et la linguistique à la Sorbonne Nouvelle. En 1989, il part faire son service militaire à Berlin. « Quelques mois après mon arrivée au service photo du 2ème bureau, le mur est tombé. Une belle opération sur le plan du publi-reportage ». Gabriel commence par faire de l’assistanat photo avant que ses premiers clichés ne soient publiés en 1991 dans Télérama : « une série sur les ascenseurs pour l’ascension ». Cela ne s’invente pas. Après avoir œuvré dans le domaine du reportage sur des sujets religieux en Espagne ou sur le SEL (Système d’Echange Local) pratiqué par des réseaux parallèles d’économie solidaire, Gabriel entrera de plein pied dans la photographie plasticienne sous l’influence du glossaire de Michel Leiris. Dès lors, la correspondance entre mots et images trouvera sa place dans le travail de celui qui est imprégné de la langue idéographique « les jeux de mots, le double langage m’ont amené à publier un texte puis à essayer de trouver une forme plastique adéquate ».
C’est ainsi que Gabriel Fabre, qui a quitté Paris en 2000, initie quatre ans plus tard une série baptisée « Les PHOTDORTHOGRAPHIES », son ticket d’entrée au Sept off. « Un travail exposé jusqu’à Gènes qui est fait d’assemblages de photos et d’objets, des installations qui tentent de signifier un mot sans le dire. C’est une célébration des faux sens, des ambiguïtés, du glissement progressif sur toutes les variations du signifiant. » Dès lors, Gabriel réalisera plusieurs expositions au rythme de 6 à 12 par an, s’attachant à explorer la Poésie visuelle.
Chez Fabre l’exercice prend des formes diverses, parfois même d’installations. Ainsi en 2006 il photographie pour « L’Onde art » sur le thème « Lit de rivière » un baldaquin dans la Brague. En 2007 pour nomade il écrit LOW sur l’eau avec des feuilles de magnolias. « J’ai passé beaucoup de temps ado à visiter des musées mais la peinture n’étant pas pour moi un geste naturel je pratique la photo sur un mode plasticien ». Ses racines nippones continueront de s’exprimer. Il participe ainsi à l’exposition caritative au MUSEAAV afin de soutenir le Japon après la catastrophe de Fukushima en créant une œuvre hommage aux techniciens intervenus sur le site. En décembre 2009, après 4 semaines et 4000 kilomètres dans le sud de Kyoto il réalisa une série de diptyques. « J’ai exposé ce travail à Nice, à Paris et à Monaco où l’association en charge du Jardin japonais de Monaco m’a commandé une autre série sur ce principe d’assemblage ». Une quarantaine de panneaux y seront exposés en extérieur célébrant visuellement un jeu de langage nippon. « Momiji no sasayaki » un exercice qui vient d’être invité au Festival Artcolar à Monaco.