Gabriel Martinez : Plus vraies que natures !
« Tourne toi j’ vais me remettre du noir ! » Chantait Bashung. Et du noir les modèles de Gabriel Martinez, en sont recouverts de la tête au pied. « Elles s’en habillent » comme il dit, s’en repaissent comme pour se livrer corps et âmes à un étrange rite vaudou. Depuis toujours l’homme a voulu se parer des atours de la bête, l’homme léopard, la féline, du cinéaste Jacques Tourneur, la Mouche de Cronenberg sans oublier sirènes et centaures. Combien de chimères habitent nos légendes, hantent notre romanesque, combien ont été imaginées pour unir dans un seul corps, l’humain en haut de la chaine alimentaire, et la bête qui lui est soumise, le prédateur et sa victime, la quête de l’absolu ? Eros et thanatos, le bien et le mal, le rêve et la réalité, l’ombre et la lumière, c’est un véritable théâtre de chair qui prend corps et s’anime avec la « Série Noire » de Gabriel Martinez exposée du 3 juillet au 20 septembre à la galerie Ferrero.
L’œuvre au Noir
L’instinct animal caché en chacun de nous, Gabriel a voulu le traquer, le rendre palpable, si palpable que c’est en peignant le corps féminin et en installant son piège à lumière qu’il a tenté de capturer la nature dans ses ultimes retranchements. « Un nu ça reste un nu, une femme habillée on peut tout imaginer, la femme peinte en noir cache quelque chose ». Cette créature noire comme l’enfer prise dans le halo immaculé, un concept qui a fait son chemin pendant plus de 40 ans d’exercice « En fait j’ai commencé par des femmes drapées, mais il manquait les formes. J’ai donc eu recours à des voiles transparents, puis l’idée m’est venue de peindre les corps, d’abord en blanc et puis il y a 10 ans j’ai essayé le noir. Une nouvelle aventure à commencé, quand je me suis rendu compte que la même fille en blanc ou en noir ne me donnait pas la même chose » Un voyage à deux qui amène le photographe et son modèle au delà de l’apparence. Ces premières tentatives seront récompensées en 2003 par le prix Shocking au Salon de Monaco « Quand j’utilisais la peinture blanche la douceur prédominait dés que j’ai appliqué le noir les filles se sont mues différemment. Ce nouveau fard a opéré comme un masque autorisant le sujet à révéler une autre partie de lui même, un univers enfoui ». Un travail conduit méthodiquement en studio avec cinq jeunes modèles amateurs « Aucune n’est mannequin professionnel. Je voulais éviter l’attitude formatée, pour saisir ces instants privilégiés, hors du temps dans toute leur crudité, sans artifices. Car ces créatures aussi étonnantes soient elles au final, on peut les croiser tous les jours dans la rue » une magie qui opère sous les sun-light et sur fond blanc. Certaines séances durant parfois plus de 10 heures au tempo d’une musique « Je ne shoote jamais en plan fixe, je tourne autour du corps comme autour d’une planète, il se passe plein de choses dans ces moments là ! ». Ainsi cette « transe-vision » où la grâce vient se mêler à l’animalité, délivre-t-elle toute une gamme d’expressions que le noir glace de mystère.
Paysages humains
Né en Algérie en 1957 Gabriel Martinez s’installe à Nice avec sa famille en 1964. Il se souvient d’avoir toujours eu un appareil à la main et après le bac puis l’armée, passe son CAP et une Maîtrise de photo. Il ouvre son premier studio rue d’Italie à 30 ans puis celui où il travaille aujourd’hui, alternant photo d’art et commandes pour les agences de publicité. Ce studio de la rue Hancy jadis dédié à l’argentique est devenu avec l’évolution technique l’antre du numérique mais Gabriel continue d’y travailler comme un peintre dans son atelier. Ses pinceaux, c’est la lumière, sa palette, ses objectifs et en dernier recours, l’ordinateur « Avec l’argentique on ne pouvait pas aller au bout des choses. Avec le numérique, il n’y a plus de limites. On peut serrer au plus près du grain. Le problème c’est que la définition est si grande que l’on voit toujours mon reflet dans la pupille des modèles. Cela n’est pas grave, car à bien y songer, chacune de ses femmes est un autoportrait » conclut-il en riant. Ce souci du détail mettant en jeux des dizaines de millions de pixels est indispensable car quelques uns de ces clichés sont présentés en grandeur nature. 26 tirages dont sept en vitrines qui nécessitent un piqué hors normes et un développement dans les laboratoires PICTO à Marseille « Une photo c’est une journée de travail, mais il n’y aucune manipulation photographique, ce que je vois c’est ce que vous voyez » Ainsi si l’on s’approche de près on sera saisi par la densité du derme et de toutes les parties organiques, lèvres, langues etc. « J’ai voulu aussi montrer que nous sommes fait de chair et d’os. Célébrer le côté humain et naturel » Rien ne vaut la peau ? Pas si sûr, car son prochain travail portera sur l’os et les cranes. Le corps et le nu féminin est un sujet sur lequel l’artiste a braqué son objectif depuis ses débuts œuvrant chaque fois sur la forme et le fond. « Je me suis toujours intéressé à la matière, j’ai même travaillé sur des gélatines de polaroïd 20 X 25, puis des empreintes de filles peintes selon un tout autre procédé que celui des femmes pinceaux de Klein » Revendiquant une approche qui tient autant de la peinture que de la photo, Gabriel Martinez parle d’ailleurs volontiers d’artistes tels le Caravage, Le Gréco ou Goya même s’il reconnaît que le travail d’Helmut Newton ou de Joel-Peter Witkin ne l’ont jamais laisser indifférent.
« Si je n’avais pas connu la photo peut-être aurais-je fais de la peinture ? La seule différence c’est qu’un peintre peut faire ce qu’il veut de la réalité, le photographe lui doit composer avec. On n’invente rien, tout existe » C’est là que réside tout l’attrait et la fascination qu’exercent ces créatures « supranaturelles » qui donnent à voir l’humain comme vous ne l’avez jamais vu !