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Eric Clément-Demange voit rouge

Kill that dog - eat that girl 2007
  • Kill that dog - eat that girl 2007

Kill that dog - eat that girl 2007

Faisons connaissance Eric ! Vous êtes né dans le Val de Marne, êtes diplômé DEA en Histoire Contemporaine, qu’est-ce qui vous a amené sur la Côte d’Azur ?

 Eric Clément Demange : Je suis né dans le Val-de-Marne, dans la même ville que MC Solar, la plus grande gare de triage d’Europe un temps... mais je suis niçois depuis que j’ai 4 ans. Le Val-de-Marne n’est qu’une indication sur ma carte d’identité. je n’y suis jamais retourné et je n’ai pas la moindre idée de cette ville.

2002 est l’année où vous commencez les expérimentations sur le support photographique, mais votre histoire avec la photographie ne date pas de cette année là…Racontez-nous votre premier Canon EOS premier reflex acheté !

Eric Clément Demange
(c) Anaïs Cherifi -Courtesy l’artiste - Portrait sept 2009

Eric Clément Demange : En fait, je me suis mis tardivement à la photo. À 24 ans je crois. Je me suis offert un Canon EOS-1000 FN, un appareil d’entrée de gamme pour pouvoir jouer avec les temps de pause et les vitesses.
Finalement, je ne faisais que des photos avec les amis, au flash, en automatique... Ce n’est pas par un photographe, ni par une photographie, ni une rencontre mais par du matériel. C’est lorsque je me suis offert un Minolta SRT-101 qui datait de 1970 qu’un changement s’est opéré. Je trouvait cet appareil très esthétique. Une sorte de brique en acier avec un objectif dessus. Pas d’autres indications que celles de la vitesse et de l’ouverture. À mille lieues des appareils modernes. Le Minolta exigeait de regarder autrement et de faire des photos plutôt que de les prendre. C’est ce que j’ai essayé de faire. Maintenant, j’ai trois Minolta SRT. Mais je ne les utilise peu vu le prix des pellicules et du développement. Il faudrait que je m’y remette...

Votre technique est particulièrement intrigante et sensible : vous prenez des photos que vous « noyez » sous la couleur rouge. Puis vous gravez au couteau des lignes sur le papier photo : comment est née l’idée de cette expérimentation ?

 Eric Clément Demange : Je ne sais plus exactement comment c’est produit ce changement.
En tout cas, je me souviens que j’ai d’abord fait des expérimentations par découpage. Et pour moi, la photographie est sacrée : on ne peut la déchirer. La première fois que j’ai découpé une photographie, j’ai eu l’impression de franchir une limite. Un tabou.
Pour le reste, l’encre et le couteau, cela faisait partie des expérimentations. Ce que je voulais était de dégrader l’image et son support. Le couteau me donne la possibilité d’un travail soit soigneux soit instinctif, selon mon état d’esprit, ou le sujet de la photo ou de la série.

Des structures - Série F Vue 2 - 2005 - ECD

Vous utilisez la couleur rouge : quels mythes et symboles porte le choix de cette couleur ?

 Eric Clément Demange : Le rouge est la couleur qui m’est arrivée en premier. J’ai essayé le bleu, son opposé et je n’ai pas aimé. L’encre rouge a un pouvoir opaque intéressant que n’ont pas d’autres encres. Mais le plus important est la résonance que procure la couleur rouge. Évidemment, c’est une couleur chargée en symboles : des plus forts et au panel le plus large. Symbole de la force, du sang ou de l’amour... Mais c’est aussi une couleur cachée. Dans la nature, je ne suis pas certain que l’on trouve autant d’éléments rouges que l’on peut en trouver dans les autres couleurs.

Et pour le couteau, vous travaillez avec un couteau de cuisine ?...

 Eric Clément Demange : Je vous les montrerai... En fait, c’est un couteau très banal sauf qu’il a rebondi sur le carrelage ce qui a tordu quelque peu son bout de lame. Mais j’ai d’autres instruments de torture. D’autres objets tranchants et d’autres techniques que je recherche constamment.

Vous transformez l’image initiale en une autre réalité, presque un dessin : Quelle est la place occupée par la photo originelle ?

Kill that dog - eat that girl VII 2007

Eric Clément Demange : D’autant que j’aime beaucoup faire des photographies avec des flous de mouvement ou faire de la macrophotographie : la photographie d’origine a déjà subi une transformation, une dégradation. La série KillThatDog, EatThatGirl (2007) est faite de nuit, en pause longue. J’ai ce moment où les formes prennent la place des sujets photographiés. La série Promenades Capitolines (2007) est surexposée. Dans ce cas, je fais disparaître tout décor. Il est impossible de reconnaître l’endroit de la prise de vue.

Je cherche dès la prise de vue, une sorte de pré-résonance.

Travaillez-vous sur des photos que vous prenez vous-même ou pouvez-vous prendre n’importe quelle photo comme support et inspiration à votre travail ?

 Eric Clément Demange : Tout est possible ! La série Amours d’Octobre (2007), les portraits de Kim il-Sung et de Kim Jung-il sont les portraits officiels qui pavoisent les murs nord-coréens. Je les ai trouvés sur Internet. Celle de Mao Zedong, par contre, je l’ai prise dans un magasin de sport, à Nice... Il servait de porte-vêtements... C’était surprenant de le voir là. Je l’ai photographié de suite. Pour une autre œuvre, j’ai eu besoin de photographies de l’Allemagne de l’Est des années 70 mais je ne peux pas encore remonter le cours du temps...
Soit je fais les photographies, soit je prends des photographies prises par d’autres. Mais je ne vais pas forcément prendre une photographie de quelqu’un d’autre, une photographie que je peux faire moi-même.

Dès 2005 vous avez commencé à photographier en numérique : pourquoi ne pas laisser tomber grattoir et coulures salissantes et faire vos retouches directement via ses mêmes outils technologiques ultra perfectionnés et rendant possible toutes transformations ?

 Eric Clément Demange : Je me demande si les faire moi-même ne prend pas moins de temps que de le faire par un logiciel de photographie... En agissant directement sur la photographie, je fais corps avec elle.
Réaliser les transformations avec le couteau et l’encre et autres moyens est assez physique. Le geste répétitif, la concentration, être debout, peser de tout son poids sur la photographie...
Et puis je peux compter sur l’aléatoire. C’est un exercice physique et mental que je ne peux retrouver avec un ordinateur.

L’Histoire contemporaine occupe une place importante dans l’évolution de votre création : vous précisez que vos "études en Histoire vous hantent et ressortent de plus en plus dans vos travaux" : pouvez-vous nous expliquer la relation qui s’établit entre l’histoire de votre travail et l’Histoire ?

Amour d’Octobre - Mao Zedong 2006 - ECD

Eric Clément Demange : Malheureusement ou heureusement, les études m’ont pris pas mal de temps. Je suis encore dans l’histoire. Je lis et m’intéresse à l’histoire et à la géopolitique. Cela ressort forcément. La série Détails de Requiem (2008) alliait photographies et textes.
Mais je n’explique pas trop mes photographies et mes séries. Celle-ci portait sur la disparition de gens que l’on sortait de leurs demeures pour le dernier voyage, à pied. Ce sont les souvenirs que l’on crée vivant afin de les garder ailleurs. Les sentiments les plus simples, les joies les plus petites, les beautés les plus oubliées. J’aime cette série parce qu’il ne reste aucune trace. Sauf les photographies que j’ai scannées.

La disparition est un thème palpable de votre travail : comme un palimpseste : on efface une couche afin d’en écrire une nouvelle, chaque couche révèle l’autre - l’une sans l’autre n’a pas de sens ? En fait faire disparaitre c’est mieux donner à voir, ou c’est donner à voir autre chose ?

 Eric Clément Demange : J’aime les photographies prises à la fin du XIXème siècle, sur le Champ de Mars. Seuls apparaissent les cireurs de chaussures et leurs clients. Des photographies prises de jour avec personne autour. Simplement, les gens ont disparu du fait d’une longue exposition.
Une photographie est déjà une disparition.
Les sujets apparaissent, les gens, pour un deux centième de seconde de vie. Passez à une seconde et ceux-ci disparaissent.

Vous avez une "casquette professionnelle" de photographe, vous réalisez notamment des prises de vues des « arts de la scène » sur le département : qu’est-ce qui différencie vos prises de vue pro et celles servant à vos créations ?

 Eric Clément Demange : Les prises de vue de spectacle sont très riches à faire. Trouver un angle de vue qui ne soit pas trop classique et d’abord, pas frontal pour moi. J’ai besoin de m’approcher des comédiens, des danseurs, des artistes.
J’ai besoin de voir leur sueur perler, leurs visages, leurs sourires, leurs regards et aussi, qu’ils me voient, qu’ils puissent aussi voir ma sueur perler, mon visage et mon sourire.

Journées PoëtPoët 2010 - improVISatIONs par Eric Clément-Demange - Arts de la Scène

De jour, c’est plus facile. Je suis photographe mais surtout spectateur et j’aime les spectacles qui s’offrent à moi. C’est de cette relation que je pourrais faire de belles photographies. La photographie de portrait ou de spectacle, c’est la même chose : une relation dans laquelle, je donne et on me donne. C’est un échange. J’aime non seulement être devant la scène mais aussi dans les coulisses, sentir les frissons, les odeurs, les parfums, les joies, les anxiétés... Le lieu même est une source d’inspiration. Je cherche à faire corps avec le lieu et les personnes tout en restant le plus discret possible.

Finalement peut-on encore dire "Photographe" pour vos créations personnelles ? Artiste ne serait-il pas plus juste ?

Je n’ai pas de définition de mon travail. Je ne sais pas expliquer ce que je fais. Je m’explique mal. Je dis que ce sont des photographies travaillées mais je ne sais pas. Ce n’est pas satisfaisant pour moi. Pour l’heure, je dis "photographe". Pour artiste, je ne sais pas. En suis-je un ?

Sur votre page facebook vous mettez régulièrement en avant des photo prises par d’autres photographes du monde entier : ces dédicaces muettes, cette ouverture à l’autre, l’ailleurs sont quelques unes de vos sources d’inspiration ?

Une des oeuvres de francesca woodman
(C) F.Woodman

Eric Clément Demange : J’aimerais en mettre plus. Je vais en mettre plus. Je n’ai pas de photographe préféré. Il y a des photographes que j’aime comme Francesca Woodman. Je suis tombé sur ses photographies et j’ai acheté l’ouvrage. Elles sont si personnelles et touchantes, fragiles et évanescentes. Après, je m’intéresse à tout type d’art. En fait, j’adore Bacon parce que j’avais le sentiment de la photographie dans son travail. Jusqu’à ce que "La chambre noire" de Martin Harrison me conforte dans ce sentiment. J’aime aussi Picasso, le Caravage et d’autres peintres de la Renaissance. Mais je m’intéresse aussi à la photographie plus classique. J’aime beaucoup Jacques-Henri Lartigue. De part son destin de photographe sans le savoir, il a eu le temps d’expérimenter. Mais j’aime aussi Thomas Ruff ou Martin Parr. J’aime aussi Philippe Ramette par ses mises en scène qu’il pourrait aussi faire sur ordinateur plutôt que de chercher des systèmes harnachement des plus divers.

Vous avez participé à plusieurs expositions sur la Côte et notamment au Festival Sept Off de Nice : y serez-vous de nouveau cette année ?

 Eric Clément Demange : J’ai été très honoré de participer au Sept Off 2008. Mais je n’y serai pas cette année. peut-être l’an prochain. Je dois juste développer de nouvelles techniques et travailler afin de proposer quelque chose.

Que pensez-vous de la place accordée à la photographie sur la Côte, est-il facile d’exposer, de collaborer avec les autres photographes de la région ?

 Eric Clément Demange : La place de la photographie est difficile en France. La photographie a une place moins grande que celle accordée à la peinture par exemple mais cela commence à changer. Ce n’est pas forcément facile d’exposer sur la Côte. Pour la collaboration, je suis assez solitaire et finalement, je connais très peu de photographes parmi mes quelques magnifiques amis artistes.

Une question que je ne vous ai pas posée et que vous souhaiteriez mettre en boite ??

 Eric Clément Demange : On peut se tutoyer ?

(un peu apeurée par l’évocation du couteau tordu..) : Oui, Eric, merci de tes réponses !

PROJET IV - 2010 (ECD)

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