Cannes : Pas un festival sans Traverso !
En juin 1939 Louis Lumière n’arrivait pas en gare de la Ciotat mais bien en gare de Cannes. Il fallait être là pour fixer sur la pellicule le premier Président de ce qui allait devenir le FIF (Festival International du Film). Il fallait être là pour couvrir une édition naissant dans le bruit des bottes afin de contrer la Mostra de Venise et sa « coupe Mussolini ». Auguste Traverso y était avec son 6X6mm. 63 éditions et quelques milliers de clichés plus tard, c’est Gilles, son arrière-petit-fils qui a pris la relève sur les marches les plus connues de la planète. Saga…
Arrière grand-père, père et fils
C’est ainsi que commence pour cette famille la grande aventure du festival mais pas celle de la photo, « car après avoir développé des films pour un radiologue, Auguste mon arrière-grand-père ouvrit dès 1919 son atelier de photographie rue de Bône », explique Gilles Traverso aujourd’hui à la tête de la petite entreprise familiale qui connaîtra son âge d’or de 1946 à la fin des années 70 sous l’égide d’Henri son père. « Mon arrière-grand-père n’ayant eu que des filles qui travaillèrent en labo ou à la boutique, on a sauté une génération mais nous n’avons manqué aucune édition du Festival ».
C’est aussi de cette dynastie que parle l’exposition « Memories & Dreams 1919/2010 » présentée cet été au Palais des festivals. Partout où le regard se pose vous êtes cernés par les stars. Le paradis du cinéphile ?! Gilles a pris cette fois quelques libertés, des tirages sur toiles et PVC, du noir et blanc colorisé et un parterre fleuri de visages d’Orson
Welles à Lennon sous les pieds du visiteur.
Car le patrimoine Traverso depuis quinze ans est devenu une collection (1,7 million de négatifs dont 348 000 sur le FIF) qui voyage, de New York à Tokyo, de Milan à Londres, de Paris à Lille. À Cannes elle fut présente notamment pour les 50 et 60 ème anniversaires du festival. C’est lors de l’exposition de 1996 pour les 50 bougies du FIF que Serge Toubiana des Cahiers du cinéma séduit par ce prestigieux album de famille décide d’en faire un ouvrage avec Gilles. « Ce n’est qu’à ce moment là que mon père a pris vraiment la mesure de notre patrimoine ».
L’âge d’or de la Croisette
Un patrimoine cannois qui commence sous le règne d’Auguste. Un photographe qui ne s’est pas contenté de couvrir les premières salves du festival mais a également participé au lancement de la Côte d’Azur en tant que villégiature estivale. Au début du siècle la saison est encore hivernale et les bains de mer ne sont pas à la mode. Les médecins mettent en garde contre « les insolations sablonneuses ». Quand, dans les années 20 les grands hôtels et les casinos d’été s’élèvent en bordure de mer, on lance le rivage à coup de filles en bikini qui posent devant le Martinez, le Miramar etc. La culture balnéaire fait la Une.
Auguste écoule ses photos en boutique, « il est un des premiers à avoir pu photographier vue d’avion la baie de Cannes à la chambre. Une prouesse ! » , s’étonne encore Gilles. Il est aussi correspondant pour des revues comme « Cinémonde ? ». La concurrence se réduit alors à une poignée d’italiens mais bientôt c’est le débarquement. Henri Traverso, qui a appris le métier dès l’âge de 16 ans avec son grand-père, devient à son tour l’œil du FIF. « Quand mon père Henri a commencé en 1946 il n’y avait qu’une dizaine de photographes contre 500 en 2010. C’est la seule manifestation au monde où l’on nous voit sur les photos, la seule où les photographes font partie du décor, de la légende ? », commente Gilles Traverso qui est entré lui dans le grand bain à l’âge de 19 ans. « Quand mon père a vu l’ancien Palais tomber, à l’orée des années 80 il a préféré raccrocher ». Un repos mérité car Henri n’a pas chômé. Il a connu le passage du noir et blanc à la couleur, l’âge d’or où les vedettes déambulaient sur la Croisette, l’époque où Cinecitta rivalisait avec Hollywood, puis la nouvelle vague. Bref à peine le temps de recharger son 24X36mm !
Le Bunker de la dernière rafale ?
Dès les années 80 Gilles vivra lui l’ère du « Bunker » et de la mitraille sur les marches, pour un sein qui se dévoile. Exit les starlettes qui faisaient mousser l’écume. On s’effeuille sur tapis rouge, la Cicciolina semblant confondre Palme d’or et Hot d’or. Pour Gilles les années 80 marquent un recul du glamour : « Le palais se fait plus débraillé, on cache les bijoux et autres signes extérieur de richesse ». Avec les années 90 la sécurité se durcit. Et quand le numérique s’installe mais surtout les téléphones portables avec « APN » entre stars et photographes la rupture est consommée. « Le pire c’est qu’avec le numérique les originaux ont disparu », confie Gilles qui débuta en classant les précieux négatifs de Papa. Un autre contact se fait rare, celui avec les vedettes. « Mon père avait le temps d’échanger avec des actrices comme Michèle Morgan qui s’injectait du citron dans les yeux pour les faire briller ou avec les belles italiennes. Henri travaillait comme un artiste ». Pas d’abattage chez les Traverso qui œuvrent aux antipodes de la presse people actuelle préférant capter un regard, une attitude, fournir de la matière « pour des articles de retour ».
Malgré des conditions moins favorables, Gilles a eu lui aussi son lot de clichés rares et de souvenirs : La courtoisie de Jane Fonda qu’il pourra suivre pendant toute une journée. Isabelle Adjani qui le remercie de ne pas l’avoir flashée lors d’une soirée privée. Il se souvient aussi des show off d’Alain Delon, Gérard Depardieu, et de Philippe Noiret. « Malgré l’aspect business le Festival a réussi à maintenir un équilibre vital. Artistes, professionnels, cannois et grand public s’y retrouvent. Le FIF continue de faire rêver, d’offrir une magie que l’on ne trouve nulle part ailleurs ! », conclut Gilles Traverso, troisième du nom dont la fille de dix ans « prendra la relève ou pas, c’est à elle de choisir » !