Delphine Tomaselli, Chitti horror picture show !
Lorsqu’elle présenta en 2003 ses triptyques mêlant prises de vues du quotidien, documents d’archives et captures de film, un parfum étrange planait dans l’air.
Que veulent dire ces rébus visuels en forme de cadavres exquis digne de David Lynch, où vont ces ellipses entre les plages celluloïds ? Deuxième acte, deuxième livraison : « Quand il n’y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur terre » ! Personne n’a oublié le slogan coup de poing de « Zombie », l’autre film culte de Romero après « La nuit des morts vivants ». Et si cette série de portraits qu’elle baptise « My friends are dead » laisse transpirer son contingent d’influences « trash et gothique » des studios Hammer film à Dario Argento, Delf Pia Chitti s’infiltre une fois de plus dans la frontière poreuse qui sépare le réel de l’irréel. Un voyage qui la conduira vers la folie… cannoise, s’entend !
De Niki de Saint Phalle à Jean Pierre Léaud
« Je suis scorpion ascendant vierge, née le 30 octobre 1970 à Mérignac avec 5 semaines d’avance, d’un père italien né en Algérie et d’une mère espagnole née à Casablanca. La sage-femme qui m’a donné le jour s’appelait Marie-Ange », c’est ainsi que se présente Delphine Tomaselli. Flash-back : la fillette au regard triste sur les photos de classe se réfugie très tôt dans la musique, piano et batterie. Le virus de l’image, c’est par son père qu’elle le contracte : « Il a toujours fait de la photographie en amateur, moi je portais ses boîtiers. Avec le recul regarder le monde à travers son objectif m’a sauvée de l’autisme ». Après un bac d’art plastique à Paris, Delphine part à l’aventure, travaille avec un styliste tout en s’adonnant à sa passion, la photo. Celle qui rêve à douze ans d’être peintre, collabore ensuite avec le plasticien Kriki, anthropologue du fuzz, une sorte de gremlins terroriste qui fait les 400 coups dans la campagne, puis peint des sculptures pour Niki de Saint Phalle. Alors qu’elle travaille sur le script d’un film, elle rencontre Jean-Pierre Léaud. Le double de Truffaut à l’écran l’engage comme répétitrice puis coach. De 1991 à 1996, elle fréquente les plateaux, réalise des courts métrages dont « Ante Eros » sur un poème de Fernando Pesoa, sélectionné pour la Biennale de Venise. Sur un de ces coups de dés, dont elle a le secret, elle approche en 1998 à Lisbonne le cinéaste portugais Joao César Monteiro. L’acteur réalisateur de « La Comédie de Dieu » lui achète même quelques-unes de ses mobiles photos : « C’est le cinéma du pauvre ! » dit-il en riant.
Wanted dead or alive !
Arrivée sur la Côte d’Azur, Delf Pia Chitti (un pseudo inspiré du patronyme de son arrière grand-mère) expose en 2003 à « La galerie dans le ciel » ses triptyques. Un format qui n’est pas sans évoquer les images religieuses. Deux ans plus tard le Musée de la photographie André Villers de Mougins, lors d’une exposition collective, dévoile quelques planches de « My friends are deads ».
Une série recentrée sur le portrait où l’artiste met en scène (costumes, maquillages, décors) des figures fantasmatiques saisies en état de grâce ou de disgrâce. Elle accouche alors d’une esthétique néo-gothique singulière et pose les bases d’une mythologie personnelle où David Bowie période « Aladine sane » pourrait tenir le beau rôle : « Je rêve de le photographier, même sur son lit de mort ».
Shootés à l’argentique et retravaillés sur son Mac ces portraits sont ensuite tirés sur papier métallique. Mais avant d’être immortalisés comme des camés de porcelaine funéraire, les anges déchus reprennent vie sous sa direction d’acteur : « Je me sers de leur personnalité. Et au lieu de masquer ou d’embellir, le maquillage sert ici à révéler l’identité ». Un travail qui attire peu à peu les regards de ses pairs. Delphine vient prêter son œil à l’exposition et au catalogue de Ben « Les limites de la photo » à Mougins. Quelques mois après, c’est Frédéric Ballester, Directeur de la Malmaison qui l’invite à participer au catalogue de Combas qui présente à Cannes ses toiles autour du 7ème art.
De là à ce que la Ville lui propose de couvrir son mythique Festival du film, il n’y a qu’un pas, qu’elle franchit allégrement.
Chassés-croisés sur la Croisette
Delf Pia Chitti s’efface, Delphine Tomaselli réapparaît. La fiction c’est l’affaire de la première, la réalité de la seconde, mais mon tout est la même personne, c’est là que tout se complique, s’enrichit aussi. Une charade qui en dit long sur la façon singulière avec laquelle elle investira les coulisses du 60ème Festival de Cannes.
Un travail qu’elle se refuse à aborder selon les rites des paparazzi : « J’ai laissé faire l’ordre des choses, m’en suis remise au concept « Inch Allah ». Caméléon entre jours et nuits. Une seule chose m’importait : donner à voir et non pas prendre une photo, il m’est arrivé souvent d’en refuser sur rendez-vous ou quand je jugeais que le moment n’était pas favorable ! ». C’est dans cet état de veille permanente que la photographe dérobe au fil de son errance et de ses rencontres ces moments d’intimité rares en pleine démesure cannoise avec Abel Ferrara, Jim Jarmush, Paolo Coelho, Edouard Baer, Lou Douillon,
Asia Argento, Hyppolite Girardot
et bien d’autres encore. Soixante images pour un rêve (« Sixty Shot Dream ») qui firent l’objet d’une exposition en novembre dernier à Cannes et partiront bientôt à Beverly Hills et Shizuoka, deux villes jumelées avec le temple du 7ème art.
Et depuis, le cinéma qu’elle avait mis de coté après sa période parisienne, lui fait le coup du « souviens-toi ! » comme chantait Piaf. « Depuis deux ans je suis invitée au Festival d’Amiens par son directeur Jean Pierre Garcia à qui je dois des rencontres avec Jean-Jacques Beineix, Samuel Benchetrit ou Danny Glover ».
Ce travail d’investigation narrative lui ouvre également les portes du Festival du Film d’Amérique Latine à Toulouse, et par l’intermédiaire de Melita Toscan du Plantier celui plus médiatique de Marrakech. « Je le fais par amour du Cinéma, ce n’est pas une sorte de chasse pour revendre des photos aux agences mais le besoin spontané d’aller à la rencontre de gens, connus ou pas du tout, partout où mes bagages se posent ».
Un autre regard
Pour autant, Delphine continue d’explorer plus intimement les limites de son art.
Après s’être intéressée aux autres, elle braque depuis peu son objectif sur son propre corps, de chambre d’hôtel en chambre d’amis. « L’avantage avec les autoportraits, c’est qu’il n’y a pas de droit à l’image sauf si je veux me faire un procès » commente-t-elle en riant.
Mais le nomadisme n’a qu’un temps, Delphine qui le pratique depuis toujours envisage à l’approche de la quarantaine de se poser, en Corse ou au Maroc : « J’aimerai pouvoir prendre du recul. Histoire de pouvoir derusher toutes ces photos que j’accumule depuis une dizaine d’années et pourquoi pas me consacrer à l’écriture d’un film ? ».
L’artiste Delphine Tomaselli remercie Frédéric Cassoly, Jean-Pierre Moreau, Canal+/Michel Denisot, Gilles Sandoz, le 3.14 à Cannes, la Ville de Cannes, et son ange gardien (il se reconnaîtra !)
Découvrir le travail de Delphine : http://monsite.wanadoo.fr/delfpiachitti ou http://monsite.wanadoo.fr/tomaselli