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LOIC MALNATI, un dessinateur en puissance

Quelques mots sur votre actualité ?

 Loic Manalti : Je travaille sur plusieurs secteurs d’activité autour du dessin : dans le cinéma en tant que designer et story-boarder, dont dernièrement pour Ao Le dernier Neandertal, un film de Jacques Mallaterre qui sort en Septembre.

Je viens également de finir le story-board d’un téléfilm pour France 2, l’adaptation de « Carmen » en fiction. Ce sont mes deux derniers projets en audiovisuels.

L’artiste Loïc Manalti

Pour ce qui est de la BD je travaille actuellement sur trois albums chez Dupuis, Soleil et Bamboo Grand Angle : respectivement sur un western, un thriller et une fiction historique autour de Georges Clouzot.
Et puis surtout l’actualité majeure c’est la création de ma propre société de production ALM ICON à Nice. On y développe la communication web entre autres, puisqu’au final la BD et le cinéma sont des langages et des techniques tout à fait applicables à tout type de publicité, net ou non. Je travaille également avec d’autres collaborateurs sur un projet de dessin animé, toujours avec Jacques Mallaterre. J’en serai le co-réalisateur. Donc au final, je jongle entre tous ces projets tout en essayant de garantir une ligne graphique cohérente.

Vous travaillez en ce moment sur une série en acrylique que vous nommez « Peinture en Puissance », quel en est le point de départ ? Pourquoi une telle rupture avec vos précédents travaux ?

 Loic Manalti : C’est une prise de conscience : j’ai poussé la technique assez loin pour en arriver à de l’hyperréalisme en bouquin et peinture ; et de là à l’absurdité de la démarche.

A partir du moment où l’on a décroché les étoiles, - sans parler du succès public mais simplement du rêve -, quand on en a atteint le but, on se retrouve devant le vide de la quête : le tome 2 d’Apocalypse qui va sortir prochainement a été suffisamment facile à réaliser malgré la difficulté technique pour que je ne trouve plus de sens à tout cela. Pourquoi est-ce que je dessine ? Qu’est-ce qui me porte, ? Qu’est-ce qui fait que je suis dessinateur depuis tout petit ? Et est-ce que ce que j’ai à dire aujourd’hui signifie juste faire de la pirouette technique ? Pour répondre à ces questions j’ai simplement déconstruit mon dessin pour arriver à une certaine synthèse, un résumé, une essence de ce que je suis et de ce que je cherche à être.

Et c’est de cette façon que j’ai trouvé ce que j’appelle le «  dessin en puissance » un peu pompeusement (rires). C’est le côté « nietzschéen » de la démarche, c’est-à-dire un dessin-type qui existe plus par son potentiel que par ce qu’il montre réellement. C’est dans le trait de contour très épais, - finalement assez vague -, que se situe la limite spatiale… et puis les aplats de couleur donnent du sens ; et c’est tout. Après, l’image sert à exprimer ce que je tend à exprimer et cela me suffit amplement.

Cette recherche est donc liée à la lecture de certains auteurs ?

 Loic Manalti : En quelque sorte, puisque je m’intéresse à une philosophie orientée vers la métaphysique, j’aime la philosophie de l’être tout simplement. Il faut lire les pensées de Spinoza par exemple, - un penseur du système au départ - mais qui aborde tout de même la pensée de l’absolu qui nous dépasse. Pour lui finalement le système tourne toujours, mais face à l’infini il n’y a plus de sens…

Chevalier -

C’est ce que je trouve intéressant, s’en remettre à cet absolu. Et dans mon entreprise de déconstruction de la technique, pour en comprendre l’essence première, il me faut poser la question du sens, pourquoi chercher à faire de la technique ? Et finalement est-ce qu’on sait en chacun de nous quel est le sens qui nous porte à faire ce que nous faisons ? On doit donc s’en remettre à notre propre nature et faire confiance à notre destin. Ce n’est plus quelque chose qu’on décide. La peinture en puissance c’est aussi cela, retrouver cette nature première, m’exprimer en tant que tel et non plus créer par la technique, qui au final porte beaucoup moins de sens que le message.

Certaines de vos créations bandes dessinées sont encore en cours de parution : L’ancêtre programmé, Apocalypse, et la Mémoire du Bamboo (2003) entre autres…Une fois ces œuvres achevées, allez-vous laisser de côté cet aspect de votre travail au graphisme très poussé ?

 Loic Manalti : Je ne vais pas le laisser de côté puisque je fais la scission entre mon métier, cet aspect poussé du graphisme, et ma recherche personnelle, celle dont j’ai abordé le tenant un peu plus tôt. Grâce à la peinture en puissance il m’est possible de répondre à la plupart des demandes car j’arrive à faire une distinction claire. A la base, le registre graphique est une culture : il me suffit, pour rentrer dans ce registre, d’endosser les codes de la culture, et aujourd’hui cela ne me pose aucun problème. Si le public à un moment donné veut du western, avec tels ou tels codes, je les endosse. C’est davantage un bagage culturel qu’une fin en soi.
Au final le plus important, ce qui compte, c’est ce que je raconte, la façon dont je le raconte. C’est donc avec plus de décontraction que j’aborde la « culture esthétique », de façon totalement démystifiée. C’est pour cela que je continuerai à faire de la BD réaliste.

Quelques éléments de votre biographie : Le déclic du dessin ?

 Loic Manalti : J’ai toujours dessiné. Je me suis très tôt posé la question - depuis la maternelle - du pourquoi de cette capacité, cette aisance dans le dessin. A l’école, on a toujours un copain qui dessine ou décalque des avions, pour en mettre plein la vue, mais moi cela me mettait hors de moi : le but n’a jamais été de recopier mais d’inventer, tout simplement. J’aimais chez moi cette capacité à reproduire les émotions par l’imagination. Si mon bonhomme devait être en colère il l’était sans discussion possible. C’est cela pour moi la vraie force du dessin, et j’en suis toujours là aujourd’hui. Vouloir être un passeur de sentiments au plus juste des choses. Et on ne doit pas quitter cette vision des choses pour des intérêts économiques. La création n’a pas à se soucier de cela.

Premières influences ?

 Loic Manalti : Pour ce qui est des influences, elles sont multiples mais dans la démarche c’est quand même Franquin le plus important. C’est quelqu’un qui ressemblait à ce qu’il faisait, il était réellement authentique, c’était plus fort que lui. Voilà mon inspiration : les dessinateurs qui SONT littéralement leurs univers.

Premières BD ?

 Loic Manalti : Je suis autodidacte. Les premières bandes-dessinées me sont venues naturellement… Je n’avais pas le courage d’étudier jusqu’au bac, les règles, très peu pour moi : je me suis donc mis à étudier seul, certains copains qui étudiaient aux Beaux-arts me passaient leurs cours. Et puis un jour j’ai proposé une BD aux Editions Dargaud, qu’ils ont refusée en me redirigeant vers Delcourt. Depuis j’ai toujours vécu de la bande-dessinée.

Un auteur vous a-t-il poussé à adopter ce réalisme en BD ?

 Loic Manalti : Pas vraiment, peut-être à part Hergé, qui ne me plaisait pas du tout à la base ! Durant cette période de déconstruction de mon dessin j’ai découvert que l’auteur de Tintin avait trouvé une technique vraiment géniale, c’est-à-dire la ligne claire.
Ici le support cesse d’être un outil culturel pour devenir un outil symbolique. Il n’y a plus d’esthétique du trait chez Hergé, puisqu’il est exactement le même à chaque case. Il sert à détourer des zones qui prennent sens. Les aplats de couleur nous indiquent le contenu et nous donnent l’information précise. A ce titre la ligne claire a été une vraie influence chez moi.

Excepté cela je ne suis pas totalement adepte de sa narration « froide », mais par contre la méthode d’abandon de la « coquetterie » pour l’efficacité c’est épatant. Hergé était pourtant esthète dans son dessin. Il aimait l’esthétique, donc il y a une certaine contradiction…Et puis il était vraiment perfectionniste.

Et vous, l’êtes-vous ?

 Loic Manalti : Je suis perfectionniste mais pas non plus pointilleux et obnubilé par le détail même si je peux faire des dessins très réalistes. L’important pour moi c’est de créer un support narratif suffisamment solide pour que le lecteur oublie le support esthétique.

En ce moment : Des coups de cœur BD ? De jeunes auteurs ?

 Loic Manalti : La bande-dessinée que le public voit ces derniers temps est à mon avis une BD finie. C’est plus une mode qu’autre chose. Surtout en France. Par contre, le Comics ou le Manga restent fidèles à leurs supports, des domaines très créatifs qui génèrent beaucoup de choses. La BD franco-belge est faible de ce côté-là mais cela ne va pas durer. Certains très bon auteurs –qui s’exprimaient dans Métal Hurlant par exemple- ont ouvert la voie à quelque chose qui aujourd’hui ne fonctionne plus.
Le côté beaucoup moins inspiré c’est par exemple ce courant à la mode qui s’inspire de l’art moderne, de ces dessinateurs qui tentaient le dessin régressif… Le fait d’être maladroit est un code, et aujourd’hui c’est tellement exploité que cela devient une coquetterie…On contrôle à fond le truc pour que cela fasse bien crado (rires). Par exemple Joann Sfar, que tout le monde connaît. Dire des dessinateurs techniques qu’ils ont un problème sexuel, c’est quand même étrange. Il y aurait donc une revendication de santé et de corps à mal dessiner ! Mais attention : j’apprécie l’art moderne. Enfin il me semble que lorsqu’une forme devient une coquetterie il y a tout de même un problème.

Pensée spontanée

Vous avez instauré une certaine lisibilité, fluidité dans la trame de lecture de vos BD qui pourrait parfois s’apparenter aux comics : volontaire ? involontaire ?

 Loic Manalti : Ce n’est pas volontaire, la culture comics je ne la connais pas. Par contre, il est vrai que bon nombre de mes BD qui ont été traduites aux Etats-Unis, dans des magazines comme Heavy Metal ou DC Comics, par exemple. Et peut-être ai-je une tournure d’esprit davantage américaine, à cause de cette histoire de sens. Les américains sont fascinés par la pertinence : la technique est vraiment au service de la trame. Tandis que la BD française a la fâcheuse tendance de tomber dans le snobisme technique. La narration comics ou manga est par contre vraiment intéressante pour sa justification de l’émotion générée. Pour moi cela ne devrait pas se faire autrement.

Graphiquement vous travaillez sur ordinateur : pourquoi ce choix de « numérisation » de la bande dessinée ?

 Loic Manalti : Je ne travaille pas toujours sur ordinateur : le tome un d’Apocalypse a été fait à l’acrylique. Pour mes toiles évidemment je travaille en peinture mais il est vrai que je réalise des pré-dessins par ordinateur. Le numérique est intéressant car il permet de sortir de la difficulté matérielle. On oublie le trouble qu’apporte le simple fait de produire une teinte correcte, de faire un dégradé potable en peinture. Pourtant, on ne devrait même pas se soucier de triompher ou non de la difficulté, juste se soucier de son travail créatif ! Et le fait de travailler en numérique remet tout à plat. On ne se pose plus que la question du comment.

Peinture en puissance. Projet numérique. "soumis".

Vous assurez des cours de story-board à l’ESRA. Comment ce projet d’enseignement s’est-il fait ?

 Loic Manalti : Tout a commencé avec le story-board : à l’époque avec des copains –aujourd’hui des auteurs connus - on avait sorti un magazine gratuit sur tout le réseau francophone tiré à 150 000 exemplaires, diffusés sur tout le réseau, BD, librairie, etc. A Nice cela avait eu son petit effet. A ce moment là le directeur de l’ESRA cherchait quelqu’un pour assurer les cours de story-board. Et voilà !

Evidemment ce projet m’intéressait car l’enseignement permet d’avoir un certain recul sur son propre travail, il faut théoriser sa technique. Egalement, voir chez les élèves la mécanique de création c’est riche d’apprentissage…Un exercice difficile toutefois. Un bon créatif doit savoir détruire ses édifices pour pouvoir admettre clairement ses fragilités et ses forces ; pour en fin de compte se reconstruire soi-même « pierre par pierre »… Pendant une année j’ai dirigé les productions des élèves d’animations 3D puis j’ai arrêté parce que je n’avais pas le temps de m’impliquer davantage, de voir l’évolution des travaux. Par contre effectivement pendant à peu près 6 mois dans l’année je donne des cours à l’ESRA.

Parlons du le lien entre votre travail graphique actuel et le cinéma : vos scénarios, aimeriez vous les appliquer au septième art ?

 Loic Manalti : Je développe pas mal de secteurs qui je pense m’amèneront à adapter mon travail, mais pour l’instant je m’appuie surtout sur le story-board. Jacques Mallaterre, qui est un spécialiste de l’audiovisuel, me guide sur cette voie là. Je commence à avoir petit à petit des notions de narration en temps réel, ce qui est très différent de l’image fixe, de la BD.
Mais, bon le problème majeur est qu’on ne peut pas tout faire et le métier de scénariste est un métier à part entière ! Je ne pourrai pas m’y consacrer pleinement ni pouvoir répondre à des commandes… Ce qui est étrange car pour le dessin je le fais sans problème : je joue le jeu, encore une fois j’endosse les codes culturels du genre et je m’amuse. Pour l’écriture j’ai plus de mal à porter un « masque ». Si j’écris quelque chose c’est que j’ai quelque chose à dire.

Des projets ?

 Loic Manalti : Aujourd’hui il y a vraiment à faire au niveau de la bande dessinée numérique. Il me semble que cela soit son véritable avenir. L’approche est soudaine à l’audiovisuel, au cinéma, parce que la BD peut lui apporter la notion d’image-clé (très présente dans les comics).

Je trouve également que l’utilisation du numérique est un bon moyen de voir quels sont les défauts du genre BD. Blutch, Larcenet ou d’autres font de la BD comme du comics sur numérique. Ils utilisent un support nouveau, c’est-à dire non plus une mise en page et des cases traditionnelles mais plutôt un écran comme au cinéma. En fait le gros problème de la BD c’est que lorsqu’on regarde les cases, l’effet de surprise on ne l’a pas vraiment, à la limite en bas de page mais c’est tout. Alors qu’avec la BD numérique, les instants qui se succèdent aux clics peuvent permettre de faire une création beaucoup plus percutante.

En fin de compte, j’aimerai par mon parcours et ceux qui m’y accompagnent créer un espèce de pôle de rencontre entre la communication la BD, et le cinéma. Mettre nos techniques, nos savoir-faire au service de ces trois pôles en les enrichissant les uns les autres.

Tout voir :
Www.loicmalnati.com
http://loicmalnati.blogspot.com

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