Histoire piteuse d’une armoire voyageuse
L’auteur de cet ovni littéraire se fait nommer Romain Puertolas et surtout se fait inviter sur les plateaux télévisés les plus recherchés pour dire, en deux mots, qu’il écrit pour se détendre, comme on fait des mots croisés mais que juste, aligner des vannes de potaches dans un texte vaguement grammairisé le fait rire en plus. Ce qui fait espérer au spectateur que lui aussi va rire et, ma fois, par les temps qui courent, ce serait déjà ça de pris sur l’ennemi.
Nenni, lui dis-je au potentiel lecteur. Tu ne riras point. Tu te demanderas pourquoi avoir investi le prix d’un bon repas chez Madame Gisèle pour… Ça ? Tu n’iras au bout de cette imposture littéraire que pour vérifier que cela reste aussi nul jusqu’à la fin. Tu le refileras ensuite à la concierge qui t’empoisonne tous les jours avec son tri sélectif ou à ta belle-mère qui vient de se remeubler chez Conforama pour qu’elle s’instruise sur les subtilités d’une promenade commerciale chez Kikekoi et qui sait, le côté bluette au 36e degré de cette chose jaune et bleue lui tirera quelques larmes dont tu pourras ensuite te gausser. Ou peut-être, oui, c’est ça, l’objet a juste la grosseur de ce qu’il te fallait pour caler la commode de la tante Emma qui vient de perdre un de ses pieds mangé par les rats. Ou les vers.
Bon, arrêtons d’en faire, des vers (haha !) pour résumer l’histoire. Un Fakir se fait payer le voyage en France pour venir acheter chez Kikekoi un vrai lit de fakir à 15 000 clous (oui le modèle qui a moins de clous est en fait plus cher, ça nous fait un chapitre), escroque un chauffeur de taxi gitan au passage (attention ! référence d’actualité !), s’éprend d’une belle française qui s’appelle Marie, voyage involontairement en armoire avec des réfugiés africains (référence géopolitique !), rencontre une actrice nommée Sophie Morceaux qui porte des petites culottes de soie et réserve tout un étage d’un palace à Rome pour dormir tranquille (acerbe critique sociale !) et se fait éditer par un rigolo qui lui fait une avance de cent mille euros pour un début de roman écrit dans le noir avec un crayon Kikekoi sur une chemise blanche. Voilà, maintenant vous pouvez en parler dans les dîners en ville sans l’avoir lu.
A l’époque où on relit enfin Ubu Roi dans les écoles (ce qui ne devrait pas vous empêcher d’en reprendre un peu, voilà de l’humour potache qui vous bidonnera), l’éditeur de cette entreprise post-décadente aura pensé surfer sur l’humeur du temps. Il semble avoir eu raison, ça se vend comme des petits pains. Les temps sont difficiles ! (ah vous pouvez aussi relire les chansons de Léo Ferré, somptueuses, qui viennent de ressortir en livre, dont personne ne parle).
Bref, on est estomaqué par le défaut de sens, par l’ineptie, par la goujaterie de l’ouvrage (on ne va quand même pas dire « œuvre ») et on tremble de voir ce pudding faire des petits, de l’émulation dans l’insignifiance – houlà ! Où va la littérature.
Et dire que ce ramassis de jeux de mots à la c... passe pour la « révélation » de l’année, est le « chouchou » des libraires (chouchou sur la côte Atlantique se dit d’un beignet immonde et bien gras) et caracole en tête des classements de ventes. Une chose est sûre : le ticket d’entrée en littérature vient de subir une baisse dramatique. Et dites-vous bien : moi aussi je peux écrire un truc comme ça à la cantine pendant les pauses déjeuner et je vais donc être célèbre et passer faire le modeste chez Ruquier. Mais quid si nous sommes cent et mille (relire Aragon) ?
Beurck !