Claude Morini, l’oeuvre "gravée" à la Bibliothèque Nucéra
Evénements liés à l'artiste
Exposition « En l’absence de l’artiste »
Présentation de l’exposition
Expo Claude Morini (1939-1982) - L’oeuvre gravé
Bibliothèque Louis Nucéra
29 novembre 2013 - 02 février 2014
En 2007, la ville de Nice, via la BMVR (Bibliothèque Municipale à Vocation Régionale Louis Nucéra) a acquis 67 gravures de Claude Morini. A cette date ce lot était considéré comme constituant la totalité de l’oeuvre gravé.
Depuis, dans le cadre des recherches entreprises en vue de la publication du catalogue raisonné de l’oeuvre gravé*, les enfants de l’artiste ont retrouvé des cuivres et laitons gravés dont aucun tirage papier n’avait été tiré ainsi que des épreuves papier uniques dont les plaques n’étaient pas connues. Ainsi, 50 gravures "nouvelles" sont venues compléter les tirages connus portant le nombre total de gravures à 117.
Entouré d’oeuvres témoignant des autres techniques pratiquées par Claude Morini (huiles, dessins, gouaches et aluchromies), l’intégralité de cette oeuvre gravée sera présentée dans l’espace d’exposition de la bibliothèque Nucéra.
Morini a gravé entre 1976 et 1982 (année de sa disparition) un jour par semaine à Vence dans l’atelier de Michel Joyard qui réalisait la quasi totalité des tirages.
*Morini - Oeuvre gravé - catalogue raisonné à paraître le 29 novembre 2013
(tirage de tête augmenté de 3 gravures originales, 45 exemplaires numérotés)
Association des Amis de Claude Morini - Editions stArt et Editions de l’Ormaie
Texte de Michel Joyard
Morini déplia le journal enveloppant sa première gravure : une émeute de personnages tracés en tous sens dans le cuivre se mit à briller soudain. Je le revois à Vence, garant devant chez nous sa GS au matin d’une de ces journées gravure. Sa silhouette de diable noir coiffée d’une casquette de marine semblait se dissoudre dans la fumée de tabac. Souvent sous l’essuie-glace une contravention captive se fanait.
Il extrayait du coffre des cuivres, une bouteille de vin, parfois un petit cadeau pour l’atelier : entonnoir en plastique, paquet de chiffons, plus rarement un coûteux « article de Paris » comme ce compte-fils que je possède encore.
Les préparatifs étaient silencieux et son travail commençait dès que j’avais enduit les plaques, vernis noir dur ou vernis mou passés à chaud. Il avait vite perdu toute timidité à l’endroit du métier. La rusticité de l’atelier, notre goût commun pour les « moyens du bord » y étaient pour quelque chose.
Il œuvrait devant la seule fenêtre, sur une petite table, improvisant un appuie-main avec une planchette. Je ne l’ai jamais vu utiliser un brouillon. Il traçait dans le vernis sans s’interrompre, penché, absorbé. Le seul bruit était celui de la pointe...
Dans les très bons jours, l’image, bientôt inscrite, semblait avoir préexisté dans le métal. Il ne se risqua jamais à l’encrage, au tirage de la planche, tâche qu’il considérait à juste titre comme un métier en soi. Mais il apprit la morsure aux acides (il en reçut même des gouttes dans un œil en remuant le bain à l’aide d’une plume), il saupoudrait et cuisait l’aquatinte.
Il aimait les gestes rituels du tirage, toute la « patiente impatience » qui précède la naissance de l’épreuve sur papier. Ses commentaires en la découvrant portaient peu sur le thème, beaucoup sur la substance.
Et il résumait tout par un « Ah ! C’est merveilleux la gravure ! » quand la feuille, offerte à la lumière, portait bien son fruit...
Pendant la pause des repas, avait lieu la convocation des grands hommes : Francis Bacon, dont il connaissait l’adresse personnelle à Londres, Rembrandt, Picasso, Goya, Giotto, Kafka, Giacometti, Bartok, Matisse et Chagall étaient volontiers reçus en voisins.
J’avais réussi à faire admettre Courbet, Baudelaire, Dubuffet. Les gloires suspectes, les avant-gardes « en peau de lapin » qui parvenaient à entrer par surprise repartaient bien vite, confondues, percées à jour.
Quand la suite du travail s’annonçait fertile, les grands hommes redescendaient avec nous et nous tenaient compagnie autour de la presse...
Nous quittions l’atelier à la nuit, pleins d’une fatigue euphorique due peut-être aux émanations des solvants dans ce lieu confiné.
Il y avait aussi les jours difficiles, jours pour lui pleins de migraines, de cigarettes, d’aspirine. Jours de doute où les gravures en cours semblaient naufrager à jamais dans l’acide. Il accumulait alors les remorsures pour soutenir un tracé défaillant, une composition fautive, consentait à contrecœur à des effaçages, se résignait enfin à « laisser reposer » ces tentatives « opaques », « fermées », si éloignées de ce qui était pour lui la référence suprême : les Picasso lancés d’un seul jet.
La semaine suivante il revenait fort d’une ardeur nouvelle annonçant qu’il était prêt à « violer cette planche ». Il y parvenait quelquefois.Il se méfiait des hasards, des cadeaux que l’acide fait au graveur. Sur l’une de ses planches mal nettoyée, la morsure avait fixé des traces qui au tirage se révélèrent être un faux marbre miraculeux. Après nos contemplations - la mienne admirative devant le génie de l’acide nitrique, la sienne grosse d’un débat intérieur - il déclara que « ça ne lui ressemblait pas ». À ma stupéfaction, je le vis, lui si peu adepte du brunissoir, effacer patiemment, polir, anéantir ces signes qui n’étaient pas de lui...
Entre les séances hebdomadaires, il y avait le téléphone. Il s’inquiétait des tirages que j’effectuais pour lui : tel cuivre tiendrait-il le coup jusqu’à soixante ? Est-ce que j’avais bien pensé à la petite pointe de noir dans le rose ? Comment faire pour empêcher les feuilles humides de se gondoler ? « Disgrâce suprême ! ». Ou bien il avait la solution pour conclure la gravure en cours. Il avait aussi le titre et l’éditeur. Ces jours-ci il devait rencontrer d’importants marchands.
Il y avait le téléphone aussi pour partager ses enthousiasmes : il revenait du vernissage de l’exposition Bacon au musée Cantini à Marseille ! Il avait pu s’entretenir avec lui longuement... « Cette peinture-là nous écrase tous... » Et aussi les 156 dernières gravures de Picasso exposées en mai 79 au musée d’Antibes qui l’avaient « sidéré », « submergé ».
Il y eut un jour au téléphone la voix de Monique pour m’annoncer qu’il ne viendrait pas. Il était fatigué.
Ensuite il me fit encore quelques visites. Dans l’atelier, comme absent, il regardait les planches abandonnées, sans les toucher.
J’ai encore dans l’oreille sa voix ultime, nouée, lointaine, l’avant-veille quand je l’appelai :
« ...Quand j’irai mieux... je reviendrai à Vence... faire des gravures.... »
Michel Joyard
Extrait de courrier de Philippe Claudel
Les gravures que j’ai pu admirer me montrent la tentative difficile d’habiter le monde, en ces grands corps qui s’étendent et voudraient occuper l’espace ou le temps ; mais l’effacement guette au moindre recoin, et c’est bien le néant qui triomphe. Editer est souvent une douleur funambule.
L’œuvre de Claude Morini me parait exprimer cette recherche du délicat point d’équilibre entre la raison et le gouffre.
Géométriquement posée, la vie humaine ignore son propre théorème.
Philippe Claudel
Une plaque gravée (MORINI DE LA FAC DE BLAUSAC)
Il y avait et il y a encore sur les contreforts de Nice, un tout petit village au nom délicieux de Blausasc ; sa taille et sa situation géographique le tenaient et le tiennent encore à distance respectable et quelque peu au-dessus des apparats niçois.
Il y avait et il y a encore, gravés sur des plaques aux entrées des immeubles bourgeois, les pedigrees de tel Docteur P. ... « de la Faculté de... » ou de tel Maître F. ... « diplômé de l’Université de... ».
Mais il y avait surtout, dans les rues de la ville, les Artistes... « de l’Ecole de Nice » ou plutôt ceux qui cherchaient à tout prix à être reconnus comme tels ; à l’instar des artisans ou commerçants qui se plient à un cahier des charges formalisé, pour assurer leurs clients des qualités de leur activité, la suprême ambition était d’être labellisé.
A l’opposé et animé d’un désir tout autre, mon père répondait à tous ceux qui l’interrogeaient sur ses influences, son appartenance à un courant de peinture, son identité artistique : « Morini... de la Faculté de Blausasc ».
La formule signifiait à la fois son embarras face à toute attente de classification mais aussi une moquerie certaine à l’égard des revendications artistiques à la mode. Mais le sens de la boutade ne se réduit ni à cet embarras ni à cette moquerie...
Car ce fut Blausasc certainement en référence à cette expression niçoise - « celui-ci descend tout droit de Blausasc » - qui désigne tout individu à la conduite décalée, aux activités originales, aux choix singuliers. Sa posture artistique à contre courant - pour le commun des artistes de cette époque - le mettait hors jeu ; elle était chez mon père l’aspiration à une qualité essentielle - celle d’artiste libre.
Et puis, de cette formule, un projet sérieux vit le jour : l’idée d’une fondation - lieu d’échanges, d’expositions, de travail et d’éducation artistique - qui pourrait être implanté précisément à Blausasc. Une rencontre puis une correspondance avec le Maire de ce village témoignent de son désir profond de se distinguer du microcosme de la côte : « (...) après notre première rencontre à Blausasc, l’idée d’une fondation me paraît de plus en plus importante (...) depuis bien des années les habitants de notre région ainsi que les touristes cherchent désespérément un lieu nouveau (...) La culture que l’on présente (sur la côte) est bien faible et, sous le couvert d’art, on ne présente que des choses très commerciales. »
Une association fut créée : « Les amis du collectif des artistes de la faculté libre de Blausasc ». Elle permettait à des collectionneurs de verser une rémunération mensuelle à un groupe d’artistes en échange d’œuvres à choisir dans l’atelier.
Mais à Blausasc - sans doute irrité par un sarcasme qui ne visait pourtant pas son village - le Maire intenta un procès à l’association. Elle fut condamnée à changer de nom : il fallut oublier le clin d’œil humoristique et le remplacer par une formule explicite afin de gommer toute ambiguïté. Elle fut renommée : « Association pour le mécénat éclaté ».
Il y avait et il y a encore... sur les contreforts de Nice, un tout petit village au nom délicieux de Blausasc. Mais aussi - rappelant celles dont rêvaient les artistes en quête de label - cette plaque gravée : MORINI DE LA FAC DE BLAUSASC.
François Bourgeau
Biographie sommaire
Claude Morini est né le 3 octobre 1939 à Limoges.
Enfant, il côtoie la peinture et notamment celle de son grand-père maternel, peintre impressionniste hongrois, Edmund Pick dit Morino. Son nom d’artiste lui inspirera son propre pseudonyme.
Il reçoit une éducation chrétienne et s’engage très tôt dans nombre d’actions caritatives.
Après une adolescence assez peu portée sur les études, il entre en peinture. Mais dès l’âge de 17 ans il doit se rendre à Paris pour une école de commerce. Ce départ l’oblige à abandonner les personnes âgées dont il s’occupe et n’est pas sans lui poser problème...
Il abandonne cette formation et passe une année à l’atelier Penninghen ; puis il quitte la capitale pour s’installer au monastère de Cimiez à Nice. Il y retrouve son oncle, à la fois peintre et moine, qui l’accompagnera partout pour peindre... Il passera quelques mois aux Arts Déco à Nice mais pratique surtout la céramique à Vallauris.
Il rencontre Monique Beaugrand, sa future femme, dans le cadre de l’action caritative à laquelle il s’adonne à nouveau…
Début 1960, il est à Brives pour le service militaire ; un an plus tard il est appelé en Algérie. Cette période sans peinture, marquée par la guerre et la séparation, annonce la maladie. Il est rapatrié fin 1961 et hospitalisé au Val-de-Grâce où on le soigne pour hépatite mais aussi dépression. Enfin, démobilisation définitive en mars 1962. Il s’installe à Vallauris et épouse Monique en juillet.
À partir de cette date, il se préoccupera essentiellement de peindre et d’exposer.
En 1963 naît son premier fils qu’il appellera François en raison de son admiration pour « le petit pauvre » d’Assise. Il ne cesse de peindre et commence à participer à de nombreuses expositions ; il reçoit le prix de l’UMAM en 1965. On sent dans son travail toute l’admiration qu’il a pour Georges Braque mais aussi pour Nicolas de Staël. En 1966 naît Marielle, son unique fille alors qu’Antoine, son dernier fils, naîtra trois ans plus tard.
À côté de la peinture à l’huile, il développe une technique particulière : l’aluchromie. Sa dimension décorative lui offre de véritables débouchés dans l’architecture. Mais rapidement, il estime que l’aluchromie fait de l’ombre à son statut de peintre. Aussi, il réduit les formats, intègre des personnages, inscrit ses thématiques sur l’aluminium et expose ses réalisations en galerie.
A partir de 1976 il remet résolument l’accent sur la peinture à l’huile et s’adonne à la gouache. Il expose partout en France ainsi qu’en Suisse. L’hyperactivité et la disparition successive de nombreux amis le mènent droit à une forte dépression.
Après une assez longue convalescence, il se remet progressivement au travail grâce à la gravure à laquelle il a toujours été sensible. Il s’y essaie et très vite y consacre beaucoup de temps. Il la considère comme un moyen d’expression pertinent et l’utilise avec aisance. Il fonde le Collectif des Artistes de la Faculté libre de Blausasc.
En peinture, ses thématiques aboutissent. Il y atteint sa maturité. Mais son portrait, partout présent, renvoie à un questionnement incessant. Sa peinture devient obsessionnelle. La dépression le gagne à nouveau et, en plusieurs assauts, le submerge.
Il se donne la mort à Nice le 22 mai 1982.
Publications
• 1977
« Intact » Revue de la galerie l’Art Marginal
• 1985
Catalogue d’exposition - Rétrospective au Château-Musée de Cagnes-sur-Mer
• 2002
« Morini, la passion de peindre »,
Editions stArt, Nice
• 2013 (à paraître)
« Les démons » Pouchkine - illustrations de Morini, 20 exemplaires numérotés
Editions de l’Ormaie
« Œuvre gravé, catalogue raisonné », avec un tirage de tête augmenté de 3 gravures originales, 45 exemplaires numérotés
Editions stArt et l’Ormaie
Expositions
• 1962
Avignon, Festival d’Avignon
• 1964
Juan-les-Pins, Prix Provençal
• 1965
Nice, Prix de peinture de l’UMAM
• 1966
Cannes, Galerie Cécile de Terssac
• 1967
Vallauris, « Peintres autour de Picasso »
• 1968
Antibes, V° Festival des Arts Plastiques
Paris, Galerie des 4 Vents
• 1969
Cannes, « Rencontres & Humanisme »
Paris, Groupe Péchiney, Congrès Adal
Nancy, Euro-Design
Niort, l’Art de Demain
Paris, Grand Palais, Groupe des Artistes-Décorateurs
• 1970
Genève, Galerie Ferrero
Nice, LEM, CES Risso au titre du 1%, First National City Bank, BNP, Résidence Arcadia, Palais de l’Europe
Cannes, Palais d’Orsay et Résidence Renoir Antibes, Société Laval
Paris, exposition Groupe de Terssac
• 1975
Marseille, Salon d’Honneur de l’aéroport Monaco, Lloyds Bank et Banque La Hénin Nice, Galerie Diagram
Berne, Galerie Kohler
Nice, MJC Gorbella
• 1976
Paris, Salon des Artistes français, Salon de la Jeune Sculpture
Hermance, Genève, Galerie Cora
Nice, Galerie Art Marginal
Paris, Galerie ART 3
Bordeaux, Galerie Arcanes
Nancy, Galerie Terre de Sienne
• 1977
Nice, MJC Gorbella, « Atelier de gravures »
Hermance, Genève, Galerie Cora
Nice, Galeries l’Art Marginal et Diagram
Paris, Galerie Claude Jory
• 1978
Cherbourg, Galerie Le Fil
Nice, Galerie Gica
• 1979
Colmar, Galerie Jade
Lyon, Galerie Elle Apostrophe
Nice, Galerie 17
• 1980
Hermance Genève, Galerie Cora
Nice, Atelier Gravure, MJC Gorbella
Dijon, « Gravures et gouaches »
Châteauvallon, Festival
Lyon, Galerie Elle Apostrophe
Bordeaux, Galerie du 3°œil
• 1981
Berne, Galerie Feldman
Nice, MJC Gorbella, Musée des Ponchettes, « Introspection »
• 1982
Genève, Galerie du Vieux Chêne
Expositions posthumes
• 1982
Colmar, Galerie Jade, « Hommage à Morini »
• 1983
Nice, Galerie Municipale Mossa, « Hommage à Morini »
• 1985
Nice, Galerie Matarasso
Cagnes-sur-Mer, Château-Musée et Maison des artistes, « Rétrospective Morini »
• 1986
Colmar, Galerie Jade
• 1990
Nice, Golden Gallery, Art Jonction International
• 2000
Cannes, Lycée Carnot, « Clin d’œil »
• 2001
Cannes, Lycée Carnot, « Conversations d’artistes »
Nice, Art Jonction International
• 2002
Cannes, Lycée Carnot, « Chute ou ascension ? »
Nice, Librairie-Galerie Matarasso
Antibes, Galerie Les Cyclades
Carros, CIAC rétrospective « Morini, la passion de peindre »,
• 2004
Cagnes-sur-Mer, Maison des artistes, « Morini en compagnie de ses amis artistes »
• 2005
Carros, Médiathèque
Nice, Lycée Masséna , Le Fond de scène Université de Nice « Collections particulières »
Cannes, Lycée Carnot,
Pecs (Hongrie), Maison des Arts, « Claude Morini à la rencontre de son grand-père Ödön Pick Morino »
• 2010
Tourrettes-sur-Loup, Château-Mairie,
« Dans les bras du diable »
• 2012
Antibes, Transart Café
• 2013
Nice, BMVR
Expo Claude Morini (1939-1982) - L’oeuvre gravé
Bibliothèque Louis Nucéra
29 novembre 2013 - 02 février 2014