Centenaire de la naissance d’André Verdet
Fascination intellectuelle
Dans le livre « Univers André Verdet », édité par l’Association des Amis d’André Verdet, Massimo de Nardo écrit :
Il y a des amitiés qui naissent sur la base d’une « fascination intellectuelle » que l’élève subit (intentionnellement) du fait de la personnalité de l’enseignant. Ainsi en a t il été entre un jeune Alberto Cipriani et un intellectuel expérimenté que fut aussi André Verdet. (…) Alberto Cipriani (…) renforce cette relation commencée sur un plan professionnel, lorsque, tout juste diplômé de l’Académie des Beaux Arts de Macerata, il travaillait dans une imprimerie qui publiait des œuvres d’importants artistes italiens et étrangers, parmi eux, André Verdet. Il ira souvent lui rendre visite à Saint-Paul-de-Vence, pour mieux « voir de près et photographier » ces lieux qu’il décrivait, ces musées qu’il fréquentait, les cafés dans lesquels sont nés les avant gardistes. Les personnages que Verdet a connus sont vraiment extraordinaires : Picasso, Miró, Chagall, Léger, Cocteau, Eluard, Prévert, pour n’en nommer que quelques uns. Personnages qui, dans ses contes, deviennent encore plus « mythiques » et en même temps plus proches de ceux qui les écoutent. Et cela ne fait qu’accroître l’estime, le respect et l’amitié. Cipriani interposera néanmoins entre lui et Verdet cette discrète distance (pas l’éloignement) qui se doit à un personnage charismatique, dans l’acception aussi classique de « mentor ». La possibilité d’un enseignement direct, quoique fragmentaire, pour des raisons évidentes de temps, ce qui pousse Cipriani, plus que pour tout autres raisons, à vouloir fréquenter Verdet, pour en savoir plus, pour se familiariser davantage avec l’environnement dans lequel il vit : sa maison, ses amis, et même son territoire entre Saint-Paul-de-Vence, Nice, Antibes et la Côte d’Azur. (Massimo de Nardo, extraits)
Evelyne Caduc elle-même avait lancé la série des préfaces avec un texte intitulé « Mémoires d’objets »…
Mémoires d’objets
Fer creusé ou découpé, pierre martelée glaise travaillée à main vive, à bout de doigts ou d’ongles une demi lune, une lune entière ou un soleil, une vague et reculant pour évaluer l’ensemble, le poète, son regard comme absent au monde mais si présent dans ce carré de terre façonnée ou devant ces objets des remparts, du clos et de l’Obiou : les toiles, les bois, les cansons, les céramiques, tous supports d’aventure qui, dans ces lieux, portent trace de Picasso, de Braque ou de Matisse, de Léger, de Miró, de Chagall ou Cocteau et tant d’autres encore...
Ronde est sa maison couleur de brique mais bleue aussi, d’un bleu tranchant sur le rouge de Toscane. Et partout au jardin parmi les pierres de lune, parmi les pierres de feu de Coursegoules ou de Caussols voici dressées les formes familières de Sosno, de Farhi, de Vivier ou Ritchie, de Roussil, Taride ou Lombardi !
Un peu plus loin il y a aussi, désormais posé entre Cagnes et Vence, le grand oiseau bleu, ce bleu du rêve dont Verdet comblait ses fonds de toiles, ses formes rondes, et qui navigue avec les planètes quand les autres couleurs se disséminent dans les fouillis d’étoiles ou se déploient dans l’euphorie de la lumière, ce bleu du rêve ou bien encore le noir et le blanc pour une grille de mots prêts à l’envol et débordants de vie.
En noir et blanc ou en couleurs les photos d’Alberto Cipriani se font mémoires d’objets singuliers comme cette inclusion d’Arman portrait de Verdet en forme de cube où la plume du poète se retrouve embarquée parmi ses objets de tous les jours.
Pour lutter contre la dispersion d’objets donnés parfois trop vite, pour lutter contre l’oubli ou du moins retarder le plus longtemps possible l’oubli qui menace toutes choses humaines : une association, celle des amis et des livres, ce livre ci André Verdet Univers. (Evelyne Caduc)
André Verdet par Pierre Restany
« Univers André Verdet » nous fait la surprise d’un texte de Pierre Restany, un de plus, car Restany a écrit de nombreux textes sur André. Ce texte est sans date, je ne l’ai pas retrouvée ailleurs :
Le personnage est exemplaire. Il est à lui seul une œuvre d’art. Il incarne, à travers toutes les manifestations de son urgence expressive, une certaine psychologie de la nature que faute de mieux j’appellerai un réalisme magique.
André Verdet est l’un de ces rares hommes qui par leur seule présence dynamisent votre atmosphère et vous ouvrent les yeux sur l’effarante simplicité du monde. Chacun de ses actes créateurs est une démonstration, une révélation.
Une fois dissipé l’épais brouillard des apparences, tout semble s’ordonner, s’éclaircir. Voilà le miracle Verdet, sa magie raisonnable, raisonnée, raisonnante. Ces reliefs de ciment pétris à la main et qui en gardent l’empreinte et les masques, ces « vitrifications » vernissées à base de papiers déchirés et collés, peut on dire vraiment qu’ils représentent un progrès par rapport aux premiers dessins naïfs, aux paysages, aux Malbos, aux Gordolasques, aux céramiques, aux tapisseries ?...
... La leçon morale de cette œuvre monolithique dans son extrême diversité, de cette vision fixée, organique et organisée se passe de références. André Malraux sur le plan de l’action pure l’avait baptisée une « fraternité virile », une réaction analogique. Le paradoxe apparent (car c’est là pour Verdet une victoire du langage plastique) de cette imagination impersonnalisée à force de courir d’un trait au fond des choses, c’est son pouvoir direct de communication. Les œuvres de Verdet, bien au delà de leur qualité, de leur facture ou de leur présentation, ne peuvent pas nous laisser indifférents. Elles sont « partantes », nous en sommes naturellement solidaires. Elles font partie de notre bien commun, de ces objets de civilisation nés hors de la durée et immortels dans l’esprit des hommes.
Parler de Verdet c’est entrer dans son monde. Qu’on y entre par le Lubéron ou la Colombe d’Or, peu importe.
Il n’y a pas d’itinéraire privilégié, rien n’est moins labyrinthique. Si vous cherchez le fil d’Ariane, vous ne rencontrerez qu’une conviction : le déjà-vu. L’essentiel est cette parcelle d’authenticité fichée en toutes les mémoires. L’authenticité verdétienne est aussi la nôtre. La leçon d’André Verdet est une vérité première : la vie n’est ni poème, ni philosophie. La vie EST. (Pierre Restany)
Je n’arrive pas à retrouver la date de ce très beau texte de Pierre Restany sur les reliefs et vitrifications, mais un autre, dans le catalogue (1979) de l’exposition « André Verdet, Peintures » à la Maison de la Culture et des Loisirs de Saint-Etienne nous apporte la preuve que Pierre Restany, avec son intelligence et son sens de l’Histoire, avait déjà fixé l’œuvre de Verdet dans sa fonction d’incontournable aède de sa Provence natale, ainsi la phrase : « … pierres déchirées et hiératiques du plateau de Coursegoules, silhouettes archétypes… » que contient son écrit serait-elle à mettre en exergue de toutes les publications sur André Verdet.
André Verdet : Le meilleur de lui-même, par Pierre Pierre Restany
Ma longue amitié avec André Verdet m’a rendu aussi exigeant que lucide à l’égard de sa démarche. Lorsqu’un poète se met à peindre, ou bien il cherche à rompre avec un univers formel pour entrer dans un autre, (Camille Bryen, Henri Michaux peignent pour ne pas écrire) ou bien il s’installe dans la dualité des langages, les mots prolongeant les formes et vice versa. C’est le cas d’André Verdet. Les idoles ont été les compléments illustratifs des métamorphoses de son imagination. Les « Tableaux lumière plastiques » récents ont été tout d’abord des pièges à idoles : les anciennes formes se trouvaient enfouies, prises, enve¬loppées dans la profondeur des feuilles de plastique superposées. Et puis peu à peu cette profondeur a fasciné le poète, la matière dans le jeu de ses croisillons, de ses dessins imprimés, dans ses effets de réfraction lumineuse interne s’est libérée du « mo¬tif » pour atteindre la pleine autonomie expressive.
Déjà au début années 60, les vitrifications noyaient les idoles éclatées sous une pellicule de polyester lu¬mineuse et gelée. Eternel combat entre la matière et la forme, antagonisme dialectique qui pose l’énergie vitale en l’opposant aux innombrables facettes de sa fragmentation dans 1 espace et le temps.
Il est particulièrement intéressant de noter que cette libération des moyens picturaux s’est produite en même temps qu’André Verdet « réinventait » les pierres de feu et les Sélénies de sa Haute Provence, ces céramiques extraordinaires de poésie et de rêve qui reconstituent par leur contour et leur surface l’aspect exact des pierres déchirées et hiératiques du plateau de Coursegoules, silhouettes archétypes, fétiches inspirés, ancêtres directs des idoles et de leur mythologie propre. Dans cet univers si cohérent, si profondément enraciné dans un terroir à la fois réaliste et mythique, la quantité ou la qualité des moyens mis en œuvre n’importent guère. Ce qui compte, c’est l’incessante vitalité du créateur, son accord profond avec la nature des êtres et des choses, sa faculté d’émoi, sa sensibilité en constant éveil.
Plus que jamais, qu’il soit poétique, pictural ou formel, l’univers d’André est un, riche, bouleversant : c’est la meilleure part de lui même. Ses dernières mani¬festations parisiennes, à la Galerie Internationale d’Art Contemporain et chez Beno d’Incelli, nous en ont apporté, très simplement, sans détours, l’authentique preuve. (Pierre Restany)
André m’a dédicacé ainsi ce catalogue :
Pour Alex de la Salle
ces « divagations » cosmo-poétiques
fraternel salut
André Verdet
(A suivre)