Louis DOLLE
Evénements liés à l'artiste
Louis DOLLE ’In situ’
Depuis le début des années quatre-vingt-dix, Louis Dollé développe une œuvre protéiforme ayant pour fil directeur le
travail in situ et la construction de récits. Son intérêt pour la figure humaine et les techniques artisanales rétablis-
sent un sentiment d’empathie, grand refoulé du postmodernisme.
In situ
C’est sur la plage de la Réserve à Nice que l’artiste réalise sa première installation in situ. Il sculpte dans deux
poteaux de bois deux Moais (1991), évoquant les statues monumentales de l’île de Pâques. Gardiens d’une culture et d’un territoire, les Moais révèlent leur précarité par le caractère éphémère du projet. Cette réflexion sur l’équilibre fragile de la vie et de la culture traverse d’ailleurs toute l’œuvre de l’artiste. Avec Le Mendiant (1992), nous
faisons l’expérience de l’altérité. Les veines du bois révèlent les blessures de l’homme délaissé, caricature de
l’artiste. La craquelure de son dos courbé et sa tête recroquevillée renforcent l’accablement du personnage dont la
main tendue est toutefois signe d’espoir. La forme arrondie de la sculpture nous incite au toucher ; cette caresse,
cette main tendue vers l’autre symbolise la charité et la solidarité sans lesquelles cette détresse ne peut s’estomper.
Parallèlement, l’artiste réalise dès 1994 une série de portrait en terre moulée en plâtre. Dans Le Baiser (2003), la
douceur des traits, l’expression du visage, la position de la tête et le regard façonnent un portrait à la fois physique,
psychologique et symbolique, non d’une personne mais d’un acte, celui d’embrasser. Invoquant Klimt, Rodin, Brancusi
et tant d’autres, cette tête est entièrement tournée vers ce geste perçu comme un don, un abandon de soi à l’autre.
Or cet échange n’est ici adressé à aucune personne en particulier sinon à nous, spectateur ; au vide. Face à cette
œuvre, nous ne pouvons qu’être suspendu à ces lèvres délicates, se remémorant la douceur d’un baiser.
L’œuvre de Louis Dollé possède une forte puissance
pathétique dans le sens où elle fait appel à l’émotion du
regardeur. Par le biais de la contemplation et de la narration, elle invite à la réflexion. Dès ses premières
pièces, l’artiste ressent le besoin de transmettre une
idée, un concept, par l’intermédiaire d’une forme artistique. Chaque œuvre illustre une histoire vers laquelle
elle est entièrement tournée. Tous les éléments constitutifs de l’œuvre sont signifiants ; des différents matériaux et techniques au plus petits détails en passant par la mise en vue de l’œuvre, tout est générateur de sens.
Constitué d’assemblages de bois collés puis sculptés qui
restituent l’énergie et la vitalité de la chair, L’Homme qui
marche (1997-2000), deviendra du haut de ses 2 mètres 70 l’œuvre manifeste de l’artiste. Faisant appel à
Alberto Giacometti et Auguste Rodin, elle est l’image ou
plutôt la reconstruction intellectuelle de la vie et du
savoir. Cet homme est en pleine marche. Déterminé, il
est représenté à ce moment précis où le point d’équilibre bascule, le pied arrière effleurant à peine le sol. Le
mouvement contraire des bras et des jambes crée une
série d’obliques générant cette impulsion vers l’avant,
vers l’inconnu, vers l’incertain alors que l’œuvre s’inscrit
dans la stabilité et la détermination d’un triangle.
Excessivement allongé, dû à la vue en contre-plongée, le
personnage enjambe les siècles et les montagnes, accumulant expériences et connaissances. A sa grandeur
répond une extrême finesse. En poussant ses propres
limites, l’œuvre se met en péril. L’étirement de la figure
et l’absence de socle cherchent le point d’équilibre mini-
mal et insèrent l’œuvre dans l’espace réel. Louis Dollé
développera une série d’œuvres sur cette problématique
: Eve (2002), Le Chat (2003), La Révolution (2006), et
encore Le Juge (2007).
Si ces œuvres fonctionnent de manière autonome,
d’autres ne s’activent que dans un contexte donné,
comme la série de dessins in situ qu’il réalise pour L’art
des places (2001, 2002, 2003) ou pour l’exposition
Sacré et profane(2004) à la chapelle de la Providence
dans le Vieux-Nice où il reprend à son compte des fig-
ures chrétiennes profondément ancrées dans notre cul-
ture telles que Marie-Madeleine ou Saint Georges.
Louis Dollé inscrit son travail dans un continuum artis-
tique dont les figures phares sont Rodin, Carpeaux,
Carriès, Giacometti mais aussi Ernest Pignon-Ernest Ousmane Sow et encore Ben Vautier. Loin d’une démarche
purement citationnelle ou appropriative, il actualise des
figures issues de traditions extrêmement variées mais
qui renvoient toutes à un fond culturel partagé, d’où la
multiplication de références artistiques, historiques
mythologiques et populaires. La performance La mariée
mise à nue par ses célibataires, mêmequ’il réalise en
2005 au sein de son atelier condense cet esprit.
Empruntant son titre à une œuvre de Marcel Duchamp,
cette performance retrace selon les mots de l’artiste
« 25000 ans d’histoire de l’Art en 25 minutes ». Dollé
appréhende son métier comme un « passeur" d’images
et de significations et se définit lui-même comme un
« Artiste ymagier ». Il perpétue ainsi le long fil de l’his-
toire de l’art et nous rappelle qu’il est fait d’éternels
recommencements.
Chaque nouvelle présentation renouvelle l’œuvre et sa
signification. Ainsi, on peut dire des œuvres de Louis
Dollé qu’elles ne sont jamais achevées mais en constante mutation. D’ailleurs, l’artiste n’hésite pas à multiplier ces
expériences en créant des variantes ou des dérivés de
ses propres œuvres. Les mains(2006-2008), organe du
toucher par excellence, mais c’est aussi premier outil de
l’homme et moyen de communication, d’expression et
d’échange inépuisable, donnent naissance une fois, à
plusieurs installations, lors des manifestations estivales
de no-made. D’abord, Le Jardinier (2006), qui réunit
116 mains en ciment remuant la terre puis Homo Habilis
(2007), où les mains prolifèrent sur un branchage de
fers à béton évoquant le thème de l’immigration.
Le mythe de l’origine de l’univers des contes hantent le
travail de l’artiste. En perpétuant certaines images et
récits, Louis Dollé réactive des questions fondamentales de l’Homme : son origine, son statut, ses rapports
à la nature et à l’autre... Les Clothos (1998-2009),
petits personnages de papier journal confectionnés sur
une armature en métal, proposent une mise en scène
d’une « inquiétante étrangeté ». Leur suspension par des
ficelles, la fragilité et la précarité des corps, leur multiplicité et leur matérialité offrent une expérience corporelle et un rapport à la mort saisissant. L’installation
fait référence au Mythe des trois Parques qui veillent sur
le sort des mortels et sur l’harmonie du monde.
D’ailleurs, elle reprend de nom de l’une d’elle, Clotho, la Parque du présent, qui joue avec le fil de notre destin.
Détentrice de la connaissance et en même temps inaccessible , Eve (2002-2009), nous sourit (parce qu’elle
sait)alors que ses jambes écartées de manière provocante laissent entrevoir l’origine du monde. Réalisée en
résine polyester patinée avec de la terre, l’une d’elles
prend place depuis 2003 à l’Arboretum de Roure où elle
veille du haut de ses 4m25 sur la Vallée de la Tinée alors
que ses pieds s’enracinent dans la terre nourricière. Un
peu plus loin, Gaïase confond avec l’arbre qu’elle étreint
en signe de communion avec la nature. Enfin, Les
Hamadryades(2008), représentent les nymphes de la
forêt. Faites de papier, elles se confondent avec l’écorce
des arbres et les humanisent. Chaque arbre est une vie
et ce n’est qu’ensemble qu’ils forment cette force
génératrice qu’est la forêt. Au fil des ans, les interventions de Louis Dollé au sein de No-Made notamment à
l’Arboretum de Roure façonnent un univers proche de la
nature et en même temps profondément humain.
Le rapport au langage et au corps est omniprésent dans
le travail de Louis Dollé, mais avec Les Anthropolithes
(2005-2009) et Les Monstres (2008-2009), il va
encore plus loin dans ce désir de mêler émotion et signification, réel et imaginaire. Par l’intermédiaire de ses
écrits, Louis Dollé nous transmet ses expériences extra-
ordinaires. Jouant sur les références, le ton de la confidence crée un lien d’intimité prégnant entre l’artiste, le
spectateur et l’oeuvre. Si ses œuvres s’accompagnent
souvent de textes explicatifs, ici, ses notes forment un
récit intrinsèquement lié à l’œuvre. Dollé crée une fiction
de laquelle l’œuvre ne peut pas se détacher. Elle en est
l’illustration, le vestige.
Avec Les Anthropolithes (2005) êtres de pierre qui
auraient été retrouvés, selon l’artiste, en excellent état
de conservation, Louis Dollé forge une histoire et en
donne une « re-présentation ». Disséminés dans la végétation de l’Arboretum de Roure, des vestiges humains
(fesses, dos, troncs, visages) reprenant la roche rouge
caractéristique du site, gisent au sol. Avant même leur
installation, son texte sur ces fossiles humains fait
débat. Sortant largement du contexte artistique, il sus-
cite de nombreuses interrogations qui dépassent totale-
ment l’artiste ravi de voir à quelque point sa supercherie
fonctionne. Cependant, Dollé ne cache pas la facticité de
ses prétentions archéologiques, on peut même dire qu’il
en joue. Le vernissage donne lieu à une véritable performance où l’artiste feint la folie.
Avec Les Monstres(2008), Louis Dollé réalise sa première installation de peintures. Accompagnés de textes
qui rendent compte de ces rencontres fantastiques, l’ex-
position, prend place, non innocemment, dans une faculté de psychologie et étudie notre rapport à autrui et à
la normalité. La diversité des techniques, matériaux et
styles n’est pas là pour nous dérouter, bien au contraire,
elle crée un supplément de sens. Devenu fabulateur,
Louis Dollé interroge notre rapport au savoir et à l’imaginaire mais aussi la notion d’humanité. Son œuvre toute
entière doit se lire comme un acte de re-création qui
questionne notre société et propose une « manière d’être au monde » fondée sur les valeurs humaines et la
transmission du savoir.
Constitué d’artistes indépendants, de compagnies de
théâtre et d’associations socioculturelles, le collectif
investit les anciennes casernes des Diables-Bleus à
Saint-Jean d’Angely à Nice dans un besoin urgent d’espaces de création. Leur volonté est de construire une
friche artistique alternative. Cependant, leur expulsion
en 2004 disperse ce mouvement.
No-made de est une association d’artistes avec laquelle
Louis Dollé réalise des installations in situ aussi bien
dans le milieu naturel, comme à l’Arboretum de Roure et
à Cap d’Ail, qu’en milieu urbain, comme à Cannes.
Rébecca FRANCOIS
Historienne de l’art contemporain
OVV du 08/02/10 sur Nice Azur TV
envoyé par niceazurtv. - Futurs lauréats du Sundance.
Louis Dollé Ymagier
4 rue La Bruyère 06000 Nice
0662292605
Site : http://loudolle.free.fr
blog : www.ymagier.canalblog.com