ERIC VU-AN, le corps au diapason
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Pas de deux&Co
La Direction du corps de Ballet de l’Opéra de Nice vous a été récemment confiée. Comment s’est passée cette première mise en contact ?
En effet, je suis arrivé le 1er septembre et j’ai découvert un Ballet en souffrance, quelque peu décimé, surtout au niveau des effectifs qui ne comptaient pas plus de la moitié de ce que j’avais pu connaître dans le passé. Une équipe relativement démotivée puisque depuis près de trois ans, il n’y avait plus de Directeur de Ballet.
Comment pensez-vous apporter un nouvel essor à cette compagnie ?
Etant arrivé avec un projet totalement différent et autonome, j’ai pu rencontrer la Ville de Nice et j’ai accepté de faire cohabiter ce projet artistique et humain avec la partie du Ballet qui restait. J’ai été encouragé par l’assurance que la Ville de Nice favoriserait des recrutements qui ont, en partie, déjà eu lieu. Une première audition a déjà été assurée fin octobre et l’on devrait, pour l’année prochaine, en prévoir une seconde, au mois de Mars. Malgré les temps difficiles que nous connaissons, il est encourageant de voir qu’il y a une volonté de Christian Estrosi, des adjoints à la Culture et de la Direction culturelle de la Ville de Nice, de donner un essor significatif à l’art chorégraphique, et lui donner la possibilité d’exister dans un écrin magnifique comme l’Opéra, mais lié à une vraie identité et à une forme d’autonomie aussi bien budgétaire qu’identitaire. Aujourd’hui, il s’agit du Ballet Nice Méditerranée.
Cette nouvelle appellation de la compagnie veut traduire une idée forte d’ouverture aux cultures ?
Tant au niveau des sujets que des artistes, je voudrais trouver une véritable synergie avec les acteurs des pays qui bordent la Méditerranée, être l’ambassadeur en région mais aussi sur un plan national et international. Nous possédons un creuset commun, une histoire commune, aussi bien au travers des religions que de l’antiquité et cela peut permettre des points de convergences au travers d’une langue que je souhaite avant tout classique, néo-classique, sans oublier les créations contemporaines.
C’est peut-être également une façon de tisser des liens ?
Oui. Il ne s’agit pas seulement pour la compagnie d’avoir une appellation différente mais à travers elle, j’essaie de tisser des liens. Par cette dimension méditerranéenne, j’ai envie de travailler en réseau. Jean-Christophe Maillot m’invite à danser le Prélude de l’Après-midi d’un faune à Monte-Carlo les 11 et 12 décembre prochain ; c’est une opportunité de venir avec mes danseuses du Ballet pour faire les nymphes de cette pièce de Nijinski. Je veux me rapprocher aussi de l’Ecole Rosella Hightower dirigée par Paola Cantalupo, avec qui je compte travailler. De cette Ecole de Cannes, certaines danseuses vont nous rejoindre dans les Sylphides. Ce lien avec Cannes n’est pas le seul dans les rapprochements que je souhaite sur la Méditerranée. Nous avons des projets avec l’Italie, notamment avec le Directeur du Théâtre Massimo de Palerme pour une pièce que nous devons monter cette saison.
Le public sera t-il au rendez-vous ?
Je trouve qu’il est bien, sur la Côte d’Azur, que le public cherche à voir des choses différentes et découvre ce qu’il n’a jamais vu, parce qu’il est vrai qu’un grand répertoire et certains chefs-d’œuvre du langage classique, n’ont plus été vus depuis longtemps.
Comment abordez-vous ce challenge ?
C’en est un, en effet et qui a débuté dès le premier jour. Pour cela, tous les matins, je suis avec les danseurs, et au cours avec eux. Il ne s’agit pas d’exemplarité parce qu’il faut avoir de l’humilité, mais du dernier danseur entré dans la compagnie jusqu’à l’étoile, si on a foi en son art, la danse, on remet tous les matins son « instrument », son corps, en ordre de marche, on le réaccorde. Ce travail quotidien, cette volonté sont des choses auxquelles je crois pour remotiver la compagnie. Ce n’est pas toujours facile parce que beaucoup ont perdu une certaine confiance. Mais d’autres danseurs vont arriver avec leur enthousiasme à partager, je serai donc ravi de continuer avec ceux qui auront envie de prendre ce train.
Votre expérience est certainement une source d’énergie qui va vous aider à relever ce défi ?
J’ai la chance et le bonheur d’avoir autour de moi pas mal de personnes qui sont mes pères : Dès que je suis arrivé dans la région, Jean-Christophe Maillot m’a lancé une invitation pour me demander de venir danser. Pour le Ballet « Conservatoire », je reçois le décor de toile de l’Opéra de Paris grâce à Brigitte Lefèvre, Directrice de la danse. C’est bien de pouvoir compter sur des amitiés comme celles-là. Nanette Glushak, Directrice du Ballet de Toulouse, avant même de voir la compagnie, a accepté de venir pour une pièce de Balanchine « Allegro Brillante » sur une musique de Tchaïkovski. Il y aussi des costumes du Ballet National de Marseille, où j’avais monté « Conservatoire » qui vont nous être prêtés à nouveau.
En quoi le choix de la première pièce du programme « Conservatoire » est-elle décisive pour annoncer un renouveau de la compagnie ?
Cette pièce permet de situer le niveau et de donner la température, car c’est une pièce dans laquelle les danseurs, déjà au milieu du 19ème siècle, pouvaient voir techniquement où ils en étaient. C’est un ballet qui impose les bases d’une technique classique qui a évolué. Pour le public, tout comme pour les danseurs, c’est un moyen de voir où l’on se situe. Aujourd’hui, l’individualité prend le corps sur beaucoup de choses. Voir qu’un corps de Ballet est, quant à lui, capable de trouver une certaine forme d’harmonie, une certaine forme d’unité aux travers de certains pas est essentiel.
Et vous comptez de cette manière remotiver les troupes ?
Oui. Il s’agit de travailler de manière à ce que les artistes qui viennent d’entrer ou ceux qui ont des variations aient, pour un moment, les mêmes choses à faire, un langage commun. Pour ceux qui en ont la force, la volonté et qui y croient, la porte est ouverte.
La danse peut-elle être plus accessible aujourd’hui ?
Il y a un public qui demande à être nourri de pièces qu’il aura choisi de venir voir, et non pas celles pour lesquelles on leur aura dit que c’est bien ou que c’est intelligent… Je veux que nous ayons la possibilité d’avoir un forme d’exotisme en osant proposer des choses que d’autres ne proposent plus maintenant, des pièces que le public souvent me réclame. Des énergies sont en mouvement pour le bien culturel de la Ville et je pense que c’est le minimum que Nice peut ambitionner de par la position qu’elle a par son tourisme et son passé ; elle a beaucoup a faire !
Qu’est ce qui peut rendre la danse plus proche des gens ?
Le Ballet fera des répétitions et des représentations scolaires. Nous aurons aussi un lieu, qui pourrait être couvert au Conservatoire et devenir un studio dédié au ballet, afin d’y travailler de façon permanente. Sa dimension d’agora est très intéressante car il y a beaucoup d’artistes, et avec eux, nous favoriserons les échanges, nous organiserons des colloques, nous montrerons des films. Ce serait un lieu où l’on rendrait moins ésotérique l’art chorégraphique.
Votre parcours vous a fait rencontrer beaucoup de danseurs, chorégraphes, interprètes : certains d’entres-eux seront-ils associés à vos prochains projets ?
Cela va être une question de budget mais nous allons essayer d’avoir une forme d’autonomie et d’exister par nous-mêmes. Des étoiles de l’Opéra de Paris m’ont déjà donné un oui de principe pour venir participer à certaines représentations ; de grands chorégraphes également, dont un chorégraphe italien avec qui j’ai fait plusieurs créations, qui sait raconter des histoires et mettre le public dans un univers, comme le faisait Béjart.
Les quatre pièces qui seront jouées dès janvier prochain rassureront-elles le public ?
Faire découvrir à un public ce dont il n’a jamais entendu parler comme certains des chefs-d’œuvre du passé, fait partie des choses qui m’intéressent ; Dans ce premier programme, j’ai vraiment la sensation que ces quatre pièces maitresses que sont « Conservatoire », « Allegro Brillante », « L’après-midi d’un faune » et « Les Sylphides » peuvent contribuer à cette découverte.
N’est-ce pas un répertoire un peu trop classique ?
Nijinski n’est pas du tout classique, c’est le chorégraphe le plus contemporain de son époque, rappelons qu’il a été sifflé en son temps. Ce premier programme n’est pas uniquement classique. La danse classique est une langue ; Avec les danseurs pour l’instant, je veux utiliser cette langue pour installer la personnalité de cette compagnie, sa qualité, son excellence. Au fur et à mesure, on pourra découvrir de nouveaux rivages. L’important est que le public soit content, donc rassuré.
Aura-t-on la chance de vous retrouver sur scène ?
Je suis là avant tout pour servir la compagnie avec cette nouvelle pensée. Si l’on me demande de danser et comme on me le demande déjà, je ne refuserai pas, si cela peut être utile et servir de carte de visite. Je continue à danser. J’aime venir prendre mon cours le matin. J’aime être là pour me remettre au diapason. Pour ce qui est de la scène, j’ai eu tellement de moments extraordinaires, - et j’espère en avoir encore-, que j’ai plus envie, aujourd’hui, de transmettre. Je voudrais faire que certains jeunes danseurs et danseuses accouchent d’eux-mêmes à travers leurs propres expériences, dans un répertoire que j’ai eu la chance de défendre et qui m’a beaucoup nourri.
C’est donc la passion qui vous anime avant tout ?
Il est essentiel pour moi de me nourrir dans les œuvres du passé. Si elles ont survécu deux ou trois cents ans, c’est que ces œuvres avaient bien autre chose à exprimer au-delà de la simple esthétique ou de la technique. Parler de la danse, résonner avec mes danseurs sur une histoire, une forme classique, permet une spiritualité qui commence à exister. C’est important que les danseurs, chorégraphes ou interprètes sachent que cela existe pour leur créativité propre afin de nourrir leur propre imaginaire. J’aime cette citation d’Henry James « D’abord continuer, ensuite commencer », parce qu’il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas une génération spontanée. Il faut réussir à parler aux gens, à partager et l’on peut commencer quelque chose à partir du moment où on a une continuité.
Que le danseur soit toujours un être humain, qui dans sa constante de rapport à la douleur, à l’amour, au parcours de la vie, puisse faire résolument voyager.
Informations pratiques :
BALLET NICE MÉDITERRANÉE :
- vendredi 29 Janvier à 20h, samedi 30 à 20h et dimanche 31 à 14h 30 :
- Conservatoire, chorégraphie d’Eric Vu-An d’après Auguste Bournonville, musique Holger Simon Paulli
- Allegro Brillante, chorégraphie George Balanchine, musique Piotr Ilyitch Tchaïkovsky
- L’après-midi d’un faune, chorégraphie Vaslav Nijinsky remontée par Eric Vu-An, musique Claude Debussy
- Les Sylphides, chorégraphie Michel Fokine recréée par Eric Vu-An, musique Frédéric Chopin avec la participation de Elisabeth Cooper, piano
Location et renseignements : 04 92 17 40 79
Tarifsde 7 à 20 €
Opéra de Nice : 4 & 6 rue Saint-François de Paule, 06300 NICE
www.opera-nice.org