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Quand les artistes décorent les chapelles (suite)

Henri Matisse à Vence

« Cette chapelle est pour moi l’aboutissement de toute une vie de travail et la floraison d’un effort énorme, sincère et difficile. Ce n’est pas un travail que j’ai choisi mais bien un travail pour lequel j’ai été choisi par le destin sur la fin de ma route, que je continue selon mes recherches, la chapelle me donnant l’occasion de les fixer en les réunissant* ». C’est ainsi qu’Henri Matisse parlait de la Chapelle du Rosaire des Dominicains de Vence, qu’il a entièrement construite, avec l’aide de Frère L.-B. Rayssiguier, et décorée, entre 1949 et 1951. Édifiée en remerciement à Sœur Jacques-Marie, qui fut son infirmière, elle accueille les prières des religieuses du couvent qui la jouxte et accueille une messe tous les dimanches. Les deux éléments de l’art de Matisse s’y retrouvent pleinement : la couleur, dans les vitraux, et le dessin, sur les panneaux de céramique aux murs. Seules trois couleurs sont utilisées : le vert, le jaune et le bleu, les trois couleurs de la création. En toute saison, et à toute heure du jour, le soleil projette à travers les vitraux des taches de couleur sur le sol blanc : elles vont du mauve au pourpre, alors que le jaune dépoli (Matisse tenait beaucoup à ce qu’il ne soit pas transparent car il symbolise la lumière de Dieu) donne des reflets ocre. Le vitrail du fond de la chapelle, derrière l’autel, représente l‘Arbre de vie, incarné en une cactée, une plante qui grandit toute seule. Il est couronné d’un rideau de verre jaune, symbolisant une séparation très fine entre l’intérieur et l’extérieur, et tombant en drapé sur les côtés. On trouve un autre type de végétation sur les quinze fenêtres en tuyaux d’orgue situées sur la gauche de la chapelle : des feuilles de palmier. À droite se trouvent les murs de céramique, comme un grand livre ouvert où les pages blanches donnent l’explication des images. Ils sont constitués de grands carreaux de terre cuite émaillée en blanc et portent des dessins noirs filiformes.

© Succession H. Matisse

« Nous prions dans un climat de beauté »

Un panneau représente Saint-Dominique, qui n’a pas de visage : il est tous les hommes du monde. Dans son vêtement, on distingue un M, qui peut vouloir dire aussi bien Marie que Matisse, qui n’a pas signé son œuvre. Le saint patron des dominicains se trouve ainsi face aux sœurs, priant avec elles dans le Christ, situé entre eux sur l’autel. « Nous prions dans un climat de beauté, c’est très important pour nous », explique l’une d’elles, Sœur Marie-Pierre. L’autel est d’ailleurs orienté à l’est, donc de biais, pour permettre au prêtre de voir les fidèles et les religieuses. Il est construit de trois blocs de pierres de Rogne, à l’aspect de pain, nourriture du corps et de l’esprit. La porte du tabernacle a été gravée par Matisse. Tabernacle qui fait corps avec la masse de l’autel et qui abrite le calice. Les chandeliers évoquent les corolles d’anémone, la fleur préférée de l’artiste. Le panneau à côté de celui de Saint-Dominique représente la Vierge et l’enfant. Ils inspirent la sérénité pour un recueillement dans la prière. Sur la droite du dessin, un seul trait suffit à écrire leurs corps. Une union parfaite. Pour Sœur Marie-Pierre, le « AVE » inscrit en haut à gauche veut aussi bien dire le nom de Dieu que « EVA », la nouvelle vie, nouvelle vie ou vie divine. Marie protège Jésus sans l’enfermer et lui-même accueille ses fidèles les bras grands ouverts. Une position qui n’est pas sans rappeler celle de la crucifixion. Le ton du panneau du fond, représentant la passion, est d’ailleurs tout à fait différent : la violence s’y ressent fortement, avec des lignes brisées qui contrastent avec la douce rondeur des céramiques. Tout en conservant leur individualité, l’artiste a fait de ces quatorze scènes un ensemble cohérent et ascendant, centré autour du motif principal : le Christ sur la Croix. À droite de l’entrée de la chapelle se trouve la porte du confessionnal, taillée dans un seul morceau de bois et directement inspirée des moucharabiés que Matisse a pu admirer au Maroc. À travers elle, les murs blancs semblent roses. « Tout est blanc et rien n’est blanc », disait l’artiste. En effet, par un jeu de lumières, c’est la couleur complémentaire du vert du vitrail d’en face qui se reflète sur le sol et les murs. Dans la galerie située derrière la chapelle, les chasubles des prêtres, dessinées par Matisse, sont exposées, ainsi que deux autres maquettes de la chapelle sur lesquelles il avait travaillé. « Mais elles invitent moins à la prière car elles sont d’un style moins épuré », commente Sœur Marie-Pierre. En effet, Matisse disait de sa chapelle qu’elle était un « grand témoignage calme du vrai ». Et il voulait que ceux qui entreraient dans sa chapelle « se sentent purifiés et déchargés de leurs fardeaux ».
*Cité dans Chapelle du Rosaire des Dominicains de Vence, 2006.

Pablo Picasso à Vallauris

L’édifice ancien, daté entre la fin du XIIè et le début du XVIIIè siècle, donne à cette œuvre tout son caractère sacré et universel, venant renforcer ses références à l’art antique et rupestre © Succession Picasso

C’est en 1950 que, dans la chapelle du château de Vallauris, sont installées les deux œuvres La Guerre et La Paix. L’édifice ancien, daté entre la fin du XIIème et le début du XIIIème siècle, donne à cette œuvre tout son caractère sacré et universel, venant renforcer ses références à l’art antique et rupestre. La chapelle est un édifice à nef unique. Les pierres utilisées, de nature variée, lui confèrent des tons allant du gris au rose, en passant par l’ocre. L’église Sainte-Anne de Vallauris s’insère dans un ensemble de constructions en Provence orientale de style roman tardif. L’artiste a choisi cette église car, installé à Vallauris depuis 1948 et fait citoyen d’honneur en 1949, il était particulièrement choyé par les habitants de cette ville (qui y avaient célébré ses soixante-dix ans). C’est durant ce banquet donné en 1951 en son honneur que Picasso décida de décorer la voûte du vestibule attenant à cette chapelle. Restait à régler certains problèmes techniques : chaque panneau mesure 10 mètres de longueur sur 4,70 mètres de hauteur. Un menuisier local a donc été chargé de fixer sur la voûte en pierre une armature en bois destinée à recevoir les deux compositions de ce temple de la paix. La peinture des panneaux n’a pas été exécutée sur place mais dans l’atelier du Fournas, qui a dû être aménagé pour offrir un espace suffisant.
Picasso ne réalise aucune esquisse d’ensemble mais de très nombreux croquis de détail. Au total, on compte près de 250 dessins préparatoires et une huile. À la mine de plomb ou à l’encre de Chine, ils comportent de nombreux motifs, comme La Danse des trois petites filles, qui ne se retrouvent pas dans la composition finale. En revanche, certains personnages, comme L’homme au bouclier, sont déjà présents. « Même la peinture peut pleurer » C’est en août 1952 que Picasso entreprend la peinture des deux œuvres. Chaque panneau est constitué de plusieurs rectangles d’isorel, matériau suffisamment flexible pour être ensuite adapté à la forme de la voûte lors de l’installation dans la chapelle. Réalisée à la peinture pour bateaux, la fresque comporte des coulures, que Picasso n’a pas pris le temps de rectifier. À ceux qui ont pu le lui reprocher, il répondait : « Même la peinture peut pleurer ». La Guerre et la Paix va d’abord être exposée en Italie en 1953 avant d’être accrochée dans la chapelle en 1954. Après 1957, il ajoute une troisième composition sur le thème des quatre parties du monde se réunissant autour de la colombe de la paix. Après Guernica, en 1937, et Massacre en Corée, en 1951, La Guerre et la Paix est, pour Picasso, la dernière manifestation de son engagement politique : un manifeste pour la paix.

Détail de la Guerre, un guerrier tenant une boîte de bactéries, en cette période (les années 50) de guerre froide et de menace de guerre bactériologique © Succession Picasso

La Guerre, montée sur un char antique, déploie son cortège de malheurs, avant d’être arrêtée par la justice au bouclier orné de la célèbre colombe. On voit une boîte contenant des bactéries, en cette période de guerre de Corée, où les rumeurs de guerre bactériologique menée par les Américains allaient bon train. Tout le long de la peinture, en bas, on voit une bande de sang. Les guerriers portent des armes intemporelles comme des haches et des sabres. Mains coupées, maigres chevaux noirs, autodafés, moisson fichue… Le tableau parle de lui-même. Dans le bouclier du guerrier, on peut distinguer le visage de Françoise Gilot, sa compagne et mère de ses deux enfants, Claude et Paloma. La Paix associe la figure du funambule, qui exprime le fragile équilibre, à celle d’une famille qui, sous un oranger, jouit du bonheur calme de l’été. L’ensemble constitue un double manifeste, politique et esthétique. Des musiciens jouant d’une flûte antique font danser les femmes, tandis qu’un enfant se tient près d’une cage contenant des poissons et un bocal des oiseaux : cela pourrait signifier qu’en temps de paix, tout est possible. Et l’espoir aussi que la jeunesse ne reproduise pas les erreurs de ses aînés.

Jean Cocteau à Fréjus

À l’origine, la chapelle Notre-Dame-de-Jérusalem devait abriter des artistes dans le quartier de la Tour de Mare. Mais à la mort de son concepteur, le banquier niçois Jean Martinon, le projet de « cité idéale » a été abandonné. Peu avant sa disparition, il avait fait appel au poète Jean Cocteau. Aidé de l’architecte Jean Triquenot, ce dernier a conçu les plans et la décoration de la chapelle. Il a également travaillé sur les maquettes en taille réelle des trois portes vitraux avec le peintre niçois Raymond Moretti. À sa mort, en 1963, l’œuvre reste inachevée. Son fils spirituel Edouard Dermit exécutera la décoration à partir des dessins préparatoires, avec un système de rétroprojecteur. C’est également grâce à sa collaboration que la chapelle pourra être rénovée en 1992 avec, notamment, la réalisation des mosaïques selon les maquettes de Jean Cocteau. Les spécialistes peuvent déceler qu’il ne s’agit pas du trait de Cocteau, qui était plus rapide et moins plein. De son côté, le céramiste Roger Pelissier réalise le revêtement du sol. Il s’agit d’un monument octogonal, reprenant la structure de l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem, ceint d’une galerie de grès vert. Les dessins sont directement exécutés sur le support mural (ciment) à l’aide de fusain et de crayons de couleurs à l‘huile. Les fresques intérieures représentent la Passion du Christ. Dans La Cène, on peut distinguer un autoportrait de Cocteau et un portrait de Jean Marais. On peut y deviner aussi certains de ses familiers : Coco Chanel, Raymond Radiguet, Francine et Carole Weisweiller ou encore Max Jacob. Les scènes traditionnelles se mêlent à des représentations plus énigmatiques, comme de grands personnages hiératiques psalmodiant et des portraits d’orants. À côté de la scène se trouve Jésus aux outrages, couronné d’épines et entouré de deux soldats, l’un juif, l’autre romain. La crucifixion est traitée en contre-plongée, inspirée du Christ de Mantegna et à l’inverse de celle de Salvador Dali, deux anges en miroir méditant au pied de la croix. Une vierge à la rose figure un portrait de Marie où la couronne a été remplacée par des tiges de rosier. Deux immenses roses encadrent la scène. Sur la porte menant à la sacristie, une esquisse représente certainement le christ enfant. Pour la résurrection, Cocteau a choisi un ange blond levant le manteau rouge du Christ qui apparaît à demi aux soldats romains surveillant le tombeau.

Le bâtiment est ceint d’arcades de grès vert, le même qu’utilisaient les Romains dans leurs constructions. Les mosaïques ont été réalisées en 1992 selon les maquettes de Jean Cocteau

Croix potencée et Croisés

Devant un grand soleil d’or, un ange souffle de la trompette pour annoncer l’Apocalypse : c’est l’ange exterminateur. Deux groupes symétriques de personnages coiffés de hauts chapeaux, revêtus de la cape à la croix potencée et tenant en main ce qui semblerait être des partitions de musique, chantent les louanges du Christ. Le visage de Jésus tracé au fusain évoque le Saint Suaire. Un blason semble être l’interprétation de l’artiste de celui de l’Ordre des Chevaliers du Saint-Sépulcre. Car la décoration de la chapelle représente un second thème : celui des Croisades et plus particulièrement le thème de l’Ordre des Chevaliers du Saint-Sépulcre. La croix potencée est partout dans la chapelle. À l’entrée de la chapelle et sur la table de l’autel, on peut lire la devise des croisés écrite comme à l’origine : « Dieu le veult ». Sur les mosaïques extérieures, on peut voir Jérusalem prise par Nabuchodonosor (587 ou 597 av. J.-C.) et l’ange libérateur sonnant de la trompette, à la période des Perses : le temple de Jérusalem est reconstruit et le peuple Juif libéré. Un personnage féminin souffle sur une bougie : c’est la représentation de la lumière, du souffle nouveau. Vient ensuite l’annonciation, avec la Vierge et l’ange Gabriel. Un centaure, symbolisant le Mal ou Babylone commandant à la chute de Jérusalem. Si le graphisme est ici plus simple que dans la chapelle de Villefranche-sur-Mer, Cocteau a mis beaucoup de couleurs, « un bain de couleurs », dans ses dessins. Il a également fait pénétrer les forces de la nature dans la chapelle, comme souvent dans son œuvre : la végétation est très présente, l’autel est transformé en rocher, le sol est conçu de telle façon qu’on dirait de l’eau en mouvement. Si les anges ont ce magnétisme si fort, c’est parce qu’il n’a pas toujours été facile pour l’artiste de mener à bien son œuvre. Ne disait-il d’ailleurs pas : « Ce n’est que dans les chapelles qu’il y a des anges » ?

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