Musée Cocteau : « Artistes sans papiers »
« Moninot et Sabrier sont les premiers artistes que nous souhaitions inviter dans l’espace du musée dédié aux artistes contemporains » commente Célia Bernasconi, Conservateur du Musée Cocteau. Un musée qui, est-il besoin de le rappeler, a ouvert ses portes en novembre dernier et représente la plus importante collection au monde d’œuvres de Cocteau. La plupart de ces pièces issues de la donation Severin Wunderman étant des dessins, le musée s’est doté d’un espace d’exposition de 275 m2 dont la vocation est de présenter les créateurs actuels qui renouvellent la pratique de la discipline.
" Montrer ce qu’est le dessin aujourd’hui "
Le premier à avoir inauguré ce cycle est Jean Sabrier (dont l’exposition est visible jusqu’au 7 mai). Un artiste qui entretenait un lien direct avec Cocteau, les deux artistes partageant un goût commun pour Paolo Ucello, un peintre italien de la renaissance qui initia une forme de géométrie inconnue en développant les notions de perspectives. Cocteau se fit d’ailleurs appeler « Jean l’oiseleur » en hommage à cet artiste du quattrocento qui orna d’une myriade d’oiseaux les murs de sa demeure. Jean Sabrier reprend dans son travail le concept d’objets mis en perspective offrant un regard nouveau sur la peinture ancienne. Plus de 37 000 visiteurs ont déjà visité cette exposition confirme Célia Bernasconi. « Le musée Cocteau propose un tarif ouvrant l’accès à la collection Wunderman, un autre incluant en plus l’accès à l’espace contemporain. La plupart prennent cette option. Les objets de Sabrier qui permettent de voir des structures géométriques en relief sont très appréciés de tous les publics »
Bernard Moninot : un cabinet de travail humaniste
La pertinence de cet espace devrait encore s’enrichir avec son prochain invité : Bernard Moninot né en 1949 à Le Fay (Saône-et-Loire). De fin juin à fin novembre, le public du Musée Cocteau pourra découvrir cet artiste atypique qui vit et travaille au Pré Saint Gervais et à Château Chalon mais qui se fit rare sur nos rivages. Bernard Moninot exposa en 1979 à la Fondation Maeght puis en 1987 à la galerie Sapone. Depuis les années 1970, il pratique le dessin et la gravure. Il enseigne aujourd’hui à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et expose de par le monde une œuvre singulière dont la poésie graphique est induite par des installations qui tiennent du laboratoire scientifique et du fameux « studiolo » des princes de la Renaissance, où étaient conservés les instruments d’observation, de mesure de l’espace et du temps. Tel un découvreur, Moninot n’a eu de cesse depuis les années 80 d’expérimenter le dessin sur différents supports puis dans l’espace cherchant à s’émanciper de son geste originel pour laisser l’œuvre se construire dans l’espace à partir d’une énergie autre que la sienne.
" L’art des solutions imaginaires "
Pour le musée Cocteau il a conçu une exposition in situ dont le projet repose sur la projection en 3D de son atelier dans l’espace via des installations qui n’ont recours qu’à des techniques douces : la lumière naturelle, les ombres portées, les jeux de transparence. Constitués d’ombres, ces dessins dans l’espace qui changent en fonction de la journée et du déplacement des visiteurs, nécessitent une savante réflexion en amont. Ainsi Moninot s’est-il attaché à recueillir, observer et étudier des éléments du monde vivant, dans le but de faire apparaitre des phénomènes invisibles tels que le vent, ou le silence via des installations dont la finalité n’est pas tant leur plasticité que leur faculté à générer une certaine poétique de l’éphémère, à révéler l’invisible tel une Camera Obscura ou une plaque sensible.
L’une de ses expériences les plus emblématiques lui sera « soufflée » durant son sommeil. Une démarche qui le lie avec Cocteau qui puisa dans le subconscient la trame de ses œuvres. Célia Bernasconi développe : « En 2009, Bernard Moninot rêve qu’il visite l’atelier d’un artiste inconnu dont l’œuvre est une sculpture de silence. Cet atelier est entièrement vide. A son réveil, il décide de donner une forme à cette idée poétique et de réaliser l’impossible. » Dès lors l’artiste tracera sur des carnets à dessin des combinaisons de formes pour capturer le son et le silence. Ces croquis ensuite transposés dans l’espace, donneront naissance à trois installations. « Objets de silence » présente des sonogrammes où le mot « silence » est mis en relief avec de la corde à piano et enfermées dans des vases en verre. « Silent-Listen » qui est un dessin dans l’espace d’objets (cymbales, bandes magnétiques, diapasons etc.) dont les ombres portées envahissent les murs. Enfin, avec « Antichambre » il crée une œuvre suspendue, qui tourne sur elle-même tel un satellite et dont la révolution dans l’espace provoque l’apparition, la déformation et la disparition des ombres et des reflets qu’elle génère. Entamée en août 1999, « La mémoire du vent » est elle composée de dessins miniatures, tracés par le vent selon une ingénieuse mécanique imaginée par l’artiste « J’avais fabriqué un appareil capteur très simple qui reçoit dans des boîtes de Pétri préalablement obscurcies par du noir de fumée, le tracé que compose, au gré du vent, la pointe aiguë de végétaux : herbes, feuilles, fleurs, épines… » A Menton, ces dessins du vent seront recueillis par l’artiste dans l’un des jardins de la ville, proche du Musée Cocteau.
L’œuvre de Bernard Moninot est aussi fascinante qu’inclassable. « Le plus juste serait de dire qu’elle est de l’ordre du dessin : mais un dessin élargi (au sens où Novalis avait pu parler de « poésie élargie »), se déployant en objets spatiaux sur ou par des matériaux de tracement et d’inscription absolument originaux… », explique Jean-Christophe Bailly qui signe une monographie (éditions André Dimanche) à l’occasion de cette exposition « Bernard Moninot, Dessins dans l’espace ».
Exposition « Bernard Moninot, Dessins dans l’espace » du 6 juin à fin novembre 2012 Musée Cocteau
2 quai Monléon à Menton
04 89 81 52 50