Laurence Jenkell « Je vous ai apporté des bonbons… »
Une artiste atypique par sa détermination, son énergie à produire, à se produire (la liste des lieux où elle a exposé rivalise avec celle d’un tour opérateur) car l’artiste n’a jamais cessé de creuser son sillon dans le sucre ou du moins sa représentation.
À ce point on est tenté de convoquer la psychanalyse, mais Jenkell nous coupe l’herbe sous le pied : « Enfant j’en ai été privée. Aujourd’hui je prends ma revanche, j’en fais, j’en mange, j’en use, j’en abuse. C’est un vrai bonheur de travailler ce sujet qui est chargé de symboles, le désir, l’enfance, la séduction, le bonbon c’est ma madeleine de Proust ! ».
Et c’est vrai qu’on pourrait frôler l’indigestion dans son vaste atelier show-room de Vallauris tant les sucreries s’y déclinent dans tous les formats (berlingots, ovales, caramels, etc..), coloris ou motifs, et dans toutes les matières avec une prédilection pour l’altuglas. Une obsession qui renvoie aux accumulations du Nouveau Réalisme aux productions sériées du Pop art. Deux courants qui n’ont pas échappé à l’artiste qui eut d’ailleurs son premier émoi face aux inclusions d’Arman quelques années avant d’assouvir artistiquement sa gourmandise et de créer son propre atelier où évolue son équipe d’artisans. Mais les bonbons quand on aime on ne compte pas, le propre de la gourmandise n’est-il pas d’ailleurs dans la démesure ?
Une drôle de confiserie
Depuis 1995 les Bonbons de Jenkell ont fait quasiment le tour du globe. L’artiste est dans 25 galeries et l’une de ses sucreries trône même à Pékin au Sunshine muséum : « Au début on m’a dit ne fait pas ça, c’est un sujet qui n’intéresse personne. J’ai eu raison d’insister car le comestible sucré est un langage universel peu abordé dans l’histoire de l’art si ce n’est par Dorothée Selz et Antoni Miralda via leurs paysages meringues ou gâteaux jardins. Il n’est pas un pays où il ne soit pas présent, n’attire les regards, suscite l’envie. En Asie lors d’une exposition nous avons découvert un magasin aux rayonnages impressionnants. J’en ai tellement acheté en vue d’en faire plus tard des sculptures que j’avais un excédent de bagages ». Mais tout commence pour Jenkell le jour où lassé de réaliser des coulures de caramel sur toiles et des inclusions de friandises (shamalow, réglisses, fraises Tagada) elle s’amuse à passer dans son four des chutes de plexiglas.
Le résultat l’enchante. La matière a fondu en se tordant sur elle-même. Celle qui enfant tortillait sans cesse des petits bouts de papiers vient de mettre au point un de ses process de fabrication : le Wrapping qui lui servira à conférer toute sa sensualité à ses sculptures bonbons. Une autre étape lui permettra d’offrir à son travail la lisibilité et le souffle qui lui manquaient. En 2007 elle réalise avec le concours de la Fonderie JLB son premier modèle géant en aluminium.
D’autres bonbons XXL sont nés depuis, l’artiste perfectionnant sa technique et son modus operandi. « Comme je suis insomniaque la nuit je dessine. Le lendemain on retravaille le modèle à l’ordinateur. Sa vue en 3D permet d’apprécier son fonctionnement dans l’espace et de corriger les erreurs ». Pour le travail de sculpture Laurence intervient elle-même. Quand il s’agit de polyester ou plexiglas, elle découpe à la scie circulaire, fond, façonne, assemble, peint, laque, vernis etc. Pour d’autres matières elle fait appel à des intervenants extérieurs. « Le dernier en marbre de carrare a été réalisé en Italie, ceux en métal ou aluminium dans une fonderie ». En plexiglas ses sculptures sont des pièces uniques. En polyester ou alu elles sont tirées en 8 + 4 E.A.. Les prix de vente varient selon les tailles (de 2 à 5 mètres pour les plus grands) entre 35 000 et 75 000 euros.
Bonbons drapeaux
Les Bonbons de Jenkell naissent au sud mais passent leur temps à voir du pays. Beaucoup d’entre eux quittent leur « confiserie » pour voyager de par le monde où ils sont exposés en galeries, lors de ventes aux enchères comme celui bicolore présenté en décembre prochain à Monaco pour « Fight Aids » et pour des événements prestigieux ou populaires.
À Monte Carlo cet été les bonbons de Jenkell reprenaient l’idée du jeu.
Pour la coupe du Monde de Rugby ils enveloppaient un ballon signé par l’équipe d’Argentine. Pour les JO de Pékin ils servaient d’écrin aux mascottes, ils se sont mis au cinéma pour le FIF de Cannes, sur leur trente et un pour les griffes de mode les plus illustres Chanel, Vuitton, Gucci, Cartier. À Dubaï, Jenkell créa un bonbon hommage à la célèbre chanteuse égyptienne Oum Kalsoum. Elle fit de même pour Saint Sébastien, le Saint fétiche des gays, en habit rouge chrome transpercé de flèches. L’artiste créa aussi des bonbons Dragons en Asie, des Bonbons en dentelles, des Bonbons Coca Cola pour le Musée de la marque à Atlanta, sans oublier une série sur les Drapeaux car on l’aura compris la douceur signée Jenkell brille par son universalité et sa faculté à s’introduire partout comme en témoigne avec malice sa dernière œuvre : Un cheval de Troie een aluminium rempli de sucreries. Mais c’est en intégrant l’Opera Gallery que l’artiste a franchi une étape de plus vers la reconnaissance de son travail. « Je suis présente dans 11 galeries du groupe Opera Gallery. Ce qui me permet une visibilité extraordinaire à l’international. Cette année j’ai ainsi pu aller à la rencontre de publics très différents à Paris, Monaco, Genève, Hong Kong, Singapour. Je serai le 18 décembre à Londres et bientôt à Pékin où Opera Gallery vient d’ouvrir un grande espace à la mesure de la Chine ». Laurence qui est également représentée en Allemagne, au Venezuela, à Istanbul, à Marrakech et qui vient de signer avec une galerie New Yorkaise se partage entre son atelier et ses vernissages aux quatre coins de la planète. Elle est repartie pour Séoul alors que le pavillon Lenôtre exposait son travail durant la FIAC. Elle sera en 2011 à la foire Art Basel et nous réserve une surprise de taille pour l’été prochain. Qui a dit que le bonbon se la couler douce ?