Julien Bouillon ou l’hétérogénéité des propositions (1/3)
Julien Bouillon est un artiste contemporain, né en 1971 à Forcalquier dans les Alpes de haute-Provence. Désormais, il vit et travaille à Nice. Difficile cependant de le situer dans un art, le personnage se plaît de jouer de médium en média !.. Certes la photographie, la vidéo, le son et le multimédia sont les supports privilégiés de ses œuvres. Toutefois il opère avec la même aisance dans des performances « en live » et multiplie les installations mixtes.
De fait, ses œuvres ne paraissent qu’un prétexte !.. L’essentiel de son travail est d’interroger les pratiques artistiques, tout en prenant bien garde de ne pas s’y laisser enfermer…
« Faire un art qui serait unique et répétitif ne m’intéresse pas. C’est certainement dommageable pour ma carrière parce que les clients ou les personnalités du monde de l’art ont besoin d’identification. On est quelque peu soumis à la dictature du logo : faire un art qui se repère du premier coup d’oeil. Cela ne m’attire pas. Je veux bien être artiste mais je souhaite faire ce que je veux. Je circule beaucoup dans les médiums, les idées, les histoires de tous ordres. Je me suis toujours dispersé. À mon sens, l’art est fait pour penser. Mais il est aussi possible de se situer dans le domaine de la décoration, de la présence pure, d’autant que le décoratif lui-même est une question de l’art. »
Julien Bouillon, Interview de Marie-Émilie Fourneaux,
à propos de l’exposition HIC Villa Arson 2011
Son parcours
Son parcours pourtant parait en apparence plutôt simple ; diplômé de la Villa Arson, cet établissement public d’enseignement des arts fondé en 1970 et situé au nord de Nice, Julien Bouillon en comprend vite les dédales et s’y « installe ».
Dès 2002, il y est invité à réaliser sa première grande exposition. Le visiteur était « accueilli par une rampe descendante qui le mène à une projection vidéo aux effets psychédéliques, il est ensuite confronté, dans un second espace, à un vaste wallpaper couleur chair qui sample une éruption cutanée, simulée par une image numérique, pour finir, il tombe nez à nez sur trois pistolets en céramique aux couleurs douteuses, relectures incarnées de l’urinoir duchampien.
Le catalogue qui comporte des vues des deux installations et des détails des pièces est accompagné d’un texte énigmatique de Maxime Matray qui vient parler entre les lignes de la démarche de Julien Bouillon via la métaphore de la recette du risotto. »
« La corruption, la corruption ! Voilà sans doute ce qui se laisse immédiatement repérer dans les installations de Julien Bouillon, avec à la clé l’émergence d’une question fondamentale : comment se fait-il que ces marchandises qui nous réjouissent tant finissent un jour ou l’autre par être périmées ? Je croyais pourtant qu’il était incassable… énonce le petit d’homme devant le cadavre du chiot de noël 1987… Near Death Experience, sitcom de la vanité, angoisse de sentir que la chair n’est qu’un piège qui se referme sur lui-même, tant et si bien que ça plisse et ça cloque (comme, en d’autres lieux, plisse la peinture, mais moins inexorablement, car elle s’arrête juste au bord, elle), sont autant de motifs pour Julien Bouillon. Mais, attention ! La mort n’est pas LE sujet. Ce qui intéresse ici, c’est ce qui se passe juste avant, quand le corps crie qu’on le laisse faire encore un peu, ce corps intubé, mis en machine (machiné, dira-t-on, comme mis en intrigue), mis en images ici et là, dispersé dans l’inventaire post-clinique de ses parties dolentes. »
Communiqué de presse de la Villa Arson, Maxime Matray
exposition du 26 octobre 2002 au 5 janvier 2003. Commissariat : Laurence Gateau.
Depuis, il est devenu « enseignant », comme on dit dans cette désormais vénérable institution où il déploie l’essentiel de ses activités, comme commissaire ou comme « parasiteur » officiel . Il y professe l’esthétique et s’investit dans son administration pour l’ouverture d’un futur doctorat.
Parallèlement, il a travaillé quelques années, de 2005 à 2009, avec et dans le cadre de la Station , un collectif niçois d’artistes. Il se plait également à écrire pour lui-même ou comme critique d’art, notamment dans Art Press.
« Julien Bouillon possède l’art de concilier les contraires : à la fois « sémionaute », pour reprendre un terme de Nicolas Bourriaud dans Postproduction, naviguant dans une mer de signes, de symboles, reconfigurant leur structure par des combinatoires quasi oulipiennes ou néo-conceptualistes (comme lorsque il extrait des phrases de la Lettre à Louis Althusser (1963) de Jacques Lacan pour les reporter sur les murs de la galerie en lettres adhésives dans une exposition collective, interagissant avec les œuvres présentes), il peut avec désinvolture devenir craftman et se saisir de savoir-faire immémoriaux comme la peinture, la céramique ou la sculpture sur os. En peignant sur toile de manière hyperréaliste la carte postale d’une peinture abstraite, une collection de pièces de monnaie anciennes ou en interrogeant le grid system qui préside au webdesign, Julien bouillon s’affirme comme un artiste anthropologue prenant en compte toutes les époques et tous les aspects de notre espace construit. »
Yann Ricordel
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2/ Laurence Gateau, Commissaire, Catalogue 8 pages, publié dans le cadre de Julien Bouillon, 2002
3/ Julien Bouillon a parasité en tant « qu’artiste », l’exposition collective Double Bind organisée en 2010 par Eric Mangion, directeur de la Villa Arson. Intitulées 1% Lacan, ses phrases étaient inscrites ça et là sur les murs, autour des oeuvres.
4/ au fond : Bas Jan Ader, I’m too sad to tell you, 1970, exposition Double Bind/Arrêtez d’essayer de me comprendre
5/ La Station a été créée en 1996 par trois artistes issus de la Villa Arson. Leur but était « de défendre les arts dans leur forme la plus contemporaine ». A l’origine, cette association d’artistes s’est installée dans les murs d’une ancienne et belle station-service désaffectée, située au 26 boulevard Gambetta à Nice, d’où son nom. Voir http://www.artcotedazur.fr/artistes.... Actuellement elle est installée 89 Route de Turin 06300 à Nice, à proximité du 109.
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