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Jean-Luc Verna « Le corps qui rêve »

Alors qu’il continue à danser d’Oslo à Séoul avec Gisèle Vienne, qu’il vient de réaliser au Mac Val « un grand mural sur bois » et qu’il sera cet été sur grand écran pour les métrages de Brice Dellsperger où il incarne tous les personnages de ces remakes dont « L’important c’est d’aimer », nous avons rencontré l’étrange Verna…

La première chose qui frappe dans ton travail c’est toi !

Jean-Luc VERNA * "La rosée reprend ses perles", 1844, J.C. ZIEGLER. * "Heart of glass", DEBBIE HARRY (BLONDIE), danse du voile, video-clip. 2005 tirage argentique 40 x 30 cm Edition 10 courtesy Air de Paris, Paris

- Jean-Luc Verna : Ce travail sur mon corps découle de tous les autres : le dessin mais aussi la photo, la vidéo, la danse la musique. Je gère mon corps comme une image, je le corrige, le rehausse. C’est un autoportrait en mouvement comme le souligne les expos successives « Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ? — Non. »

Un projet artistique parfois mal perçu.

- Jean-Luc Verna : C’est pour cette raison que j’habite à Paris maintenant. Ici quand ne me prend pas pour un skin, on voit que suis un PD. De toute façon j’ai tord ! J’ai perdu quatre dents à cause de ça. Je n’ai jamais eu peur d’en découdre mais à 45 ans je préfère consacrer mon énergie à ce travail et à mon corps qui est un chantier permanent qui ne cesse de se dérober à moi.

Peux-tu préciser car Orlan travaille elle aussi sur ce thème ?

- Jean-Luc Verna : Je ne conçois pas mon corps comme une œuvre d’art. Je me rends possible pour les différentes activités de performer. D’un point de vue éthique je me refuse d’ailleurs à développer le physique imposé par une idéologie gay qui est devenu aussi rigide que celle des gens qui les ostracisaient. Je ne suis pas un vrai sportif, je m’entretiens mais ne cherche pas à faire plus jeune. J’ai un peu de gras, des vergetures, j’en joue. J’ai déjà fait des photos nu avec 10 kg de trop je m’en servais parce que j’avais un corps gynoïde qui me permettait des postures plus maternelles. Je mets un point d’honneur à dessiner autant d’hommes que de femmes, de bébés que de vieux, de gros que de maigres, de beaux que d’étranges, d’handicapés que de chimères. Je me situe au milieu de la société. Je ne fais partie d’aucune nomenclature.

Pourquoi avoir choisi le dessin ?

- Jean-Luc Verna : J’ai toujours dessiné et j’y suis resté parce que c’est là où j’ai le plus de liberté finalement. Au début je dessinais de façon stakhanoviste alors que ce n’était pas la tendance. Maintenant pour une question de temps je ne produis qu’une vingtaine de dessins par an car je refuse de déléguer ou de faire des séries pour répondre au marché. En dix huit ans je n’ai travaillé que par désir. Du coup j’ai perdu du temps mais c’est mon luxe et ma fierté. Plus récemment je me suis mis à la sculpture, j’ai fait une baguette magique de huit mètres en acier vert pour « le Vent des forêts » un centre d’art à ciel ouvert dans la Meuse et prépare deux sculptures avec la Manufacture de Sèvres. Je créé aussi des objets comme les seize cockring en verre exposés à la Conciergerie. Tous ces objets sont l’extension en 3D de mes dessins tout comme moi.

Jean-Luc VERNA Amagatsu 2009 verre, transfert sur papier, cadre - boîte démontable érable, medium et verre 11 x 13 x 2 cm cadre amovible 32,5 x 42,5 x 7,4 cm Edition EA1/1 N° Archive JLV 0913 © photo DR courtesy Création : Jean Luc Verna Edition : Galerie Air de Paris Coproduction : Centre International d’Art Verrier (CIAV) de Meisenthal avec le soutien de la DRAC Lorraine (Direction Régionale des Affaires Culturelles de Lorraine).

Tes autres activités convoquent l’image

- Jean-Luc Verna : Je me suis dit qu’à force de triturer les corps sur le papier je pouvais utiliser le mien. Les vidéos « Body double » de Brice Dellsperger ont fait le tour du monde depuis qu’elles ont été montrées pour la première fois au cinéma de Jean-Pierre Mocky. À la dernière « Nuit blanche » nous avons accueilli 6 000 spectateurs. Je suis danseur dans la Cie de Gisèle Vienne depuis huit ans. La danse, ça a commencé il y a huit ans au Festival d’Avignon mais ado j’avais pris des cours en cachette de mes parents. J’étais alors au lycée Estienne d’Orves en pleine vague Post Punk. C’est aussi à ce moment là que je me suis mis à la musique,

Le lien de tout ça, c’est ton univers. Comment le définirais-tu ?

(c) H.Lagarde pour Art Côte d’Azur

- Jean-Luc Verna : C’est un axe entre hautes et basses cultures, entre l’art des musées, le XIXème siècle, les grands maitres, la Renaissance, les décadentistes, une certaine littérature, la nouvelle vague et le cinémas bis, et là d’ou je viens le rock et le sexe.

Le sexe est très présent dans tes travaux

- Jean-Luc Verna : Oui, l’identité sexuelle dans l’humain c’est une grosse constituante, l’état du corps de la libido et la non libido. Il y a des gens qui ont des pannes, d’autres que ne ça n’intéresse pas et ceux qui prêchent l’abstinence. Là, je n’y crois pas, ça doit les arranger quelque part !

As-tu des préférences chez les grands maîtres ?

- Jean-Luc Verna :Tous m’intéressent même ceux que je n’aime pas parce qu’il y a toujours quelque chose à apprendre techniquement, c’est ce que j’enseigne. À ce propos pour la rentrée des galeries à Paris sur la soixante d’exposants il y en avait six de la Villa Arson dont trois travaillant le dessin. N’en déplaise comme j’ai pu le lire dans « Nice matin » au responsable de la galerie Princesse de Kiev nous sommes toujours une des meilleures écoles de France.

Quand l’art est-il devenu une nécessité pour toi ?

- Jean-Luc Verna : Quand j’ai commencé à vendre en troisième année à la Villa et en intégrant la galerie Air de Paris qui était alors dans le Vieux Nice. Florence et Edouard sont des amis de longue date. Je les ai tatoués dans la peau, ils ont investi à perte à mes débuts puis quand ils ont gagné la capitale ils m’ont convié à les rejoindre. Une aventure qui se poursuit vingt ans plus tard.

(c) H.Lagarde pour Art Côte d’Azur

Ton corps calligraphié raconte ce parcours, tes rêves, tes démons un peu comme le personnage de Rod Steigger dans « L’homme tatoué ». Et les étoiles dans tout ça ?

- Jean-Luc Verna : C’est mon premier tatouage. Un condiment que j’utilise régulièrement sur moi et dans mes dessins pour des raisons diverses. Celle qui me tient le plus à cœur alors qu’on assiste à un retour en force des religions, c’est l’étoile contre la croix. Je préfère les symboles magiques liés à l’enfance plutôt que de suivre les symboles d’un autre conte de fées qui fait des ravages depuis 2000 ans et réduit le libre arbitre de l’individu.

Dans ce sens, Siouxsie a été une muse providentielle

Jean-Luc Verna Réenchantement 2010 vue : Vent des Forêts, Meuse © photo Sébastien Agnetti courtesy Air de Paris, Paris

- Jean-Luc Verna : Après avoir vu Siouxsie dans l’émission Megahertz dans les années 80 je me suis regardé pendant une demi-heure dans la glace. Je me suis dit : je ne peux plus être comme çà ! Le lendemain, première coupe mohican, premiers maquillages et je partais de chez moi. Je lui ai rendu plusieurs hommages dont une pièce permanente au MAMCO à Genève. J’avais fait un dessin « Rendez-nous Alain Maneval » qu’Agnès B m’a acheté pour remercier Alain que j’ai rencontré plus tard sur Facebook.

Et Siouxsie tu l’as rencontrée ?

- Jean-Luc Verna : Non jamais ! J’ai un peu peur de faire descendre une idole dans le domaine de la réalité, on ne sait jamais ! Je pense que c’est une fille bien. On prépare un documentaire sur moi où elle doit faire une apparition. Elle est invitée, pour la première on sera bien obligé de se rencontrer.

Parle nous de ton nouveau groupe « I Apoligize »

- Jean-Luc Verna : Avec Gauthier Tassart (programmation) qui est aussi prof à la Villa Arson et Pascal Marius (Guitares) nous revisitons les standards des années 80 avec quelques incartades. J’avais repris le chant en 92 en chantant du Barbara au piano Zinc à Paris. Je suis juste l’interprète de ce cabaret New wave décadent. C’est pour le fun mais finalement nous sommes invités un peu partout en France en Allemagne, en Angleterre, des artistes veulent faire des vidéos. Et nous allons signer avec le label autrichien Mego, tout ça c’est cadeau !

Des précisions sur le contenu de l’album ?

(c) H.Lagarde pour Art Côte d’Azur

- Jean-Luc Verna : Quatre chansons de Siouxsie, deux de Bauhaus une de T.rex, mon tube (rires) Funky Town et deux reprises zarbi, une de Donna Summer et « Supernature » de Cerrone en version dark. Cela reflète mes gouts éclectiques qui vont de la première vague gothique à Buddy Holly via l’électronique et la musique Drone. Sans oublier un peu de merde comme Lady Gaga car je déteste la posture du puriste, de l’érudit.

La musique c’est une soupape ?

- Jean-Luc Verna : À mort ! Je retombe dans l’adrénaline de l’adolescence. J’ai commencé avec un groupe « le grand Tunnel mou » qui est resté confidentiel puis œuvré sept ans (deux albums) avec Arnaud Maguet. Quand j’ai arrêté je me suis senti vide. Il n’y a pas de différé avec les arts vivants. La sanction est immédiate contrairement à l’art contemporain où l’évaluation se fait par procuration et pas toujours sur de l’affect. Quand on a gouté aux applaudissements c’est la drogue la plus dure !

Tu restes très lié à Nice ?

- Jean-Luc Verna : Je reste à la Villa Arson car elle est toujours au cœur d’un enjeu. J’ai eu la chance d’y avoir été l’élève de Noel Dolla. J’ai aimé sa façon d’être artiste, son intégrité. À Nice j’ai adoré exposer avec Bertrand Baraudou à l’Espace à Vendre. Quant à Bruno Pelassy il est toujours présent en moi. Nous avons travaillé ensemble, été les meilleurs amis du monde pendant 15 ans. Son travail tourne encore posthumément. J’espère qu’il trouvera sa place réelle dans la relecture artistique de Nice. C’était quelqu’un de rare, un « freak baroque ». Aujourd’hui j’aime des gens comme Lagalla, Karim Geloussi, Arnaud Maguet, Aicha Hamu et les copains de La Station. Il y a des forces vives ici mais tant que Nice ne franchira pas un cap les étudiants continueront à s’expatrier.

La contre culture où est-elle en 2010 ?

- Jean-Luc Verna : Aujourd’hui tout est accessible d’un seul clic il y a de choses mainstream, d’autres moins mais la contre culture de notre génération a disparu. Il y a quelque chose à réinventer. La balle est dans le camp de mes étudiants. Moi je suis désespérément et fièrement un mec du XXème siècle voire pour ceux qui ne m’aiment pas du XIXème siècle. Ce qui n’est pas pour me déplaire !

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