Jean-Luc Desset, toucher ce n’est pas tenir.
Le peintre fauviste Merodack disait qu’il tenait "sa vocation d’un ancêtre marin qui lui avait laissé dans le sang l’instinct de la ligne horizontale et d’un ancêtre bucheron qui lui avait légué le sens de la verticale".
Et vous d’où vient votre vocation d’artiste peintre ?
Jean- Luc Desset : Je n’ai jamais eu à aucun moment l’impression d’avoir le choix. J’ai toujours fabriqué des trucs, construit des maisons en papier ou des cabanes pour mes jouets quand j’étais plus jeune. J’ai besoin de créer sinon je me sens vide et je sens un genre de néant que je ne supporte pas. C’est comme si j’étais fait exactement pour ça, j’ai essayé d’autres pistes mais rien ne sonnait juste.
Il y a peu de place laissée au vide dans vos œuvres ; les personnages sont partout présents et mis en scène. L’écriture se mêle aux dessins. Et si vide il y a, il est rempli par la couleur, vous effacez le blanc. Quelles sont les raisons de ces "remplissages " ?
Jean-Luc Desset : Je crois que mes peintures sont comme je vois la vie, il n’y a pas de vide, tout est saturé, saturé de couleurs, d’émotions ; rien n’est vide, rien n’est blanc. Il y a des milliards de choses à faire, à voir, à ressentir. En plus, comme si on n’en avait pas assez à gérer comme ça, on a notre imagination qui se rajoute et qui démultiplie encore les possibilités.
On est saturé de tout à un point qu’on ne peut même pas réaliser, donc mes toiles ne peuvent pas contenir de blanc, le blanc pour moi ne correspond à rien, il n’existe pas.
La chute guette en permanence l’être en vie (le mort étant par commodité couché) : lorsque l’on observe cette série d’œuvre il est fascinant de voir que chaque animal ou personnage est "perché" : perché sur un arbre, perché sur la tête, sur le bras de l’autre, et ainsi de suite...
Votre façon de porter un regard distancié, vu d’en haut, sur l’inéluctable de la vie ?
– Jean-Luc Desset : C’est assez symbolique de ce qu’on vit ici, on est tous perchés sur quelque chose, nos supports sont totalement mobiles et fragiles. On croit parfois que certaines choses sont solides mais rien ne dure et tout est facilement cassable. Peu semblent réaliser ça car ça fait super peur de se rendre vraiment compte de cette fragilité et ce hasard qui régit notre vie. Une petite chose qui bouge par ici et tout se décale, nous avec. Nos supports ne sont pas stables et la menace de tomber est permanente. Mes personnages se touchent tous entre eux par lA main, par la tête ou le pied, … c’est ce sentiment d’équilibre sécuritaire qu’ils recherchent sans vraiment réaliser que toucher ce n’est pas tenir.
Vous avez fait le choix de quitter le métier de la décoration d’intérieur (nr : votre formation initiale), pensant que cela pourrait être répétitif.
Or vous créez des séries complètes qui ont en commun des personnages fantasmagoriques, des animaux métaphoriques, des couleurs, des légendes écrites. La réitération plutôt que la répétition ?
– Jean-Luc Desset : Cette répétition là, c’est moi qui l’ait choisie, j’y met un terme quand je veux. Personne ne m’impose rien par rapport à ça.
Vous jetez continuellement un pont entre le précipice du réel et de l’imaginaire : à première vue vos œuvres laissent percevoir la joie, les couleurs, une ambiance joyeuse et naïvement enfantine. Or lorsque le regard se rapproche, un spectacle tout autre se forme : les personnages sont décapités, le sang gicle. Les phrases manuscrites, qui apparaissaient anodines et rondes de loin, viennent à leur tour troubler la quiétude initiale : "ici c pa noel tou lé jour" " la vie tue". Peut-on y voir une tentative de dynamiter les impressions, faire exploser les illusions pour donner à voir aux spectateurs la réalité dans ce qu’elle a à fois de plus cru et de plus doux ?
– Jean-Luc Desset : Je n’ai pas l’impression de faire autre chose que ce que font les autres partout et tout le temps, c’est-à-dire créer du beau, de l’esthétisme, du regardable. La réalité, on la connaît tous plus ou moins, ce qui importe c’est de la décorer pour qu’on puisse la regarder plus facilement. C’est valable à tous les niveaux, de l’artiste qui peint au simple fait de s’habiller. En même temps, le réel et l’imaginaire sont étroitement liés chez moi, j’ai des scénarios improbables qui me traversent l’esprit en permanence, des configurations étranges, par exemple je regarde la mer et je vois une immense créature avec une jambe en fer qui va rouiller y plonger les mains pour en sortir des requins rieurs pour qu’ils soient ses amis. Ces scénarios font partie de moi et ils cohabitent complètement avec le réel qui m’entoure. D’ailleurs je me suis entouré de jouets pour que ces scénarios se basent sur des personnages comme Hello Kitty ou Mickey plutôt que ceux que je vais construire sans aucune base et qui sont beaucoup plus effrayants. Mes jouets sont comme des supports qui me servent à canaliser et à « contrôler » ces scénarios qui peuvent aller dans le glauque assez vite. Chez moi, j’ai Hello Kitty, Mickey, Minnie, les schtroumpfs, Winnie, Woody, Buzz, Rex, Stitch, Caliméro, Jack Skellington et Totoro qui me regardent vivre et travailler.
Vos œuvres semblent être à clefs multiples : elles recèlent davantage que ce que l’on y voit : vous avez fait le choix de leur donner un titre, est-ce une autre clef de compréhension de l’œuvre ? En quoi nommer un œuvre est important pour vous ?
– Jean-Luc Desset : Le titre est là pour donner une piste de réflexion selon comment moi j’ai conçue l’œuvre. On peut en tenir compte ou non, ça m’est égal. Je n’ai pas pour but de donner à réfléchir aux autres, déclarer un truc pareil serait d’une prétention insupportable, j’aimerais juste que les autres voient ce que je vois, parce que parfois c’est marrant ou bizarre ou autre chose.
La couleur est prédominante dans l’ensemble de votre travail et depuis vos débuts. A-t-elle une substance signifiante en elle-même ou est-elle simplement un moyen de tromper l’œil, de divertir le spectateur pour le mener à regarder l’œuvre finale ?
– Jean-Luc Desset : La couleur attire avant que le message ne soit délivré, comme ces fleurs pleines de poison qui attirent par leurs couleurs. Si je ne mets pas des « paillettes », du maquillage dans mon travail, alors j’aurais trop peur que personne ne s’y intéresse.
En regardant vos travaux, trois grandes productions se dégagent :
– celle inspirées des cartoons que nous venons d’évoquer où l’imaginaire, les couleurs, les courbes sont pregnantes,
– celle des compositions numériques contemporaine à sujet itératif
– celle vraiment différente des hommes et des femmes dans la vie quotidienne, des natures mortes, où la réalité, les droites et les verticales trouvent leur place
Cet écart esthétique et créatif est-il indispensable pour explorer vos envies artistiques, vos univers créatifs ?
– Jean-Luc Desset : Ça correspond juste à une envie de varier un peu ma façon de travailler, mais, au fond on retrouve toujours la même question : est-ce que nos supports sont stables ?
On découvre sur votre site internet une production nombreuse et vous avouez même ne pas avoir affiché celles que vous avez détruites ou vendues ! Seriez-vous un peintre compulsif ?!
– Jean-Luc Desset : Je pense que c’est une question de respect pour les autres et pour soi que de produire. Quand on est artiste, on peut très vite tomber dans la facilité, travailler quand on le veut, se laisser gagner par le laxisme. Je me l’interdis car je n’aurai pas l’impression de mériter ce que je gagne. J’ai longtemps travaillé 7 jours sur 7, de tôt le matin à tard le soir sans jamais arrêter et j’avais l’impression malgré ça de ne jamais assez en faire.
Quel est votre format de prédilection ? Pour quelle raison ? Pourriez-vous envisagez de créer sur du très grand format
– Jean-Luc Desset : J’ai juste besoin de pouvoir tout maîtriser sur ma toile. Créer sur du très grand format impliquerait d’accepter de ne pas avoir le contrôle de chaque millimètre du support, et ça, je ne peux pas. Tout, dans mes toiles est totalement maîtrisé, si un truc m’échappe, alors, je détruis et je recommence. Donc pour moi, le très grand format ce n’est pas gérable.
Vous travaillez en atelier : êtes-vous plutôt du genre "fouilli" ou organisé ? Votre atelier est-il pour vous un simple espace de travail ou représente-t-il une part fondamentale de vos créations ?
– Jean-Luc Desset : Mon atelier/appartement est totalement à mon image, il représente tout ce que j’ai dans la tête, il est rempli de mes œuvres, de celles des autres que je collectionne et de mes jouets qui sont mon oxygène car ils empêchent mes pensées de partir dans des scénarios que je ne pourrai pas gérer.
Le fait de vivre sur la Côte d’Azur a -t-il une influence sur votre travail ?
– Jean-Luc Desset : Je ne crois pas, mon travail est assez introspectif et je pense que le contexte n’a aucune influence sur ce que je pose sur ma toile. Sauf que ce que je mets sur ma toile, c’est moi et que le contexte forcément m’influence, donc peut-être qu’il influence mon travail finalement… En fait, je n’en sais rien.
Techniquement expérimentez-vous également des outils et process techniques nouveaux (comme peut le faire Cédric Teisseire qui peint avec des seringues pour sa série Alias) ?
Jean-Luc Desset : Je ne suis pas du genre à expérimenter, je me contente des outils que je maîtrise. Pour moi, expérimenter, c’est forcément perdre une partie de son temps car il faut gérer les ratés. C’est important et intéressant que d’autres le fassent mais j’ai trop besoin d’une maîtrise totale de mon résultat pour m’imposer des techniques que je ne peux pas totalement contrôler. Pour moi, l’essentiel c’est le message final et pas le moyen pour y arriver. Je ne recherche pas une technique nouvelle ou pertinente, je veux juste qu’elle me permette d’aller au bout de mon œuvre.
Vous dites " que l’art c’est bien mais l’essentiel est ailleurs" : vos photos personnelles de voyages se mélangent sur votre site à vos créations, vous affichez votre homosexualité librement dans la presse et en participant notamment à la création de l’affiche 2009 du festival gay In & Out. Ce choix de ne pas masquer la réalité, de donner à voir sincèrement mais sans excès est-il facile à porter lorsque l’on est un artiste ? Ou est-ce important justement parce que l’on est un artiste ?
– Jean-Luc Desset : L’important pour moi, c’est de ne pas souffrir, d’avoir à manger, une maison et d’être entouré des gens qu’on aime en bonne santé. L’art, c’est superficiel, les grands discours des gens qui s’écoutent parler me fatiguent. L’art, pour moi, c’est un divertissement pour quand on a tout le reste. J’ai décidé de mettre mes photos perso sur mon site car la vie et le travail me semblent totalement imbriqués dans mon domaine d’activité. Je peins ce que je suis et je suis ce que je vis. Donc pour comprendre mon travail, il me paraît pertinent de comprendre ma vie. Quand au fait que je vive avec Fred (depuis 16 ans maintenant), j’en parle très librement, je ne vois pas l’intérêt de le cacher, tout le monde s’en fout et c’est parfait.
Votre proche actualité : vos expositions à venir, vos envies, vos projets ?
– Jean-Luc Desset : J’ai eu une série d’expos intéressantes depuis un an, en Italie, en Allemagne et en Suisse. Pour l’instant, aucun projet significatif, je vais me concentrer sur une nouvelle série et je reste ouvert à tout ce qu’on pourrait me proposer.
Une question (ou plusieurs) que je ne vous ai pas posée et à laquelle vous auriez aimé répondre ?
– Jean-Luc Desset :
– Quel est votre personnage Disney préféré ? Stitch
– Votre schtroumpf préféré ? le schtroumpf costaud
– Votre jouet préféré dans Toy Story ? Rex
Etc…
La vérité, j’adore ce genre de questions.