Jean-Claude Rossel, une conquête de la forme
Jean Claude Rossel, entre lumière et couleur, conquête du signe
J’ai retrouvé, dans mes archives aussi bien que dans ma mémoire, avec un intérêt renouvelé, toute la recherche de Jean-Claude Rossel, que j’ai commencé à exposé en 1986, sous un terme emblématique : « Côté couleur », la couleur étant l’une de ses visées, couleur pure, de même que c’est la lumière pure qu’il chercha à « isoler ». Bien sûr il figura, au Centre International d’Art Contemporain de Carros, dans ma rétrospective « Paradoxe d’Alexandre », à l’occasion de laquelle je résumai ainsi mon approche de son travail :
Jean-Claude Rossel, chez qui l’abstraction procéda d’un long cheminement, d’un lent mûrissement, où, de plus en plus épurées, les formes naturelles cessèrent progressivement de connoter le « réel ». Il établit ainsi un véritable répertoire de signes qui, même réduits à l’essentiel, dans leurs agencements, disent si souvent l’ombre et la lumière. Ses sculptures trouées, ouvertes sur la nature – dès lors intacte, vierge – n’y sont plus qu’emblèmes sensibles et impérieux. (Alexandre de la Salle)
Dans le catalogue du « Paradoxe d’Alexandre », j’ai aussi écrit :
Il est l’homme pour qui la lumière arrive par les meurtrières du moucharabieh. Ombres et lumières brisées, démultipliées, ou les plans, tour à tour s’assombrissent et s’illuminent, les deux éléments finissant par se mêler pour un jeu encore plus acéré. Jean-Claude maîtrise parfaitement le dessin, la peinture, la gravure, et la sculpture. Ces différentes activités, tant elles se succèdent et se mêlent, finissent par n’en faire qu’une, aux facettes multiples. Chez lui, le dessin appelle la couleur, la couleur appelle le volume, et donc l’objet dans l’espace réel : la sculpture. Son art lui ressemble, alerte, gai, heureux. Mais aussi rigoureux, tant les espaces y sont précisément délimités, tant ils s’articulent pour induire l’irréprochable ensemble, synthèse des ténèbres et du plein jour. Depuis un certain temps il oscille entre ascèse - formes élémentaires, couleur raréfiée - et renouveau de la jubilation. Parfois même la jubilation dans l’ascèse ! beau paradoxe, ou le mène sa vitalité contagieuse, son amour de la couleur, et l’instinct qu’il a du rapport juste entre les formes et les plans, les couleurs et leur valeur. (Alexandre de la Salle)
Et lui-même a répondu très gentiment :
Où trouver plus bel espace, plus agréable galerie que celle d’Alexandre de la Salle à Saint-Paul-de-Vence ? Adresse incontournable, étape intelligente et chaleureuse - et en toutes occasions, même les plus impromptues, excellente table ! - Merci France, qui passait si aimablement et en un instant, de son bureau à la cuisine, de l’art en général et de celui de la parole à l’art culinaire. Aussi, en ce lieu privilégié de rencontres et de confrontations, nous aimions nous retrouver souvent, en une convivialité sincère, dans ce havre de l’esprit et de l’amitié. Car, où trouver plus cordial accueil, toujours, que celui de l’original maître des lieux, ce véritable amateur d’art, dont la discrète et respectueuse attention au talent de chacun, nous réconfortait, nous stimulait, et nous a très amicalement lié à lui ? Merci à vous, France et Alexandre, chez lesquels nous pourrons encore, je l’espère, et souvent, faire d’heureuses haltes. (Jean-Claude Rossel)
Diversification et pourtant rigueur
Après ma « fête de fin de galerie », en 1999, j’ai évidemment continué à m’intéresser au travail de Jean-Claude, qui se poursuit avec la même liberté de diversification au sein d’une rigueur. Même pertinence, avec aujourd’hui des « signes » en relief, ciselés à la mini-truelle, sans repentir, il y faut donc une maîtrise absolue, et c’est bien celle que l’on peut lui prêter, fruit d’une obstination de longue date, et d’une passion visible. Avec une Pensée qui a couru dès le départ, dont il nous a donné maints indices, aussi bien dans les conversations qu’il évoque dans son texte autour de repas amicaux, chez nous, chez eux, lui et sa charmante épouse Danièle, que dans cette interview filmée de 1989, qui dura une bonne heure, mais dont il faut, bien sûr extraire des passages choisis.
Comme chez Matisse, et c’est pourquoi dans le film j’évoquai une certaine résonance entre les deux hommes, que Jean-Claude me pardonne, aucune théorie ne vient recouvrir la subtilité du tâtonnement, de la découverte, tous deux sont dans ce refus, et pourtant tous deux manifestent un véritable souci de la forme, de la couleur, de la lumière. Bien sûr ces deux œuvres n’ont rien à voir, chacune ayant créé une planète. Mais quelle coïncidence que ces destins d’hommes du nord venus au sud et à son soleil, qui donnent en définitive, une certaine immobilité extatique autant que vibrante, vibrante comme le veut l’extase.
« Côté couleurs »
L’exposition dans ma galerie intitulée « Côté couleurs » (Pastels à l’huile), du 30 mai au 2 juillet 1986, était accompagnée d’une plaquette dans laquelle Avida Ripolin avait écrit ce texte, sous le titre « Au balcon ébloui » :
On a coutume de dire qu’un tableau est un espace de peinture, un lieu de représentation. Pour aller précisément « où cela se passe », Jean-Claude Rossel désigne un lieu : perspective avec ses murs limites. Un cube, qui serait le cadre de la vision auquel on rajouterait ici la profon-deur, afin que, dans ces trois dimensions, le spectateur, comme le peintre, soit au centre du théâtre, au cœur de la scène. Soit dedans. Ce mur du fond, cet écran où les choses se passent, Rossel ne l’a pas toujours eu devant les yeux. Il l’a rejoint au terme d’un long travelling. Un travelling qui raconte bien l’histoire naturelle du regard, l’histoire de la découverte.
Ce qu’on saisit, c’est d’abord le corps, le sien, celui de l’autre. C’est le point de départ, le donné. On est un corps, qu’en faire ? Il faut aller hors lui, à la prospection. Aussi loin que possible. Et il faut d’abord renaître, recréer pour soi même les conditions de l’accouchement, et son lieu, qui est ce tunnel, ce passage par l’obscur. Il ne suffit pas d’avoir passivement, une première fois, émergé, il faut sortir à la lumière de son propre chef.
Rossel, abandonnant la représentation du corps, se retrouve dans une nuit prémonitoire. C’est l’obscurité, c’est le retour au sombre informel. Il « ouvre ses toiles sur cet espace nocturne qu’il ne sait en quelle forme saisir ».
Saisir toujours cette riche réalité existant hors le corps, au delà du nombril. Spectacle de ce qui s’offre avec générosité à celui, assez grandi, assez adulte, qui peut s’installer derrière le balcon et s’en emplir généreusement. Et l’aimer. Amour de ce qui est, de ce qui bouge au delà du balcon, rendu dansant, rendu arabesque, par les gais dessins du moucharabieh, ce filtre de la réjouissance, ces lunettes de la fantasia.
Saisir dans un vertige, saisir comme l’acrobate, métamorphoser comme le prestidigitateur. Non pas saisir pour posséder, mais au contraire saisir avec la main ouverte, et le cube lui aussi est ouvert aux quatre vents.
Dans cet espace nocturne, rien n’est éteint, ni lointain. Au contraire, cela clignote, et bruisse, cela germe. Une sourde énergie impose sa présence lourde, la nuit résonne. Dans ce silence où l’on prête l’oreille à ce qui vient, cela vibre, se jette contre les parois, et rebondit. Le lieu en question est un auditorium où, la nuit, les sphères chantent, où l’air se fait onde de choc.
Dans ce noir, tout est attente, suspension.
Et puis révélation.
Du ténébreux, dans lequel tout est virtuel, se dégagent des silhouettes surgissant de l’anonymat de la matière imprécise. Elles veulent se manifester, et manifester qu’à chaque instant, forme après forme, se diversifie l’ombre une, en des éclats de lumière qui se constituent en signes.
(A SUIVRE)