« En ce temps-là, l’Ecole de Nice… »
Pierre Pinoncelli et l’Ecole de Nice
Je ne sais pas pourquoi Pierre n’était pas là en 1987, mais il était là en 1997, où il a dit ce texte de Malraux, et aussi, bien sûr en 2010, où il a exécuté deux happenings le jour du vernissage pour fêter les « 50 ans de l’Ecole de Nice » au Musée rétif de Vence. Retour à Vence, retour à la maison. Dans le catalogue de 1997, il y a une phrase de lui « Je crois qu’il faut avoir le courage de toucher à l’innommable », je peux comprendre ce culot, qui sert à ne pas être dans le déni, qui sert à affronter, qui sert à jeter dans le malaise afin que les choses ne soient pas, comme d’habitude, dans l’évitement…
Welcome to Auschwitz
Et en 2010, lorsque Mireille et Philippe Rétif m’ont offert d’organiser quelque chose dans leur lieu, j’ai proposé à Pierre d’exposer un certain nombre de ses « personnages », ces bustes à mains et pieds qui sont comme des pages sur lesquelles il écrit toutes sortes d’histoires. Mais lui avait en tête de présenter ses œuvres sur Auschwitz, et moi je trouvais qu’une exposition de groupe « Ecole de Nice » n’était pas forcément le lieu, je voyais ce travail dans une exposition personnelle, et non au beau milieu d’autres œuvres. Je trouvais que ça aurait dénaturé le choc que ne peut que provoquer cette série. Nous n’avons pas eu le temps d’en parler plus longuement, à cause de l’organisation des « 50 ans… », et justement nous étions en train de monter l’expo que Pierre avait déjà fait un livre, qu’il nous envoie, dédicacé, un livre qui a pour titre « Welcome to Auschwitz », et qui commence par une phrase de Sigmund Freud, de 1910, à Vienne : « Le seul moyen de parvenir à oublier est de se souvenir ». C’est une phrase extraordinaire, bien sûr. La page suivante, c’est : Pierre Pinoncelli, l’auteur, et puis : Etant donnés 1° Le gaz d’Auschwitz, 2° Le gaz de la Mariée ou « dis maman, il y a la mer à Auschwitz ? » Cela fait penser à Benigni « La vie est belle »…
En parodie à « Etant donné 1° La chute d’eau 2° Le gaz d’éclairage », installation de Duchamp après la guerre aux Etats-Unis… et ce culot de Pinoncelli de se mettre une fois de plus à la place de l’enfant face à l’horreur du monde… Alors, oui, après le sentiment d’horreur devant sa provocation, on est bouleversés. Et on lit : A la mémoire/de tous les assassinés en pyjama rayé/ dans les camps de la mort par le régime nazi (P.P avril 2010)… Et on lit :
? pour moi, c’est une vieille histoire... un peu comme l’urinoir de Duchamp a été ma grande baleine blanche, poursuivie pendant des années, à travers tous les musées du monde, avant que je puisse enfin l’harponner, lors de l’inauguration du Carré d’Art de Nîmes, en 1993 et au Centre Georges Pompidou en 2006, pour l’exposition DADA...
? Auschwitz a été, plutôt, le gros mollusque noir accroché à mes bronches presque depuis l’enfance... c’est à dire quand j’ai appris que les nazis avaient parqué comme des bestiaux et assassiné comme des bêtes... des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards, des animaux (chiens, chevaux, hamsters, perruches, chats, etc.)... juste parce qu’ils étaient juifs, ou tziganes, ou roumains, ou anormaux, ou sacerdotaux... et qu’ils les avaient passés au four pour en faire de l’engrais organique sous label germanique, les pauvres faussaires agricoles, les sales assassins du dimanche qui tuaient toute la semaine...
? Alors, en 2003 encore dans la frénésie des tags sur les murs de mon atelier-bunker achevé en 2002 j’ai fait cette série de grandes toiles (195 x 130) sur le camp de la mort, à la bombe, en un mois... comme au temps héroïque de mes séries des années 60 : les Morts, les Métamorphoses, les cercueils de l’Abattoir, la torture, les toiles pop, les personnages, les images SDF..
? Ces toiles m’ont servi d’exutoire, de catharsis... comme une crevure d’abcès... et le mollusque noir a clamsé aussitôt, le monstre qui me pourrissait la vie par les voies respiratoires, voire !
? Et depuis ce temps là, en vérité je vous le dis, les toiles de mort dormaient dans un coin de l’atelier... sans avoir jamais été montrées, sans avoir jamais été exposées... sept années comme les sept nains de Blanche Neige en compagnie des écureuils, des rats et des corbeaux, puisque cette partie de l’atelier est ouverte à tous vents, maman...
? Ces toiles, je comptais en exposer trois, à l’exposition L’Ecole de Nice au Musée Rétif de Vence, cet été 2010, du 7 juin au 15 décembre... Le commissaire de l’exposition est Alexandre de la Salle, aidé de sa femme, France... C’est Frédéric Altmann qui les a présentés à Mireille et Philippe Rétif...
? Avec ces toiles sur Auschwitz, je ne choisissais pas la solution facile...
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? Le plus simple et le plus tranquille pour tout le monde, en effet surtout après la vente aux enchères de L’Ecole de Nice (organisée par Marc Ottavi à l’Hôtel des Ventes de Nice, fin octobre 2009), où toutes mes œuvres, une douzaine, avaient été vendues... et trois fois le prix indiqué au catalogue eût été de présenter trois « Personnages »... pour affermir leur côte !? (plus de 10 000 E), et conforter ainsi les collectionneurs dans leur bon choix, ah ! ah ! ah !
? Là, avec ces toiles sur Auschwitz, patatrac, tout se serait écroulé et, à un âge canonique (non pas à cause des années, mais parce que je sais encore « faire parler la poudre » ?), j’aurais remis tout en cause et serais reparti presque à zéro, bravo !
?En plus, France et Alexandre de la Salle m’ont appelé le 20 mars (1er jour du printemps) pour me confirmer leur choix de trois « personnages » pour ma participation à l’Ecole de Nice... Je leur ai révélé mon désir d’exposer plutôt mes toiles sur Auschwitz... toiles dont ils ignoraient totalement l’existence... Stupeur complète de leur part !
? « Quelle idée !!!... pourquoi pas, alors, les millions de victimes des goulags staliniens, le génocide arménien, les atrocités des Khmers Rouges, les massacres du Rwanda ? » Auschwitz, c’est un vieux thème éculé... on nous en rabâche les oreilles toute la journée... »... N.B. : c’était juste au lendemain de la réception de Simone Weill à l’Académie Française, et les médias ne parlaient que de la Shoah, bien sûr…
? « Pourquoi ? » ai je rétorqué « eh bien, pour la bonne raison que j’ai eu une histoire avec Auschwitz... comme j’en avais eu une avec l’urinoir de Duchamp (d’où mon livre « ecce homo ! ») ...
?France et Alexandre m’ont dit que choisir un tel thème aussi dangereux, aussi explosif pour ma participation à l’exposition de l’école de Nice revenait à privilégier et mettre en avant mon égo au détriment des autres artistes, et même à me dissocier du groupe, en fait... et ils m’ont affirmé que ce choix était très dommageable pour la dernière grande manifestation publique du mouvement...
Et ce, d’autant plus que France et Alexandre comptaient me demander d’effectuer en fin d’exposition une sorte de performance happening symbolique sur « la mort de l’école de Nice »... un peu comme l’avait fait Pierre Restany en 1970 à Milan, à la Galerie Apollinaire pour célébrer la fin du mouvement des Nouveaux Réalistes (tout le monde a encore en mémoire le banquet funèbre de Spoerri à cette occasion)...
Bref (!?) sans que Frédéric Altmann et les Rétif aient eu connaissance de mon projet des toiles sur Auschwitz j’ai accepté (au nom de l’intérêt général !? et de l’esprit de groupe !? ) de renoncer à ces toiles sur la Shoah... au bénéfice de « trois personnages »… en me disant – comme consolation – que l’important était le livre, après tout… N.B Mais c’est Marie-Claire, et Hervé Courtaigne qui ont été heureux, en tout cas, ah ! ah ! (Pierre Pinoncelli)
Ce ne sont que les deux premières pages, le livre en a quarante. J’adore Pierre Pinoncelli, mais quand il part dans l’une de ses plaidoiries explosives, il est difficile de reconnaître un seul mot de ce qu’on a dit soi-même, et là, franchement, je ne me souviens absolument pas avoir évoqué les goulags staliniens, le génocide arménien, les Khmers Rouges, le Rwanda, avoir dit que Auschwitz était un thème éculé... Par contre, oui, dans une commémoration du groupe Ecole de Nice, commémoration historique, un travail aussi intense, et jamais montré, n’avait pas sa place. Fallait-il que l’on ne voie que « ça » ? Pierre était déjà la vedette en faisant un happening symbolique de toute l’affaire ! Quant au livre, je ne me souviens pas qu’il ait été évoqué… et j’ai été très surpris de le recevoir… cela dit le travail sur l’expo était si intense qu’une conversation avec l’un des exposants n’a été qu’une goutte d’eau… pardon, Pierre… par contre, toi, tu t’es souvenu de chaque intonation, apparemment… Mais bon, je te pardonne, ton délire, je l’ai aimé tout de suite, dans les années 60, et je vois que ton épouse, Marie-Claire, en prend aussi pour son grade, je ne vois pas pourquoi elle n’aimerait pas ton éventuelle exposition « Welcome to Auschwitz ». Moi j’espère la voir un jour…
(A suivre)