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« En ce temps-là, l’Ecole de Nice… »

Suite du texte de Gaëtan Bruel « Dada est-il encore vivant ? »

Artiste, Pinoncelli est exactement un artiste dit comportemental, c’est à dire auteur de performances. À cet égard, son acte sur l’œuvre de Duchamp s’éclaire : à mille lieues de toute supercherie, il s’affirme comme le fruit d’une démarche artistique. Sa valeur artistique, s’il faut encore la préciser, est certaine, étant reconnue par l’histoire des arts qui le considère en tant que happening. Cependant certaines critiques demeurent, qui demandent : « de quel droit un homme peut il détruire une œuvre, fût ce pour faire advenir son propre art ? par ailleurs, considérer l’acte de Pinoncelli comme un acte artistique, n’est ce pas la porte ouverte à toutes les dérives ? Si Pinoncelli peut détruire une œuvre de Duchamp, dès lors, pourquoi ne pourrait on pas, sous couvert de performances, ébrécher un marbre de Donatello ou détériorer une fresque de Piero della Francesca ? » Levons ces dernières résistances.

Happening Pierre Pinoncelli vernissage Musée Rétif juin 2010

Un art duchampien

Le tort des critiques que nous venons d’évoquer est de considérer Fountain comme n’importe quelle autre œuvre, de la mettre au même plan que des œuvres dites classiques, des œuvres du quattrocento par exemple ; autrement dit, leur tort est de réduire Fountain au rang d’œuvre plastique, niant ainsi sa portée conceptuelle.
Ici, il faut donc rappeler la démarche de Duchamp.
Souvenons nous : en 1917, à New York, a lieu la première exposition de la Société américaine des artistes indépendants, qui veut présenter au public l’art contemporain sans aucune sélection (« no jury, no prizes »). Le principe est simple : tout un chacun peut, moyennant six dollars, devenir membre de ladite Société autrement dit accéder au statut d’artiste, et exposer deux de ses œuvres. Marcel Duchamp se trouve alors à New York où il est, selon le mot de Pierre Henri Roché, « avec Napoléon et Sarah Bernhardt, le Français le plus connu » ; adulé par le gotha artistique new yorkais qui s’est enthousiasmé pour son Nu descendant un escalier (1913), Duchamp est plébiscité pour intégrer la direction de la Société des artistes indépendants, celle là même qui organise l’exposition « ouverte à tous » que nous venons d’évoquer. Duchamp, dont le Nu descendant un escalier a été refusé au salon des Indépendants de Paris en 1912, veut alors vérifier si tout envoi pour l’exposition est bien accepté ; en avril 1917, il entre donc dans un magasin de sanitaires de Manhattan, y achète un urinoir en porcelaine blanche, qu’il envoie anonymement à la Société des artistes indépendants, après avoir titré « Fountain » et signé « R. Mutt » son envoi. Après de vives discussions au sein du comité directeur, il est décidé de refuser Fountain  ; Duchamp démissionne alors, par principe, dit il, puisque la Société des artistes n’a pas respecté son engagement ; peu de temps après l’identité de l’expéditeur de Fountain est révélée. Voilà pour les faits ; analysons maintenant la démarche de Duchamp.

Happening Pierre Pinoncelli vernissage Musée Rétif juin 2010

En quoi Fountain est elle une œuvre d’art ? Au regard de la conception de l’art de l’époque, cet urinoir n’a rien d’une œuvre d’art, n’étant pas le fruit d’un savoir faire propre à l’artiste. Avec Fountain, Duchamp révolutionne cette conception de l’art (qui veut que l’art soit encore lié à une technique notons que « art » et « technique » ont même étymologie). Ici, l’artiste n’est plus celui qui crée, mais celui qui choisit : Duchamp attribue à un objet usuel (un urinoir) déjà créé (traduction de « ready made ») le statut d’œuvre d’art en l’intitulant et le signant. Fountain est une œuvre d’art parce que Duchamp veut qu’il en soit ainsi. Une telle démarche bouleverse la conception qu’on se faisait alors de l’art (rappelons la : pour qu’il y ait art, il faut un consensus entre l’artiste et le public) ; pour Duchamp, l’art est ce que décide celui qui se dit artiste ; autrement dit, peu importe le jugement des spécialistes, seul compte désormais l’arbitraire de l’artiste. Voilà la conception duchampienne de l’art.
Comparons la démarche de Duchamp et celle de Pinoncelli. Lorsque qu’il attribue une valeur artistique à son intervention sur Fountain, que fait Pinoncelli sinon imposer son arbitraire ? De même qu’en avril 1917 Duchamp avait ignoré le point de vue des spécialistes de l’art de même en janvier 2006 Pinoncelli n’a pas attendu l’aval des conservateurs de Beaubourg pour dire : mon acte est artistique. Pinoncelli est donc un artiste selon la conception duchampienne de l’art.

Happening Pierre Pinoncelli vernissage Musée Rétif juin 2010

Concluons le premier moment de notre réflexion en nous demandant comment, en définitive, considérer l’acte de Pinoncelli. Notre réponse est simple : si Fountain est reconnue en tant qu’œuvre artistique il faut de même reconnaître l’acte de Pinoncelli, ces deux démarches participant d’une même conception de l’art. En effet, si l’arbitraire de Duchamp est reconnu, pourquoi celui de Pinoncelli ne le serait il pas ? Voilà qui nous permet de répondre aussi aux détracteurs de Pinoncelli : s’ils ne considèrent pas comme artistique son geste, le bon sens veut qu’ils ne reconnaissent pas, non plus, la démarche de Duchamp mais alors pourquoi s’indignent ils ? Pinoncelli n’ayant abîmé à leurs yeux qu’un simple urinoir... (Gaëtan Bruel)

Dada est vivant par moi

Je dois avouer que ce texte me ravit (lire la suite sur Internet, ainsi que le dialogue avec Pierre Pinoncelli, de Gaëtan Bruel, et qui se termine par : GB - Pour finir, dada est-il encore vivant ? PP- Il est vivant par moi), car, en 1967, quand Pierre a failli me faire brûler près de la fontaine de Vence (autre histoire de fontaine), je ne pensais pas du tout à un avenir où il deviendrait l’objet d’une thèse. Il y a des temps très séparés, pour l’art. Au début, c’est l’inconnu. Et c’est quand même le meilleur moment. Ensuite, avec le recul, la théorie vient d’elle-même, s’impose. Le sens de l’œuvre s’impose. Mais la nostalgie des épisodes un peu fous. Et son autobiographie du catalogue de son exposition dans ma galerie, place Godeau de août à septembre 1967 vaut son pesant d’or, tout y est déjà, il me semble. Et en tant qu’écrivain, Pierre est un écrivain, qui me fait penser à Alphonse Allais. Il y a un génie de la dérision, qui sera reconnu comme une grande chose littéraire, Pierre n’est pas seulement un « happeninger ». Et, je le répète, c’est aussi un pointeur de scandales, tous les scandales du « malaise dans la civilisation ». Ce n’est pas lui qui est scandaleux, c’est ce à quoi il s’attaque ! C’est très fort. Et aussi très beau, il est très plastique, dans ses interventions. Mais alors cette manière de se positionner lui-même, en 1967, avec un goût de l’enfance, un goût du jeune homme qui découvre le monde, se découvre, se cherche… et avec cette exergue de Sir Donald Campbell : « ... Les gens disaient que nous étions des fous ; de toutes façons nous n’aurons jamais été des adultes »

Happening Pierre Pinoncelli vernissage Musée Rétif juin 2010

Biographie de PP par PP

Pierre PINONCELLI né - contre son gré à Saint Etienne, France. Enfance dorée (à la feuille), il manque plusieurs fois périr étouffé sous le nombre de ses jouets. Premières expériences sexuelles à six ans, avec sa nurse suisse. Etudes classiques secondaires (comme l’intérêt qu’il leur porte) dans un grand nombre de collèges. Ne sachant rien faire, rentre dans l’usine fami¬liale de tricots. Il doit la quitter un an plus tard juste avant d’être mis à la porte atteint d’une maladie mystérieuse ; seule une herbe rose et rare, appelée « uhcokotl », peut le sauver.

Pierre Pinoncelli dans le stand d’Alexandre de la Salle à Art Jonction

A la recherche de ladite herbe, il parcourt le Mexique à quatre pattes pendant deux ans, puis fait le tour des Etats Unis à pieds, en auto stop et en greybound avec une brosse à dents (sans poils) pour tout bagage ; pour survivre, il doit faire toutes sortes de métiers pénibles : cow boy, vagabond, maître nageur, gardien de crocodiles, cireur de chaussures, vendeur de journaux, etc. ; mais il se passe tous les soirs les mains au citron, ce qui lui permet de les garder douces et blanches, pour se caresser l’inconcevable.
Il retourne au Mexique où il fait connaissance avec la peinture en entrant par hasard au Musée d’Art Moderne de Mexico choc, comma s’il était rentré dans une porte.

Happening Pierre Pinoncelli vernissage Musée Rétif juin 2010

Après de vaines escales à Cuba, au Venezuela, à La Guayra, Ténériffe, Gibraltar, Palerme, Naples, etc., il rentre en France ridicule découragé et à l’agonie pour découvrir l’uhcokotl dans un tube de peinture
Il est sauvé, et se met à peindre par reconnaissance pour le tube, Pour trouver un bleu vertige il fait du parachutisme, puis décide de partir à bicyclette faire l’amour à Pékin ; mais un horrible camion jaune serin rencontré au milieu d’une route de province, l’envoie à l’hôpital. Adieu Pékin ! Adieu l’amour ! Ecœuré par Paris, il s’embarque pour New York le 15 janvier 1967. (Pierre Pinoncelli)

(A suivre)

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