Des archives et des hommes (suite)
Pierre Chaigneau et l’Ecole de Nice en 1987
Dans le catalogue de l’exposition « Ecole de Nice… 20 ans, 1967, 1977, 1987 », Pierre Chaigneau, Directeur du MAMAC, avait écrit : « Dans ce cheminement qui est le mien et qui se déroule depuis un quart de siècle de l’Ouest au Nord de la France, me voici concerné et au centre de cette fameuse Ecole de Nice. Je suis naturellement très intéressé de découvrir les racines et les bourgeons qui caractérisent la manière de créer de cette Ecole.
Art aux multiples facettes en flirt avec le Pop Art et autre courants internationaux, elle repose par étapes successives sur des bases solides : la Modernité et les Nouveaux Réalistes. Elle a suscité ou accompagné des variantes qui portent pour noms : Support-Surface, Conceptuel, Fluxus, groupe 70 etc. et qui ont forgé ou participé à des chapitres importants de l’histoire de la peinture et de la sculpture de la seconde moitié du XXe siècle.
Cette Ecole a deux mérites : la longévité de la création et surtout de n’être jamais prise au dépourvu, car elle sait se renouveler en permanence avec des temps forts et des soupirs. Féconde, elle ne cesse d’étonner. Depuis l’époque des peintres de la lumière et de la tradition française, elle a forgé sa renommée à travers les soubresauts telluriques. Ainsi la Ville de Nice a engendré des artistes dont les œuvres sont toujours indiscutablement à la pointe de la recherche grâce à des moyens nouveaux dans le domaine plastique.
Cette ville et ses environs ne peuvent donc se passer de créer en permanence : c’est sa vocation. Elle dispute avec succès à Paris l’originalité d’une création très diversifiée, comme seule ville de France qui affirme avec frénésie sa puissance picturale.
A ce point qu’à travers le monde artistique des Etats-Unis, Nice et Paris représentent les seuls noms connus Outre-Atlantique de notre pays. D’ailleurs, un certain nombre d’artistes d’origine niçoise partagent leur existence entre New-York et leur pays d’origine, ce qui confirme les liens qui peuvent unir les deux villes.
Aussi la conception et la préparation de ce grand projet de Musée annoncent des lendemains en perpétuels mouvements, qui intéressent beaucoup nos amis américains annuellement fidèles à ce havre de création. Cela m’est d’autant plus agréable qu’étant en ce moment à New-York, le mot Nice résonne très souvent à mes oreilles au cours de mes rencontres.
Pierre Restany écrivait il y a dix ans que Nice fonctionnait comme un « soupir-relais » dans le système « d’inspiration-expiration » parisien. En effet, mais quel soupir, car il s’agit d’une grande bouffée d’air frais dans le domaine de l’innovation. Les découvertes plastiques de cette ville sont des plus étranges car elles viennent en contre-pied de celles des autres villes des provinces françaises.
Alexandre de la Salle reste depuis plusieurs décades le défenseur de ce mouvement. Sa fidélité à cette ponctuation, comme l’écrit quelqu’un pour qui j’ai beaucoup d’estime, doit être respectée. De son côté Jacques Lepage s’interroge sur la transition du point d’interrogation à celui d’exclamation ! Mais pourquoi pas celui de suspension qui nous laisse l’espoir de la continuité de l’ardeur de la création, car Nice est un centre à sa propre dimension, qui sur cette planète influence le monde » (P.R Chaigneau, New-York, Juin 1987)
Pierre Restany et l’Ecole de Nice en 1987
Dans ce même catalogue Pierre Restany écrivait donc :
« Nous voici à la troisième édition de l’Ecole de Nice. Alexandre de la salle n’en démord pas et les artistes non plus. Ils sont tous là, les vétérans du soleil bleu d’Austerlitz, les grognards du Haut-de-Cagnes avec leur aboyeur-mascotte, le Rouget de l’Isle de Saint-Paul, l’effarant de Tourrettes, les francs-tireurs de l’arrière-pays, l’intendant du concept, le tambour-major des initiatives culturelles, le veinard du geste bienvenu, les glorieux éclopés et les grands absents… S’ils ne forment plus le carré parfait, ils sont toujours prêts à jouer les chasseurs de la garde ou plutôt les gardes de leur chasse réservée.
Deux nouveaux venus : au tambour-major s’est joint l’agent 007 (n°III) des aventures post-maciunassiennes. Ils avaient bien mérité de l’Ecole, en montrant depuis le début combien ils avaient la tripe niçoise. Et c’est tout à fait normal qu’ils aient reçu, outre l’onction d’Alexandre de Sparte, la bénédiction urbis et orbi de l’Auguste tsar de Monaco et Roquefort réunis.
Ils sont tous là, et le carré de Nice sent bon les fines herbes. Après tant de temps passé ou perdu, tant d’escalades dans les bordilles, tant de palabres à l’escarène, tant de merveilles dans la vallée du même nom, ce serait enfin le moment de dire avec Horace : « Nunc pede libero pulsanda est tellus », et d’ouvrir le banquet. A défaut d’or ou de paillettes, nous pourrions déguster les escargots du pyromane de Laghet, les pissenlits barbaro-magiques, le lapin princier à la sauce mastègue, les ravioles bronzées à la patine césarienne. Et il y aurait de quoi faire pâlir d’envie le maître-coq du Chantecler ou le Gourou-gastro de Mougins !
Bon appétit, Messieurs ! Avalez-la donc, cette école, votre école. Et si vous y mettez l’indispensable appétit, vous verrez qu’elle passera très bien. Pour Yves Montand, et par exceptionnel intérim : Pierre Restany juin 1987 ».
En 1987, je me demandais si 1997 aurait lieu, comme dans la discussion au MAMAC Sosno évoque un 2007… et ce serait 2010 ! L’exposition de 1997 annonçait un point final faisant suite à l’enfilade des points (d’interrogation, d’exclamation, de suspension)… et ce furent… « Les trente ans de l’Ecole de Nice, Le point final », du 29 août au 15 octobre 1997.
Dans « le Paradoxe d’Alexandre », j’ai écrit :
L’âge d’or était derrière nous, à cheval sur les années 70 et 80. Il fallait arrêter l’histoire, pour qu’en un salutaire recul, elle puisse enfin se dire vraiment. Entre ces dix années, répétées, j’incluais de nouveaux artistes, soit que j’aie omis de les contacter auparavant, soit qu’ils ne se soient pas d’eux-mêmes manifestés. Mea Culpa !
Comme tous les documents le montrent, l’Ecole de Nice s’est constituée par vagues successives, mais toujours dans les limites d’une cohérence géographique, culturelle, de choix de la modernité !... de la volonté aussi de faire carrière ici plutôt qu’à Paris, mais de jouer Paris à l’occasion, de manière stratégique. Quitte à l’ignorer quand son utilité devenait moindre... et que d’autres enjeux, européens ou mondiaux se profilaient, et permettaient à certains d’aller se confronter à d’autres continents.
A l’occasion de toutes ces expositions « Ecole de Nice » Pierre Restany et moi nous avions lié amitié, il passait comme les brises d’été, et a préfacé toutes mes expositions consacrées à l’Ecole de Nice. A chaque fois Pierre a fait un texte à la fois sympathique et subtilement coquin, reprenant un peu d’une main ce qu’il avait donné de la première. Cela donnait des textes pour le moins ambigus : s’y devinait, implicite, la condescendance plaisamment ironique du grand critique parisien pour les activités provinciales. Tous étaient sensibles à sa causticité, mais cependant tous appréciaient qu’il ait répondu présent et soit resté fidèle à ce long cycle. Son texte inaugural a été sans doute le plus chaleureux, le plus engagé, et son nom forcément restera toujours associé à cette longue Histoire. (Alexandre de la Salle)
« ÉCOLE DE NICE. » (1997)
Exposition où étaient présents Alocco, Arman, Ben, Cartier, César, Chacallis, Charvolen, Chubac, Dolla, Farhi, Flexner, Gilli, Isnard, Klein, Maccaferri, Malaval, Mas, Mendonça, Miguel, Nivèse, Pagès, Pinoncelli, Raysse, Rottier, Serge III, Sosno, Venet, Verdet... et, comme à chaque fois, Pierre Restany écrivit une préface pour le catalogue.
Préface de Pierre Restany dans le catalogue de l’exposition « Ecole de Nice. » (1997)
Titre : « École de Nice (point final) »
Lorsque les concepts prennent leurs aises avec la mémoire, ils cherchent à se projeter dans la légende. La légende n’est pas soumise aux impératifs d’objectivité de l’histoire et elle constitue le champ naturel d’expansion des mythes. Tous les concepts n’ont pas l’envergure nécessaire pour se situer sur la voie royale qui mène au Parnasse de la mythologie. Les concepts qui s’avèrent être de faux-semblants ou des combinards de magouilles montées de toutes pièces, demeurent sur les bas-côtés et les accotements qu’ils encombrent. Bien loin du firmament des mythes, à la frontière de l’oubli, s’étendent les pathétiques terrains vagues des rumeurs. Incapables d’accéder au paradis de la légende, les rumeurs sont parquées dans la grisaille d’un purgatoire où elles sont destinées à faire long feu.
Et il en est ainsi du concept de l’Ecole de Nice qui s’est voulu un mythe et qui n’était qu’une rumeur. Une rumeur propagée par les flibustiers habituels de l’information qui présentent, en bons corsaires, les lettres de course qui ennoblissent leur navire et son trafic. Cette illusion de respectabilité ne dure qu’un temps et le beau navire, victime d’incessants abordages abusifs, finit par devenir le brûlot des bas-fonds : tout le monde y est passé jusqu’au moment où les rats ont déserté l’embarcation caravansérail. Les corsaires sont devenus pirates.
Tel a été le bref destin de l’Ecole de Nice, l’illusion d’un mythe née d’une série de coïncidences heureuses survenues dans les années soixante : la famille niçoise les trois Grands, Yves Klein, Arman et Martial Raysse, auxquels s’était joint, en bon voisin du midi, le marseillais César. Et c’était bien la spécificité de cette rencontre qu’entendait souligner Alexandre de la Salle lorsqu’il a organisé, en, 1967, sa première exposition « Ecole de Nice ? ». Et c’est bien aussi comme cela que je l’entendais dans la préface que j’ai rédigée à cette intention. A côté du noyau dur de la bande des quatre, et sous l’égide tutélaire d’André Verdet, l’immortel poète de la Provence Noire, un certain nombre de professionnels solides et prometteurs avaient été conviés : Alocco, Chubac, Farhi, Gilli, Malaval, Venet. L’aboyeur Ben, qui fermait la marche, jouait encore à l’époque un rôle indécis, à mi-chemin entre le tambour major et le crieur public. Et voilà ce qu’était la mythique illusion de l’Ecole de Nice dans sa version 1967.
(A suivre)