Christophe Lorenzoni : À la découverte des contenants perdus.
Il a l’humilité de ces artisans qui œuvrent dans l’ombre des arrière-cours. Son atelier est justement dans l’une d’elles sur le boulevard de Cessole non loin de la maison de l’environnement. Un comble, car c’est au milieu des années 90 que Christophe deviendra l’un des pionniers de ce que l’on appellera plus tard le récup ‘art. Une tendance verte qui fait rage aujourd’hui mais qui à l’époque fit de notre homme un bricoleur inspiré à la sauce Lépine. Il est vrai que depuis que ce produit dérivé du papier fut inventé au XVIIIème siècle pour des usages variés dans l’édition, le carton s’est contenté de jouer dans la cour des manufactures. Seuls dans les années 70 quelques designers comme Frank O. Gehry s’y intéresseront un temps.
Itinéraire d’un « cartoniste »
« Quand j’ai eu cette idée j’avais vu des petits meubles en carton plié mais c’est l’accumulation d’emballages dans la rue qui m’a décidé. Je déteste jeter ». On le croit volontiers car le deuxième niveau de son atelier est un grenier mansardé où la présence humaine semble à peine tolérée par une foule d’objets et matériaux qui attendent patiemment leur heure. Christophe, d’origine corse, est né en région parisienne en 1966. À 16 ans il gagne le sud. La Corse d’abord où ses parents tiennent un hôtel puis Nice où il intègre l’école hôtelière en 1988. Il rentre au service de la restauration du Palais Maeterlinck où il restera jusqu’en 1994. Époque où il commence à façonner avec du carton ses premiers sièges.
Christophe est autodidacte mais a des prédispositions. De son père il a hérité d’une main sûre de bricoleur : « Tout petit je m’amusais déjà à trafiquer mes voitures majorettes, j’aimais bâtir des cabanes dans les arbres. Ensuite j’ai appris la gravure sur bois, la soudure mais aussi la couture sur la machine à coudre de ma mère dont je me sers encore aujourd’hui ». Un coup d’essai, un coup de grâce ! Dans son atelier du vieux Nice Christophe accouche d’une gamme unique exposée en galerie dès 1996 : « Je sentais que les frontières devenaient de plus en plus poreuses entre l’art plastique en perte de repères et le design.
Mon travail évolue d’ailleurs aux confins du design, de l’artisanat, du recyclage et de la sculpture contemporaine ». Mais cette tendance « fusionnante » est encore balbutiante.
Alors ses « sculptures-meubles » étonnent, mais peu de ventes à la clé. À partir de cartons ondulés récupérés sur le pavé et encollés en plusieurs couches puis taillés selon le gabarit, il ponce puis vitrifie pour obtenir un objet fini résistant, Christophe accouche ainsi d’une gamme de fauteuils et petit meubles dont les lignes n’ont rien à envier à celles des stars du design danois (il sera même approché par des architectes pour réaliser des meubles). Ses sources d’inspirations sont multiples : « J’ai essayé de donner au carton une deuxième vie plus grande que la première. En fait j’ai commencé par reproduire du Louis XV et des modèles d’après magazines puis est venue une phase plus personnelle, où j’ai exploré la matière par plaisir en m’inspirant de tout comme ce fauteuil aux formes calquées sur un minutier cubique de cuisine ou cet autre dont la courbe évoque la démarche de Bugs Bunny ».
Comme Bacchus sur son tonneau
Mais cet engagement créatif lourd (une vingtaine d’heures pour un seul modèle) n’est guère lucratif et le carton maudit fait toujours hésiter les acheteurs potentiels. De plus ses œuvres sont impossibles à reproduire. Et progressivement la denrée abandonne le pavé sous la poussée du tri sélectif. Alors Christophe reprend du service dans la restauration. De 1999 à 2008 il travaille dans le restaurant le « 20 sur Vin » qui ouvre à Nice avec « La part des Anges » la brèche des bistrots « œno-gourmand ». C’est au contact de cet univers où Bacchus passe les plats qu’il décide de détourner un autre contenant : la barrique : « Je continuais parallèlement à mon job à travailler le carton à temps perdu ». Mais dans son nouvel atelier de Cessole acquis en 1998 Christophe grâce aux contacts noués avec les vignerons commence à inviter la barrique bordelaise.
Des fûts d’une capacité de 225 litres que des viticulteurs rhodaniens et bourguignons lui cèdent, le bois perdant au bout de 15 ans ses facultés d’échange avec le vin.
Ainsi grâce à deux modèles de chaises qui se vendent rapidement (certaines décorent aujourd’hui le « 20 sur Vin » et « La part des anges ») Christophe quitte le zinc pour revenir à l’établi. C’est à partir des lamelles bombées (les douelles) qu’il imagine « la mémé » du nom d’une cuvée vinifiée dans les premières barriques récupérées. Depuis deux ans, cette collection signée « 225 litres » s’est élargie trouvant son public : « Les douelles pour les assises c’est facile pour les tables basses j’ai du me servir des fonds de tonneaux ». En tout, c’est une vingtaine de créations qu’il présente désormais dans les foires et salons de vins de Deauville à Saumur, du Beaujolais au Bordelais et qui séduisent tous les acteurs de la filière comme les amateurs de grands crus. Car juste brossées et vernies les douelles gardent la patine des cépages qu’elles ont accompagnés : Gamay, Pinot noir, Vosne Romanée etc. « Sur un meuble je travaille avec le même fût pour avoir avec une teinte unique ».
Après avoir créé une bibliothèque en hommage à Tinguely, Christophe travaille aujourd’hui sur une installation à système d’engrenages qui ouvre une vieille malle en carton faisant office de meuble de rangement. « La ligne 225 litres me fait vivre, le carton c’est mon expression libre, je n’ai pas fini mon histoire avec lui » explique cet incorrigible aventurier des « contenants perdus ».
225 litres
Christophe Lorenzoni
21 boulevard de Cessole
06100 NICE
06 10 68 36 07
Christophe Lorenzoni fabrique des meubles en carton. Pour y jeter un coup d’oeil : www.christophelorenzoni.com