Alain Husson-Dumoutier : L’âme de la Méditerranée
Alain Husson-Dumoutier, vous êtes « Peintre de l’UNESCO pour la Paix », quelle signification donnez-vous à cet intitulé qui paraît tout de même assez singulier ?
Très peu ont droit à ce titre. L’UNESCO décide de vous nommer, et c’est à prendre ou non. Par exemple, en France il y a Titouan Lamazou (navigateur et artiste français). On trouve également des musiciens (la Soprano Montserrat Figueras et le compositeur et chef d’Orchestre Jordi Savall pour l’Espagne ou bien Sayon Camara pour la Guinée, des danseurs, des actrices célèbres (Shirley Bassey, Marisa Berenson)...
Les Artistes de l’UNESCO pour la Paix viennent de tous les pays et professent de par leur art une éthique particulière, un message de paix et de beauté, de respect. C’est leur façon de se comporter au quotidien qui permet de déterminer s’ils sont engagés ou non. Ceux qui ne comprennent pas cela ne sont pas choisis. Par exemple, les entreprises qui font du commerce d’armes ne seront bien entendu jamais choisies au sein de l’UNESCO.
Être peintre pour la paix, c’est d’ailleurs pour moi quelque chose de très honorifique et rien ne peut s’y comparer, pas même le fait que je sois Commandeur des arts et des lettres. On peut même dire que c’est un très grand devoir ! Car dans mon art il me faut faire passer constamment ce message de paix, afin d’influencer le plus grand nombre. J’ai d’ailleurs réalisé en 1996 (trois ans avant ma nomination) - et à l’issue d’une consultation de l’UNESCO - deux trophées, deux sculptures en cristal au plomb également faites de calcin de cristal. L’une d’entre elles intitulée « L’oiseau berçant le ciel » a été remise à un collectif de femmes du Rwanda à Kigali ; l’autre, intitulée « Tolérance et Non Violence » c’est l’UNESCO à Paris qui en est propriétaire. Voilà, c’est ce genre d’événements qui me donne toujours l’envie d’aller de l’avant et de créer pour un idéal de paix et de solidarité.
« L’Âme de la Méditerranée » est le titre de l’exposition qui vous est consacrée à Saint-Tropez ; mais c’est aussi et d’abord la « Mare Nostrum », le « notre mer » de nos ancêtres latins. Qu’en est-il de cette fameuse âme aujourd’hui ?
Il faut savoir que la Méditerranée en latin signifie « mer intérieure », qui peut se comprendre de plusieurs façons possibles. Géographiquement, c’est bien cela. Une mer quasi fermée par le détroit de Gibraltar, et dont le cloisonnement a permis sa richesse historique et culturelle. La civilisation est née en Méditerranée, et avec elle les grandes religions monothéistes, la pensée philosophique, les arts également ! Le judaïsme, le christianisme et l’islam sont donc les trois textes fondateurs aux sources de la culture méditerranéenne et de l’Art en Occident. De ces livres sacrés il m’a d’ailleurs été possible d’extraire l’essence spirituelle et d’en reproduire l’ « impression » sur toiles, dont l’exposition en 2007 au Musée des années 30 (« Les Trois Livres Sacrés et l’Égypte » Espace Landowski à Boulogne-Billancourt) retraçait la création.
« L’âme de la Méditerranée » c’est donc ce gigantesque bouillonnement des esprits, peinture, poésie, sculpture, etc. Par exemple, les temples égyptiens sont à l’origine de toutes les autres constructions dédiées aux religions poly ou monothéistes. On a une telle vision artistique qu’aujourd’hui la Méditerranée ne peut évoquer rien d’autre que cette richesse incroyable. Et puis j’aime cette idée de convergence culturelle vers un lieu en particulier, surtout lorsqu’il se trouve être celui de ma naissance…
Vous avez effectué de nombreux voyages en Méditerranée dont on peut dire qu’ils inspirent encore aujourd’hui une très grande partie de vos travaux. Dès 1988 vous avez commencé à peindre vos premiers tableaux égyptiens. Pourquoi l’Égypte ? Quel a été le déclencheur de ces travaux sur l’ « âme méditerranéenne » ?...
Je pense être né peintre. J’ai toujours eu cette envie, même si mes premières études n’étaient pas vraiment liées à cette discipline (Diplômé de l’École Supérieure de Commerce de Lille, diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris). Mon père habitait Sainte-Maxime à l’époque, mais les gens ne restaient pas en bord de mer l’été, c’était encore insalubre, il y faisait bien trop chaud. Donc ma ville se situe un peu plus en hauteur, au Plan de la Tour (Provence, à quelques kilomètres de Saint-Tropez). J’y ai longtemps vécu, et nombre de mes souvenirs y sont associés. Bon, il est normal que j’y accorde de l’importance, mais au-delà d’une affection particulière, pour moi la Méditerranée est au centre de ma réflexion en tant qu’artiste, tout simplement. C’est une inspiration non pas innée mais plutôt faite d’expériences, de voyages. J’aime d’ailleurs beaucoup voyager, j’ai plusieurs fois fait le tour du monde. En Méditerranée, je suis aussi allé un peu partout, Barcelone, Marseille, Gênes, Naples, Syracuse, Carthage, Istanbul, Alexandrie…
L’Égypte, voilà ce qui a été un choc majeur ! Je m’y suis senti incroyablement bien, vraiment chez moi. J’avais l’impression de connaître tous les gens, dans la rue ! Et eux aussi, me connaissaient déjà peut-être… J’ai toujours entretenu de très bonnes relations amicales avec ce pays, j’y ai d’ailleurs exposé, au Caire par exemple (Galerie Akhenaton) et à Alexandrie. C’est un peu ma patrie d’adoption. Et puis, tout ce que nous savons sur l’architecture, le cosmos nous vient d’eux. L’alchimie également, et c’est aussi cela mon inspiration première, ce qui en a découlé - dont les travaux sur l’âme de la Méditerranée -.
Qu’entendez-vous par « alchimie » ?
Et bien je me décris comme un « alchimiste de la lumière »… C’est un peu compliqué. D’abord, la racine du mot alchimie signifierait « Égypte », parmi beaucoup d’autres significations. Quant à l’Égypte, on lui donne aussi le nom de Al Kmet, (la racine du mot veut dire « terre noire »), désignant le limon fertile apporté par la crue annuelle du Nil. Vous le voyez, cette terre Méditerranéenne m’inspire encore une fois. Elle m’est ainsi toujours proche.
Ensuite, l’alchimie est l’art de « fondre et d’allier », et c’est ce qui pourrait parfaitement désigner ma recherche artistique, puisque j’allie les différents éléments, souvent du sable, qui devient du verre puis s’il le faut du cristal, reflétant ces mêmes rayons du soleil que les Égyptiens représentaient par l’Œil (Râ). Ainsi, l’alchimie permet de créer la matière, qui est à mon avis le véhicule de la pensée. Il faut savoir que je suis croyant, et l’apôtre Jean parlait de cela (il dit dans son Évangile "au début était le verbe, et le verbe s’est fait chair"). On pense habituellement que de la pensée naît la matière mais pour moi c’est le contraire, l’œuvre qu’elle soit peinte ou faite de cristal sculpté permet l’imaginaire, et ainsi de la lumière réfléchie naît la pensée.
Revenir à Saint-Tropez, si près de votre lieu de naissance, qu’est-ce que cela évoque pour vous ?
Saint-Tropez est une habitude, j’y vais souvent ; mais l’important c’est le symbole de cet endroit où tout le monde se réunit pour faire la fête, être en vacances et arrêter un temps les guerres… Saint-Tropez est en quelque sorte le centre du monde pour moi car il est le point de convergence historique de l’âme méditerranéenne ; et puis cela doit sûrement aussi l’être pour ceux qui s’y amusent (rire) ! Saint-Tropez m’évoque aussi une certaine idée de beauté, de chaleur, de distraction.
Parlons de votre exposition : Que pouvez-vous nous en dire ? Quelles seront les œuvres exposées ?
Il y aura des tableaux figuratifs, des paysages de Saint-Tropez, de l’Afrique, d’Égypte, de tout ce bassin de la méditerranée, donc. L’occasion de me réapproprier tous ces souvenirs de peinture, de vie, de joie. Ce sera la beauté de l’art : savez-vous ce que signifie beauté, pour les égyptiens ? C’est très intéressant. Pour eux, il y a trois composantes qui permettent cela. Il y a l’intelligence, l’harmonie - qui est essentielle -, ce qui est harmonieux ravit l’œil, c’est très important de voir cela dans une œuvre. Et le plus important : lorsqu’on la regarde, et bien on se retrouve dans un autre monde. On décolle littéralement, vers un monde de rêve…Le public, je l’espère, en ressentira les effets lorsqu’il visitera l’exposition.
Revenons à la Méditerranée : l’exposition est construite sur plusieurs thèmes autour de la « Mare Nostrum », donc. Il y a les paysages, une très grande composante de mon œuvre, que je réalise suite à mes voyages ici. Puis il y a certains tableaux illustrant les grandes pensées de ces auteurs que j’aime beaucoup, de grands poètes comme Frederico Mayor (ancien directeur de l’UNESCO), Arthur Rimbaud (qui, comme on le sait, a vécu longtemps en Méditerranée), et des auteurs classiques tels qu’Homère ou Cervantès. Et puis surtout, il ne faudra pas manquer tout l’étage sur l’Égypte.
C’est une exposition définitivement complète, une rétrospective sur deux étages, et qui pour moi est une grande première, la plus vaste rétrospective que l’on m’ait accordé à ce jour ! Il y a plus de 250 œuvres à voir dont une quinzaine de sculptures, en plus de celles que j’exposerai à la mairie, parmi lesquelles trois importantes représentations du livre sacré, dans la salle d’honneur là où tous le monde se marie. Même si ce n’est qu’une mairie, ils ne pourront pas y échapper (rire).
Quels sont vos projets pour la suite ? Des tableaux en attente ?
En ce moment, je prépare deux types de travaux totalement différents l’un de l’autre : d’abord, je suis requis par des opérateurs de téléphonie français qui cherchent à sortir de la laideur de leurs antennes radio. Ils m’ont contacté afin de créer des sculptures-antennes, en quelque sorte. Mais attention, ce n’est pas du design, à chaque fois il y aura une œuvre spécifique pour chaque site. L’important est de créer en résonance avec l’endroit, donner une harmonie au paysage …Ce sont des œuvres uniques qui feront bien 30 m de haut ! Je dois donc montrer quelque chose qui ne se voit habituellement pas. Difficile tâche…
Également, je travaille en ce moment sur les rescapés de la Shoah, mais j’interroge davantage en sociologue. Je n’y vais pas en amateur, puisque j’ai un doctorat en sociologie. Je vais voir ces personnes et les interroge : quelles sont les raisons qui les ont conduit à vivre, qu’est ce que leur vie a été pour eux. Quel message peuvent-ils transmettre aux jeunes ? Jésus, lui, est allé en enfer mais n’en a rien dit. Eux sont allés en enfer, l’ont vu et l’ont raconté. Je fais leur portrait, et cela m’inspire énormément, bien que cela soit très dur. Ces portraits seront à voir au Musée Tate gallery à Londres ainsi qu’au Metropolitan Museum de New York.
Plus d’oeuvres sur : http://www.husson-dumoutier.fr/inde...
Informations Pratiques :
"L’AME DE LA MEDITERRANEE"
Du 1er au 18 Juin 2010 à Saint-Tropez - France
Adresse : Salle Jean Despas - Place des Lices, 83990 Saint-Tropez