Un Rêveur sans compromis
« Mon père avait cinq passions : la guerre, la révolution, l’art, les femmes et … le jeu - ce qui l’a perdu : il s’est suicidé sans tristesse ». Alexandre de La Salle résume ainsi, avec son franc-parler, la vie de son père, Uudo Alexandre Einsild, qui quitta en 1918 son Estonie natale pour Paris, où il ouvrit une galerie d’art rue Jacques Calot. Parmi ses artistes, Modigliani et Soutine, dont il fut l’ami durant vingt ans.
Avec de plus une mère, Berthe Sourdillon de la Salle, peintre, Alexandre a depuis toujours « des rapports privilégiés avec le monde de l’art » : « tout jeune, on me traînait impitoyablement dans tous les lieux où régnait la peinture ». Très vite il acquit un « mépris pour tout ce qui sort de la voie royale menant de Piero della Francesca à Picasso et Léger ».
Longtemps étudiant dilettante à Paris, ayant touché au dessin, au droit et même au journalisme, c’est seulement à l’âge de 30 ans, et à Vence qu’il ouvre sa première galerie, avec sa femme Maroussia. C’était le 1er février 1960, place Godeau, où il « attendît Godot durant quinze années ». En « héritier de son père », il commence par montrer l’Ecole de Paris. Un temps marxiste, puis lecteur passionné de Sartre et de son « Ego transcendantal », il décide alors de « se fier à son regard », ne se fondant que sur la « qualité », qu’il trouve « chez des artistes peu connus, mal connus ou carrément ignorés ».
Il est fier aujourd’hui d’avoir découvert de jeunes artistes, comme Gérard Eppelé et Robert Malaval.
C’est d’ailleurs ce dernier, un « prince des ténèbres, provocateur, brûlant sa vie, et qui en est mort », qui lui parle du mouvement naissant de l’Ecole de Nice.
En 1967, il organise la première exposition de groupe intitulée « Ecole de Nice ? » qui deviendra historique. On y voyait des oeuvres d’Alocco, Arman, Arnal, Ben, César, Chubac, Farhi, Gette, Gilli, Malaval, Annie Martin, Raysse, Venet, Viallat. Pierre Restany écrit un texte pour le catalogue et Arman réalise une lithographie.
Une exposition « grandiose », dont Alexandre de La Salle se rappelle « les cocktails servis dans des bocaux à poisson de toutes les couleurs - dont un de couleur bleu de Klein ». Suivront tous les dix ans, et jusqu’en 1997, trois autres grandes expositions sur le même thème. De ce mouvement, il retient « une flambée magnifique », avec des figures marquantes comme Yves Klein, Arman, Martial Raysse, César - sans oublier ses « chouchous », Malaval et Chacallis – « un groupe de peintres qui avaient en commun de travailler ensemble ici, d’avoir commencé leur carrière à Nice d’abord ».
De l’Ecole de Nice à l’abstraction géométrique
En 1974, Alexandre s’installe à Saint Paul de Vence, dans un vaste local extrêmement bien situé, juste en dessous de la Fondation Maeght. A côté des « jeunes » de l’Ecole de Nice, il s’oriente vers l’abstraction géométrique : « J’ai été un de ceux, très rares, qui ont voulu et su introduire dans le Sud l’Abstraction ». Pour lui, ce mouvement de l’abstraction géométrique, est « la grande chose du siècle », et en particulier le mouvement MADI, initié en 1936 par Carmelo Arden Quin. Dans son panthéon personnel, Arden Quin vient sans doute en premier : un artiste uruguayen, figure majeure de l’abstraction géométrique, qui a inventé la peinture polygonale, et faisait des tableaux non carrés, auxquels il manque un morceau, ou à plusieurs surfaces. Et dont Alexandre de La Salle termine actuellement le catalogue raisonné.
Dans la même veine des années 40, citons Jean Leppien (ancien Bauhaus), Fritz Levedag, Wols ou Aurélie Nemours (« la grande dame de la peinture, un bloc métaphysique, mystique, comme un moine cistercien »).
En 1998, il revend sa galerie à Guy Pieters
et en 2000, Frédéric Altmann lui consacre une rétrospective au Centre d’Art de Carros, qui raconte les quarante ans de son parcours.
Que fait-t-il depuis lors ?
Outre qu’il a découvert « l’art nègre » et s’est mis à collectionner des centaines de pièces, Alexandre de La Salle édite (et même écrit sous des pseudos !) des poésies, et en particulier Gherasim Luca, « un immense poète, il en existe dix par siècle de ce niveau ».
Déçu par « le tournant pris par l’art ces vingt dernières années, où les seuls Dieux sont le pouvoir et l’argent », Alexandre de La Salle est persuadé pourtant que « l’art est aussi précis que la physique nucléaire ». Ce qui lui permet de juger du bon et du mauvais avec une grande assurance : « seuls comptent pour moi la qualité, l’excellence ; le « pas mal » ne m’intéresse pas ».
S’il porte au pinacle les oeuvres des artistes accrochés sur ses murs - Garibo, Giraudon, Charasse, Alanore, Dorigni, Neron, Guié, et même sa petite fille Anne de La Salle (qui fait des collages), il peut se montrer sévère avec les autres, ceux qui n’y sont pas.
Eh oui, Alexandre de La Salle est comme ça : « un homme exigeant, direct et vrai, qui dit ce qu’il pense et ne s’est compromis dans rien ». Mais aussi à ses heures, un « rêveur, un contemplatif », qui chante tous les matins avec le merle de son jardin !
Bientôt un lieu d’art à Cagnes sur mer
Dans sa belle maison de Cagnes sur Mer, 24 rue Jean Féraud, Alexandre de La Salle va ouvrir un « lieu d’art », qu’il intitule « L’image et la parole », où il compte organiser quatre vernissages par an, avec visites sur invitation et rendez-vous. Première exposition à venir, « petits formats » pour présenter ses artistes (Dorigni, Chacallis …)