Tanguy ou le Nouveau Narcisse
Né à Vannes, Cédric Tanguy a fait ses classes aux Beaux-arts de Nantes puis à ceux de Marseille où il dressa à la Friche-Belle de mai en 2006 son camp du drap d’or, « Hadès Park ». L’artiste plasticien représenté en Belgique par la galerie Aeroplastic et à Nice par celle de Sandrine Mons a participé à une foule de performances et d’expositions : de « la Soirée chez l’Ambassadeur » au Logoscope de Monaco, à « Pop Up ! » au Musée d’Art Contemporain de Lyon, de la Joyce Yahouda Gallery à Montréal à la Galerie Metropolis à Lyon via la galerie Helenbeck à Paris. Prochaine étape le Lieu Unique à Nantes. Aujourd’hui celui qui a grandi en Bretagne se souvient des landes brumeuses, des falaises battues par le vent, de ses légendes qui trament encore certaines de ses œuvres de chimères, d’oiseaux de mauvaises augures ou d’armoiries. Mais tout cela n’est que la surface émergée de l’iceberg, la forêt est plus profonde…
« Auto starification »
Avide de ses contemporains, plasticien cannibale se repaissant de son époque, au lever de rideau Cédric Tanguy apparaît en « transformiste performer ». A l’Artothèque de Villeurbanne, à la salle du Tapis rouge à Paris, aussi bien que dans les musées de Marseille, il n’a eu de cesse de repousser l’identité dans ses derniers retranchements allant même jusqu’à provoquer l’électrochoc. En résidence dans un asile psychiatrique à Aix-en-Provence, il réalise avec quelques patients « Club Mad » : « Ce fut une expérience étrange. Un jour nous sommes partis en camisole de force en balade à Cap Canaille. Là j’ai fait des photos étonnantes, certains prenant spontanément ces poses extatiques que l’on retrouve dans la peinture romantique ». Une école qu’il découvre lorsque sa mère lui offre un livre dont la couverture est une toile de Gaspar Friedrich, Voyageur au dessus d’une mer de nuages. La nature est aussi belle que cruelle, Cédric en fera parfois les frais à sa façon bien sur : « Fan de Jean-Louis Murat, un soir de déprime je suis parti en voiture au col de la Croix Morand pour voir le soleil se lever. Au petit matin le ciel était plombé de nuages et je me suis perdu dans la neige avec une perruque blonde et des « plateform shoes ». Le film existe et, il y en a tant d’autres - montrés ou pas - où Cédric s’immortalise lui-même en victime/héros, jouant tel Narcisse de son reflet pour le meilleur et pour le kitsch.
Cabinet de curiosités
Mais délaissant peu à peu performances et installations, l’artiste, qui vit depuis quatre ans à Vence, a recentré son travail sur l’image. Lâchant le crayon gras pour celui virtuel de son « Mac ciseau », il coupe, taille, recolle, déplace les images, « copie-crée ». Couturier numérique, il se bombarde dans le rôle titre de grandes fresques baroques et scénettes cruelles où l’ « heroic fantasy » se coltine à vau-l’eau avec les nouveaux codes urbains, la mode et les subcultures. Son goût immodéré de l’autoportrait, une résurgence de la petite enfance, docteur ? : « Chez mes parents j’étais fasciné par les costumes sur les reproductions anciennes du dictionnaire Larousse. Parfois j’enfilais une veste cintrée en fourrure et me prenais pour Louis XIV. A 10 ans il s’essaie à la caméra super 8. « Quand on est gamin une branche d’arbre c’est un fusil, ma caméra c’était Hollywood, alors je me déguisais en Dracula et courais après ma sœur pour lui couper la tête ». Mais Tanguy n’est pas qu’un histrion, son éducation le porte vers le XIX ème siècle et le romantisme allemand.
La solitude du coureur de fond commence avec celle du petit poucet : « En balade en montagne avec mes parents, j’aimais prendre de l’avance pour écouter la nature. Le jour où je me suis retrouvé nez à nez avec un chamois ce fut un choc ! ». L’autre choc il l’aura à la télévision en voyant « Serge Lama descendre les escaliers du Lido, entouré de danseuses en plumes d’autruche. En fait dès le début j’ai eu des goûts très variés » avoue-t-il. Pourtant au cœur de ce pandémonium où une chatte ne retrouverait pas ses chatons, Cédric, lui, réussit à extraire le suc de son langage. « Il faut voir mon travail comme un palimpseste* sous synchrotron**, un peu comme si en déchirant une tapisserie de chambre d’adolescent on découvrait dessous des peintures rupestres ».
Le cannibale aux doigts de fée
Celui qui a passé son enfance au pays où les arbres prennent à la nuit des formes humaines, verse très tôt dans une dramaturgie flirtant avec le dandysme et le grand guignol, les chants de Maldoror, les paradis artificiels, Clovis Trouille et Ed Wood. En véritable alchimiste, l’artiste aux doigts de fée laisse transparaître dans son œuvre tant d’influences qu’il semble avoir été nourri par la Louve du Capitole afin de fonder sa propre cité.
Sa passion pour l’art classique étant aussi forte que son désir de transgression, Cédric transforme sa propre image et celle du monde en pillant tout ce qui l’entoure, avec un appétit féroce pour le rance, le kitsch et le rebut. Fashion victims, groupies hystériques, playboys sculpturaux, rock-stars en bois, teenagers en conserves, faux prophètes, gourous de pacotilles et vampires bis : il faut de tout pour faire Tanguyville ! Mais dans le jardin du bien nommé Marquis, Cédric, comme Alice, a du passer de l’autre coté du miroir afin de chasser l’âme damnée qu’il fut pour ses camarades de classe. De sa mue s’est alors envolé un prédateur aux ailes diaphanes. Un chemin de rédemption qu’il a tracé avec la même jubilation, de la vidéo à la photographie, de la performance à l’installation n’ayant de cesse de dynamiter l’identité, d’équarrir son époque en l’envoyant parfois se faire voir dans la machine à « démonter » le temps.
Car son pêché mignon il l’avoue : « Confronter l’œuvre d’art historique, sa durée classique avec le temps informatique compressé ». Les grands maîtres d’hier peuvent aujourd’hui être « samplés ». Et en un clic le bug artistique commence ! Pourquoi celui qui a baigné dans la culture du supermarché s’en priverait-il ? S’accaparant les icônes comme le fit jadis Andy Warhol, Cédric Tanguy lui, les détrône en les égarant dans une forêt pétrifiée de pixels. Bienvenue dans le labyrinthique lupanar du virtuel où des tongues dernier cri traînent sur le parquet de la chambre des époux Arnolfini de Van Eyck, et où lyrique et pathétique font bon ménage. Au feu l’art pompier, c’est Mozart qu’on assassine ! Non plutôt quelques idoles aux pieds d’argile que l’on bascule au Musée.
La vengeance est un plat qui se mange froid !
Mais en 2003, l’heure de la revanche a sonné. Cédric passe deux mois dans le Lycée agricole de Barbezieux pour réaliser enfin son film : The beautiful, the billy goat & the batterer, THREE « B » FREAKS (Le beau, le bouc & le bourreau, TROIS "B" MONSTRES). Derrière ce titre qui pourrait être celui d’un western spaghetti ou le nom d’un Boy’s band, et qui évoque le métrage culte de Tod Browning, Freaks (La monstrueuse parade), se cache un règlement de compte. En effet dans ce premier volet d’une trilogie autobiographique, Cédric rejoue les scènes de son adolescence de souffre-douleur. Mais cette fois Tanguy tient sa revanche. Il revient en hussard napoléonien, rugbyman et anthropophage, se prenant à l’occasion pour Bruce Lee, et lève ses troupes dans les classes, parmi des boucs émissaires assoiffés de vengeance. Ce film mixant souvenirs et fantasmes, projeté en 2007 à la Sous-Station à Nice, fait couler le sang dans la neige comme l’artiste n’a pas fini de faire couler l’encre.
Car dans son atelier vençois, Cédric Tanguy prépare pour 2010, entre deux portraits commandés par des collectionneurs (dont un pour le grand collectionneur niçois Bernard Massini), une exposition monographique pour le lieu Unique : 1200 m2 offerts par la grande scène nationale de Nantes sise dans l’ancienne usine Lu. Après s’être transfiguré en Dracula dans l’univers gothique de la Hammer Film, en hussard/rugbyman, en viking/quarter back dans la glace polaire sur fond d’apocalypse, quel sera son prochain rôle ?
Cédric avoue s’intéresser de près aux techniques 3D et à celles développées au XIX ème siècle qui servirent au théâtre pour recréer l’illusion de décors. Le Panorama Bourbaki à 360 °, les Dioramas ou encore l’Eidophusikon avec ses décors peints sur verre et animés par effets mécaniques l’inspirent : « J’aimerais me servir de ces techniques pour faire à Nantes une mise en espace en jouant avec les enfilades de portes et les perspectives. Mon rêve : que les visiteurs puissent avoir la sensation de se déplacer au cœur des mes œuvres ! ». Nouvelles technologies, nouveaux miroirs, il semblerait que le Narcisse contemporain n’ait pas encore fini son voyage en eau trouble !
* Palimpseste (masculin) Un palimpseste est un parchemin manuscrit dont on a effacé la première écriture afin d’écrire un nouveau texte. Dans la critique littéraire moderne, désigne la transtextualité, c’est-à-dire tout ce qui met un texte en relation avec d’autres textes. L’idée est que les couches inférieures du texte transparaissent en filigrane.
** Le terme synchrotron désigne un grand instrument électromagnétique destiné à l’accélération à haute énergie de particules élémentaires.
En Savoir Plus
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