Ninon « Une erreur d’aiguillage ! »
Le cas Ninon : Dès le début un vrai casse-tête pour conseillers d’orientation ? Car c’est à la suite d’une succession de chassés-croisés que seule une cartomancienne aurait pu anticiper, que Jean-Jacques Ninon partage aujourd’hui sa vie à Nice entre son atelier et le Palais de justice.
Jean-Jacques Ninon est né à Madagascar en 1945. « J’étais adolescent quand mes parents, comme beaucoup de famille expatriées, ont regagné la Côte d’azur après la décolonisation ». S’il change d’horizon le dessin lui n’a plus quitté son paysage quotidien depuis les bancs de l’école où il croquait dans la marge de ses cahiers. Contre la volonté de ses géniteurs qui n’envisagent pas vraiment pour lui une carrière d’artiste, il intègre les Beaux Arts à Paris mais dans la section architecture ! « On était à milles lieux de ce que je m’imaginais, les cours étaient très axés sur les mathématiques et le bâtiment industriel, un registre pour lequel je n’étais pas franchement doué ». Faux départ ? Il embrasse alors la carrière d’enseignant et passe avec brio un doctorat d’histoire qui l’amène à professer un temps au Gabon. Mais une fois de plus l’aventure tourne court.
Il quitte le giron de l’Education Nationale qu’il juge trop sclérosant pour celui de la justice et devient avocat à Nice : « Max Gallo fut à Nice l’un de mes professeurs, je l’ai retrouvé beaucoup plus tard quand je suis devenu son assistant parlementaire. »
Signaux indiens et écrans de fumée
Rendez-vous manqués, contretemps… Jean-Jacques n’a pas pour autant abandonné ses premières amours. Et c’est dans la marge des « Clairefontaine » que son avenir semble avoir été tout tracé ! Dès la fin des années 1970 il commence à s’adonner à l’acrylique sur toile puis utilise l’ardoise. Quoi de plus naturel pour cet ex-professeur dont la mère était elle-même institutrice que de réanimer ce séculaire ustensile scolaire ! « C’est une matière avec laquelle j’ai pu m’exprimer en toute liberté, elle s’avère plus ludique, on peut y mêler sans complexe images et textes.
En ce moment je me consacre aux ardoises littéraires ». Un exercice de style qui a été dévoilé l’an dernier au Festival du Livre de Nice et pour lequel l’artiste a nourri une telle production qu’il projette de l’accrocher prochainement aux cimaises d’une galerie.
Ses inspirations majeures, le Pop art, la Bande Dessinée et la publicité. Un médium qu’il aime détourner de son objectif pour mieux dénoncer les dérives d’une société post-industrielle sourde et muette souvent contrainte à communiquer par signes ou pictogrammes. Haro sur le Bibendum Michelin, les logotypes des consortiums pétroliers et multinationales, même les hommes d’Etat y passent (Chirac, Berlusconi). Ninon s’empare de tout ce qui lui donne matière à poser un regard décapant sur notre époque.
D’autres avant lui, de Léger à Warhol, se sont servis de cette arme à double tranchant, mais la jubilation de Ninon, son plaisir à produire du sens comme à révéler l’absurdité de nos modes de vie à travers ces figures de proues consuméristes est compulsif : « Mon truc, c’est la narration, mais ce que je préfère par dessus tout c’est le bouillon de contre-culture qui émane des grandes fresques de Érro ». Car la Bande Dessinée, et plus particulièrement les comics de l’âge d’or américain (Tarzan, Dick Tracy, Flash Gordon, Superman), c’est l’autre carquois où ce portraitiste avoue puiser la plupart de ses traits acérés.
Une Harley Davidson sous la robe !
De la sociologie à l’histoire il n’y a qu’un pas que ce professeur a franchi en publiant en 1995 aux Editions niçoises « Z », une chronique illustrée de Nice, puis deux ans plus tard, une autre sur Madagascar. Souvenirs, souvenirs ! « A l’époque on me retournait mes manuscrits avec la mention : Ce n’est pas de la Bande Dessinée, il y a trop de textes ! Aujourd’hui ce genre fait rage sous le nom de roman graphique ».
Mais comment Dr Jekyll trouve t-il donc le temps de se changer en Mister Hyde ? « Quand on veut on peut ! Max gallo se levait à 4h 00 du matin pour écrire. Pour ma part, je ne mange pas à midi, le soir je travaille. Je ne pars pas en vacances et rarement en week-end ! ».
Il faut au moins cela, car en dehors de son talent de plasticien qui lui valu plusieurs expositions mémorables chez Alexandre de La Salle, à la Galerie de la Marine ou encore chez Ferrero où il est artiste permanent, Jean-Jacques Ninon, dessine pour la presse, et rédige le bulletin de l’Ordre des Avocats du Barreau de Nice. Bref une vie bien remplie ! Une vie qu’il traverse à cent à l’heure sur une vrombissante Harley Davidson customisée par ses soins.
Sur le haut du réservoir jaune, l’emblème du Conseil de l’Ordre, juste à coté - ça pourrait faire désordre- en lettres colorées : « Ninon » comme un dernier pied-de-nez à une erreur d’aiguillage qui semble l’avoir mis, tout compte fait, sur la voie royale !
Plus d’ardoises : www.j-j-ninon.com