Moya sur son île
Si son interlocuteur s’y perd, Patrick Moya non, qui jongle d’un univers à l’autre, de la RL (pour Real Life) à SL (pour Second Life), de la même manière qu’il s’est toujours joué des différents médias, passant des pinceaux à l’ordinateur, des peintures pseudo-naives remplies d’animaux aux films en 3D puis aux gigantesques sculptures en acier.
Une journée dans la vie d’un artiste hypermedia
Dès l’aube, avant même de boire son café, Patrick Moya allume son ordinateur pour relever le radar qui lui donne le nom de tous les avatars passés sur son île pendant la nuit, en provenance du Japon, du Danemark ou des Etats-Unis.
Après un croissant mangé au dessus du clavier de l’ordinateur, faisant fi des miettes tombant dedans de peur de rater quelques minutes de sa « seconde vie », son double moya janus passe dire bonjour aux étudiants des Beaux-Arts de Venise qui prépare la (vraie !) Biennale d’architecture dans l’atelier virtuel qu’il leur a installé sur la rive sud-est.
Comme il faut bien vivre, vendre quelques toiles sous la pression de son galeriste, il monte dans son atelier de la RL à l’étage pour commencer une toile de commande. En attendant que la peinture sèche, il redescend sur SL visiter un nouveau lieu d’exposition, par exemple l’île du « Docteur Muglerstein » conçu par Thierry Mugler, qui a proposé à Moya une (virtuelle) résidence d’artiste.
Peu avant midi, c’est l’heure où Moya redescend dans la RL pour donner ses rendez-vous, juste avant le rituel déjeuner de midi dans son restaurant préféré du quartier, où il invite un journaliste, un chef d’entreprise à la recherche d’idées, un commissaire d’exposition ou le représentant d’une grande banque intéressé par une démonstration de Second Life.
Ces heures du déjeuner sont bien les seuls moments consacrés à sa vie « privée », à la suite de quoi il revient poursuivre sur Second Life ses travaux de terrassements, pour, suivant l’humeur du moment, construire un nouveau musée Moya, un hôpital Moya, une boutique Moya ou alors pour creuser un gouffre vertigineux dans la falaise du Vieux Moya afin d’épater les futurs visiteurs.
Sous le coup de l’inspiration, il remonte dans son atelier de peinture pour s’essayer à la représentation picturale de son avatar, ou enrichir de personnages peints une image numérique issue de Second Life … Autant d’œuvres mixtes, mêlant réel et virtuel qui serviront de prétexte à une future exposition. Tandis que, par peur de rater une rencontre déterminante, il connecte un pc portable en wifi pour pouvoir surveiller SL tout en continuant la peinture.
Après l’incontournable café de 16 heures sonnantes (réel celui-là), il reprend sa deuxième vie pour inventer quelques nouvelles sculptures virtuelles. Se jouant des « scripts » spécifiques de SL - grâce auxquels on donne des attributs de flexibilité ou de rotation à des formes choisies - il poursuit son oeuvre de la RL en déclinant les quatre lettres de son nom, ou ses thèmes fétiches comme les ailes, les masques et les auto-portraits.
Quand le soir tombe, Moya se prépare pour « aller manger chez sa maman », seule opportunité pour lui de regarder un peu la télé et de s’informer de la marche du monde réel - avant de rentrer en vitesse participer à l’intense vie nocturne de SL.
C’est ainsi que son double, moya janus, assiste à un vernissage, à un concert, à une conférence de haut niveau sur Pierre Bourdieu ou sur le e-paper … Quand il ne s’agit pas de répondre à une interview en direct depuis SL par avatar interposé : c’est ce qu’il a fait récemment pour une radio suisse, pionnière de la radio-web !
Parfois, Moya laisse son avatar danser dans une « rave » pour remonter finir une gigantesque toile de 4 mètres destinée à une Dolly Party, tout en écoutant la musique en streaming d’un DJ en direct de Zurich sur SL. Et avant d’éteindre l’ordinateur, il ne manque pas de faire un retour sur son île afin de guetter les visiteurs et leur proposer une visite guidée en voiture … lui qui n’a pas son permis de conduire dans la RL !
Sur le coup des deux heures du matin, Moya remonte une dernière fois … pour se coucher, quittant à regret sa passionnante seconde vie.
SECOND LIFE A-T-IL UN AVENIR ?
Le phénomène Second Life est-il un feu de paille ou symbolise-t-il le web du futur ? Toujours est-il qu’il n’est pas né par hasard : 10 ans de réflexion, 4 ans de développement, une amélioration continue, des outils de 3D accessibles à tous, l’implantation d’IBM en 2006 suivie de nombreuses entreprises internationales - de Microsoft à Nike en passant par Coca-Cola ou Toyota, mais aussi Renault et Peugeot, BNP-Paribas, la Caisse d’ Epargne et le Crédit Agricole, L’Oréal et YSL - ce deuxième monde a pris de l’avance sur la concurrence.
Créée en 2003 par le Californien Philip Rosedale, qui voulait « inventer un nouveau monde », l’entreprise Linden Lab emploie 200 programmeurs indépendants pour un chiffre d’affaires estimé à 70 millions d’euros.
Et même si aujourd’hui, la progression est ralentie (plus de 13 millions d’inscrits mais 60.000 personnes connectées en même temps), le fondateur n’étant plus que Président du Conseil d’Administration, et les entreprises déçues de ne pouvoir (jusqu’à présent) y faire des affaires, SL reste une formidable opportunité pour les créatifs, à l’exemple de Patrick Moya.
C’est sur Second Life et nulle part ailleurs
Où, ailleurs que sur SL, Patrick Moya aurait-il pu acheter une île de 65.000 mètres carrés et lui donner son nom. En faire une oeuvre globale de la taille d’une petite ville qui demande plusieurs heures de visite. Montrer son travail au monde entier, en 3D, rencontrer en personne son public, et le faire entrer dans son univers. Avec comme conséquences de vendre des sculptures virtuelles dans une foire d’art (Start à Strasbourg en novembre 2007), d’animer des soirées branchées (par exemple au Théâtre de la Mer à Sète pour accompagner le groupe de rock franco-islandais The Do), de faire des interventions dans des écoles d’art (l’Accademia di Belle Arti de Venise) ou même, surprenant retour des choses, bientôt devant les ingénieurs d’IBM La Gaude !
Mais posséder une île sur Second Life (il en existe 14.000 à ce jour) n’est pas à la portée de tous, il faut en payer le prix. Le plus souvent, seules les grandes entreprises peuvent se le permettre. Ou alors quelques promoteurs entreprenants - comme cette jeune chinoise devenue célèbre (elle a fait la une de Business Week !) pour s’être enrichie en revendant des îles en parcelles et en faisant de la spéculation immobilière, comme dans la vraie vie !
En tant qu’artiste, Patrick Moya est en la matière un cas unique, d’autant plus qu’il a donné son nom à cette île, comme il avait auparavant acheté son nom de domaine sur internet. Notons qu’il reste en cohérence parfaite avec sa démarche artistique, quand on connaît l’importance du nom dans son oeuvre … et sa théorie selon laquelle « la créature - en l’occurence moya janus - doit prendre le pouvoir sur le créateur ».
A part l’exception Moya, on trouve par exemple Thierry Mugler, qui, depuis qu’il a revendu en 2002 sa maison de couture, finance quelques projets novateurs. Ainsi il a confié à Balistik*Art, une agence de communication 2.0 créée en octobre 2007, la construction de l’île du "Docteur Muglerstein", transposition de son univers extravagant, où le « docteur » propose aux résidents de « Muglériser » leurs avatars, de revêtir l’apparence de personnages célestes et fantastiques, fidèles à l’imaginaire du créateur : « ma mesure, c’est la démesure », aime-t-il à dire.
Réalisée par un « builder » spécialisé, Balthasar Truffaut de son nom d’avatar, sur un projet dessiné par Mugler lui-même, cette île aux couleurs bleutées de son parfum Angel, est une des plus belles de Second Life. Depuis son premier défilé en 3D réalisé à Imagina en 1998, Thierry Mugler est à ce jour le seul créateur de renommée internationale à s’investir dans les mondes virtuels. Quant aux fondateurs de Balistik*Art, Stéphane Galienni et Alexandre Véry, ils se destinent à accompagner les annonceurs du luxe (dernièrement Lancôme ou Jean-Paul Gaultier) dans leurs approches nouveaux médias, à « anticiper l’évolution des comportements communautaires afin de délivrer le bon message au bon moment sur les bons canaux de communication ».
Second Life est pour eux un « formidable laboratoire de recherche dont l’avenir passera par un accès plus simple, voire une intégration aux navigateurs sous forme de plug-in et surtout par l’Open Source et l’interconnexion entre les différents univers virtuels ».
« Les grands artistes du futur viendront du web" a prophétisé Charles Saatchi, grand collectionneur anglais d’art contemporain.
« Second Life, ou un univers équivalent en 3D, est l’avenir de l’internet », approuve Jacques Gros, directeur d’IBM La Gaude, une des rares entreprises azuréennes à posséder une île privée.
Et si c’était vrai ?
En visite sur l’île privée d’IBM La Gaude
L’entreprise américaine est sans doute la seule de la Côte à posséder une île virtuelle. Mais c’est une île à usage privatif des employés d’IBM, elle ne se visite pas … Sauf pour les lecteurs d’Art Côte d’Azur !
Claire Lamy, la « spécialiste SL », nous dévoile qu’on y a reproduit en 3D le site de la Gaude, et que les employés s’y exercent à développer par exemple des magasins virtuels.
De façon générale, l’entreprise américaine dispose à ce jour de plus d’une vingtaine d’îles et de plusieurs milliers de collaborateurs ayant un avatar. Quelques-uns de ses domaines d’action dans les mondes virtuels : le « v-commerce » ou comment les mondes virtuels peuvent être appliqués à chaque secteur d’activité ; la collaboration ou comment travailler ensemble dans les mondes virtuels ; la formation (interne ou clients) ou comment les mondes virtuels permettant de visualiser des concepts en 3D …
Récemment, les chercheurs d’IBM ont par exemple mis au point un avatar 3D modélisant le dossier médical du patient. Bref, IBM cherche à déterminer « quels nouveaux usages peuvent découler de ces nouvelles technologies, qui feront partie de l’internet 3D de demain ».
Et pour les curieux qui veulent rencontrer un « IBMer », rendez-vous dans le centre d’affaires virtuel IBM : il est ouvert 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 !
Le Guide de l’île MOYA sur Second Life
Pour poursuivre l’illusion d’un nouvel univers à visiter, Patrick Moya a rédigé un Guide touristique de son île qui raconte en détail l’histoire de l’implantation de Moya sur Second Life. Il y explique par exemple la construction du vieux village de Moya qui surplombe la mer, avec à son sommet, la Chapelle Moya (copie conforme de la Chapelle Saint Jean-Baptiste peinte par Moya à Clans) ou encore du Moya Club, qui accueille les célèbres soirées Techno Dolly Party dont Moya a dessiné la mascotte.
A côté des nombreux musées Moya, de la Biennale de Moya … le Guide répertorie également les boutiques Moya, où rien n’est à vendre mais qui servent à exposer les oeuvres de Moya ayant pour thèmes la mode, l’optique, la lingerie ou les vins. Il en est de même pour le Moya Hospital ou la pharmacie Moya. Le Moya Land n’exige ni visa ni papier d’identité, mais vous proposera un "Moya Tour", visite guidée en voiture en présence de l’artiste en personne. L’île Moya : une destination de rêve !
Flo06 Writer (alias FC), envoyée spéciale sur Second Life
Le guide de l’île Moya est consultable sur internet à cette adresse :
http://www.moyacircus.com/sltourisme.htm