L’Océanie au bout du cours Saleya à la Galerie Lapita à Nice.
La Galerie Lapita vous propose une exposition exceptionnelle d’objets d’art océanien en tridacna gigas ou bénitier fossilisé depuis le 10 février. Des trésors, mais aussi un livre, « Tridacna gigas : objets de prestige en Mélanésie » écrit par Didier Zanette et Eric Lancrenon. Le temps d’une dédicace, l’explorateur passionné a dû s’envoler de nouveau pour la Nouvelle-Calédonie. Nous l’avons saisi au vol…
Didier Zanette était venu de Nouméa où il dirige d’ailleurs une galerie d’art réputée dans tout le Pacifique. Dans son livre, il dévoile le caractère emblématique de ces objets rares, véritables œuvres d’art. En Mélanésie, le bénitier fossile, fait de matériau rare et incroyablement façonné, trouve son utilité dans le reflet du prestige des chefs. Cinq et sept ans de travail pour sculpter certaines pièces, l’auteur nomade nous en livre les secrets…
Tout d’abord nous aimerions en savoir un peu plus sur vous Didier Zanette, vous êtes l’auteur de ce livre sur ces objets de prestige que sont les bénitiers : "Tridacna Gigas", qui êtes-vous ? Quel est votre parcours ?
Didier Zanette : Je suis né au Maroc en 1966, j’ai suivi ma scolarité à Casablanca, puis le secondaire à l’île de la Réunion. Après avoir été tenté par les beaux-arts, j’ai opté pour des études d’ingénieur agronome (ISTOM – Cergy-Pontoise) complétées par un troisième cycle en gestion (ISG-Paris). En 1990, je m’installe en Nouvelle-Calédonie et je m’oriente vers une carrière de banquier. Initié à l’art africain dès mon plus jeune âge, c’est tout naturellement que mon intérêt se porte vers des pièces océaniennes dès mon implantation dans le Pacifique. J’entreprends d’ailleurs de nombreux voyages à travers toute la zone.
En 2003, je décide de faire de ma passion un enjeu de tous les jours et je prends les rênes d’une galerie d’arts premiers à Nouméa...
Le Pacifique, une terre d’exploration ?
Spécialiste des arts premiers du Pacifique, je mène une quête depuis de nombreuses années à travers les pays de l’Océanie, en Mélanésie, en Australie, en Indonésie et en Asie du Sud-est. J’ai passé ce début de millénaire à collecter, au plus profond des forêts et des vallées, auprès des populations vivant encore aujourd’hui en harmonie avec leurs traditions, des pièces utilisées pour des besoins usuels ou rituels.
Cette connaissance de terrain est un atout majeur puisqu’elle permet de garantir l’authenticité des pièces et de combler le manque de connaissances actuel sur ces régions peu visitées. Cette spécificité m’a permis de développer de solides partenariats avec les Musées en Nouvelle-Calédonie et en France.
Votre livre a été présenté au salon international du Livre Océanien en novembre dernier, comment est né ce projet ?
L’envie de partager mon attachement à la culture océanienne se traduit par l’édition d’ouvrages centrés sur la culture mélanésienne. Je me suis lancé dans une collection intitulée "Et si nous parlions l’Océanien ?", en 2008 est paru le premier volume : 100 kundu papous ; en 2009 : 100 Objets de navigation de Mélanésie et en 2010 : le Bestiaire mélanésien, 100 représentations. Le quatrième volume dédié aux ustensiles de cuisine doit paraître en mi-2012. Chaque livre est décliné sur le même concept et s’adresse autant au grand public qu’aux amateurs d’art océanien. La présentation de 100 spécimens d’une même famille d’objets est une invitation à voyager sur une zone géographique peu connue, à s’imprégner de modes de vie traditionnelle oubliés, à remonter dans le temps. Je tente de donner aux lecteurs une vision élargie des aptitudes artistiques et de la vivacité des créations océaniennes. Sur le terrain, je prends de nombreuses photographies qui viennent témoigner du contexte dans lequel les objets vivent encore aujourd’hui.
Pour répondre à la question « comment est né ce projet ? », au départ je comptais compléter notre collection avec une thématique sur les objets en bénitier fossilisé car cette matière noble est quasi inconnue en dehors de la zone Pacifique d’une part et d’autre part elle a permis le modelage d’objets hors du commun.
Vous avez écrit à quatre mains avec Eric Lancrenon, comment vous êtes-vous rencontrés ? Comment avez-vous travaillé ensemble ?
En discutant de ce projet un ami Eric Lancrenon, également passionné par ce type d’objets, qui ayant compilé des articles sur le sujet, m’a proposé sa collaboration. Les rôles de chacun étaient clairement établis, Eric s’est attelé à la recherche d’infos dans les musées possédant des spécimens en bénitier (de Londres à Fidji en passant par l’Australie), je me suis concentré sur la partie terrain. Je me suis même rendu en Asie du Sud-Est, berceau des civilisations austronésiennes ayant accompli les grandes migrations vers la Mélanésie, à la recherche de traces d’objets préfigurant ceux océaniens.
Que sont ces objets ? Leur usage ? Où les trouve-t-on ?
Après avoir séjourné des millions d’années dans la terre, il arrivait que les coquilles du mollusque tridacna gigas soient retrouvées enfouies proches de la surface du sol. Cette matière fossile résistante était peu abondante et précieuse, et donc destinée aux hommes et femmes de haut rang. Seuls des maîtres artisans avaient l’aptitude de les façonner. Ce travail fastidieux et minutieux de sculpture et de polissage permettait de transformer les coquilles de bénitier en parures ou en objets de prestige. C’est certainement sa rareté et son merveilleux rendu une fois découpé et poli, qui en ont fait un objet d’échange majeur d’Asie du Sud-Est jusqu’en Mélanésie accompagnant les migrations des peuples Austronésiens. Les plus anciens vestiges d’outils façonnés en tridacne datent de 11 000 ans avant JC et proviennent de haches retrouvées sur l’île de Manus en Papouasie.
Matière d’exception, le bénitier fossile a donné naissance à des objets singuliers et éminemment précieux, prisés par les hommes de pouvoir en Mélanésie. Pour maintenir les prérogatives dues à leur position sociale, ces derniers se devaient d’afficher des insignes hors du commun. Contrairement aux sculptures en bois, le bénitier fossile résistant à la dégradation du temps, a favorisé pour de nombreuses générations, la donation de père en fils de ces biens inestimables, ce qui a contribué à alimenter le caractère divin de certains objets. Ces objets sont spécifiques à la Mélanésie (îles Salomon, Nord de la Papouasie et Vanuatu). La difficulté à l’époque d’acquérir de telles pièces s’est répercutée et amplifiée de nos jours. Cette pénurie explique pourquoi pendant longtemps ces objets furent ignorés des occidentaux et pourquoi aujourd’hui si peu de prototypes subsistent dans les collections.
Les bénitiers sont de véritables trésors... Ils vous fascinent...
Ces objets incroyables risquent de tomber dans l’oubli, ce livre est destiné rendre aux objets en tridacne la place qu’ils méritent au panthéon des œuvres d’art océaniennes.
Le nombre des anciens qui possèdent la mémoire des faits et des savoir-faire se réduit d’année en année. Les générations d’aujourd’hui ne sont plus systématiquement porteuses des histoires du clan. Sans écrit, de nombreuses traditions risquent de tomber dans l’oubli. Ce livre conservera pour les générations futures, une part importante des connaissances liées aux objets en bénitier, aux moyens mis en œuvre pour les élaborer, à leur utilité, aux messages qu’ils véhiculent. C’est une démarche d’ouverture et de démocratisation du savoir, qui participe à la sauvegarde du patrimoine de l’oralité, à la découverte des peuples mélanésiens dans l’expression de leurs arts et coutumes ancestrales.
Des objets rares qui souvent sont attribués aux hommes de pouvoir, des objets de force, de rayonnement, qui ont incontestablement une valeur voire une dimension particulière ?
Cette matière précieuse, spécifique à l’Océanie, est une matière peu connue, on la confond parfois avec de l’ivoire ; elle témoigne des traditions oubliées des peuples océaniens et de la virtuosité de leurs artistes. C’est la seule matière précieuse que l’Occident ne se soit pas appropriée. Aucun processus industriel ne pourrait, en effet, remplacer le savoir-faire ancestral nécessaire au façonnage du bénitier. Il faut du temps, de la persévérance et de la dextérité pour réaliser des parures, des monnaies ou des plaques barava. Il n’existe à ce jour aucun livre traitant de l’art du bénitier en Océanie, notre livre se veut un ouvrage de référence sur le sujet . Les 200 objets en bénitiers présentés dans l’ouvrage proviennent de musées (Nouméa, Port-Vila, Honiara, Fidji, Sydney, Dunedin, Wellington, Adélaide, Bâle, British Museum) et de collections privées. Tous les types d’objets façonnés dans le bénitier et connus à ce jour y sont répertoriés. Le sujet est traité de manière à aborder toutes les facettes du bénitier, de la biologie de l’animal, à l’histoire de son utilisation par les hommes, aux procédés de fabrication des objets de prestige, aux rituels associés….
La force et l’originalité du livre résident dans le travail d’exploration et de collecte d’informations sur le terrain, en particulier auprès des anciens. Cela a permis d’étayer certaines thèses ou d’imaginer de nouvelles perspectives. Un fait essentiel est mis en exergue dans ce livre, c’est la relation entre la symbolique développée sur les objets Dong Son et celles retrouvées gravées sur les barava des îles Salomon. On avait déjà fait le lien entre style Dong Son et certains motifs lapita.
Outre une convalescence forcée (ndlr : l’auteur s’est blessé lors de sa venue à Nice), quels sont vos projets ?
Je retourne en Papouasie très prochainement et à mon retour, j’organise début avril une grande exposition d’art aborigène à Nouméa avec la venue de deux grandes artistes de Papunya Tula, originaires du désert central. Mon ambition est de faire la même chose à Nice pour faire découvrir cet art ancestral à la fois spirituel et contemporain.
– Galerie Lapita, 1 place Charles Félix à Nice au bout du cours Saleya.
– http://www.lapita-oceanicart.com/ho...