No made : chemins de traverse
Ils sont d’origines, générations, sensibilités et de pratiques différentes. Ils se retrouvent chaque année à l’Arboretum de Roure et à Cap d’Ail. Leurs points communs : l’art contemporain et un certain sens de l’orientation. Ils, ce sont les membres de ce collectif d’une trentaine d’artistes évoluant sous le nom de No made.
S’il vous arrive de vous perdre en montagne ou même en ville, le plus sûr moyen de retrouver votre chemin, c’est de suivre un parcours No made : il vous mènera plus sûrement qu’un G.P.S à destination. Mais le but de ce voyage, quel est-il vraiment ? No made, qui fêtera en 2009 ses 10 ans, est connu du public pour proposer chaque année, dès septembre, un itinéraire bis de l’art contemporain en pleine nature. Un parcours jalonné d’œuvres éphémères, qui n’est pas soluble dans la nature - même s’il en épouse ses formes et ses rites - mais qui instaure un dialogue avec elle, tout en invitant le promeneur à se découvrir au fil de son cheminement.
Ce projet hors pistes, motivé par une grande soif de liberté créative, depuis qu’il est né sous l’impulsion de Denis Gibelin, Elena Krajewicz et Gérard Petitti a fait son chemin auprès du grand public et de ses pairs. No made a ainsi reçu les parrainages de Ben, prompt à encourager les mouvements en rupture, d’Ernest Pignon Ernest qui, intéressé par les travaux intégrés à la nature, a établi en 2004 un lien avec ses recherches liées au végétal, ou encore de Jean-Michel Folon, séduit par la mise en œuvre poétique de l’Arboretum. Enfin Valerio Adami, Ousmane Sow (l’un des plus importants sculpteurs contemporains) et Nicolas Lavarenne signèrent et collaborèrent aux trois dernières éditions !
Interview d’un des créateurs du Festival, Denis Gibelin
– Comment l’aventure No made a t-elle débuté ?
Denis Gibelin : En 1999 nous avons décidé d’investir les collines niçoises autour de la Villa Soleil. L’exposition présentée à Jonquière (84) a fini par attirer des artistes venant d’Avignon comme l’anglais Paul Stapleton ou l’allemand Franz Stähler qui ont rejoint ceux d’ici dont quelques-uns issus de la Brèche à Nice (Louis Dollé, Maurice Maubert, Thierry Boussard…).
Rencontres après rencontres, le puzzle s’est constitué. Le nom fut choisi pour sa référence au Ready made et son aspect itinérant. Après avoir investi la Villa Roc Fleuri à Cap d’Ail le groupe a œuvré sous la bannière « Euro totem » en 2001, « Verbes » en 2002 avant de revenir à la marque No made en 2003.
– Une année charnière ?
Denis Gibelin : C’est avec cette édition soutenue par la signature de Ben que nous avons intégré l’Arboretum de Roure grâce à sa Présidente Michèle Ramin, et, que nous avons pu créer une ponctuation au village de Clans. Avec le spot de Cap d’Ail nous confirmions ainsi notre volonté de mailler le nord au sud, le haut pays au rivage avec comme axe le mythique sentier du G.R.5.
– Comment existe ce collectif ?
– Denis Gibelin : Rien n’est figé ! No made est un collectif de créateurs aux frontières fluctuantes : ils sont réunis par affinités autour de projets dans lesquels leurs savoir-faire s’expriment librement, qu’ils soient plasticiens, musiciens, vidéastes ou performeurs : l’éclectisme, c’est l’autre corollaire de No made !
– Comment définir votre action ?
Denis Gibelin : Frédéric Falsetti, notre « poil à gratter » qualifie No made de « concept mou ». C’est vrai dans le sens où nous nous adaptons toujours à la situation, au lieu, au thème. Mais cela tout en conservant une exigence. No made n’est pas caméléon pas plus d’ailleurs que du Land Art dont il peut s’inspirer dans la mesure où nous engageons une relation privilégiée avec la Nature : les œuvres créées lui sont confiées afin qu’elle les re-sculpte avec le temps et les intempéries. Mais No made se tient à distance de ce courant : nos installations ne sont pas toutes biodégradables. Elles sont à faire ou à défaire chaque année !
– Vous intervenez également dans des espaces urbains ?
Denis Gibelin : Si l’Arboretum reste notre campement, depuis deux ans nous avons mis un pied à Cannes grâce au soutien logistique de la M.J.C Picaud. Le Palais des Sports que nous avions investi en 2007 a été détruit. Dans ces lieux fermés nous agissons plutôt comme une troupe. 2008 fut une autre étape remarquable car nous sommes entrés pour la première fois dans un espace citadin : le quartier Mimont-République à Cannes. Le concept a fonctionné de la même façon qu’en haute altitude. En fait l’autre singularité de No made est de ne pas se produire dans des espaces dédiés à l’art mais voués à d’autres usages. Notre présence sur la voie déferrée de Cap d’Ail était déjà un symbole fort : un lieu qui a été dévié de sa fonction initiale exactement comme une œuvre de Marcel Duchamp !
– Près de 300 artistes présentés depuis l’origine, quelques 500 visiteurs par an à Cap d’Ail… Quelle est la recette de cette pérennité ?
Denis Gibelin : Pas l’argent en tous les cas, même si nous sommes aidés par les collectivités. Tout cela tient la route grâce au professionnalisme de nos artistes. Il existe une réelle force dans le groupe, tout le monde met la main à la pâte, sans attendre d’autre retour que celui d’un travail en commun. On a toujours évité d’ailleurs une quelconque intervention d’un chef. No made n’a pas rencontré une œuvre mais des individualités partageant la même envie. Une énergie qui semble capter tous les publics. Pour l’anecdote, S.A.S le Prince Albert, qui a inauguré l’édition 2008, est venu à trois reprises : cette année il est resté prés de quatre heures à découvrir notre travail in situ.
– Et l’avenir de No made ?
Denis Gibelin : Pour aller plus loin, il faudrait réagir de façon plus structurée tout en préservant notre identité. On souhaiterait également se rapprocher de Nice, le berceau de l’appellation. L’autre jour, j’ai découvert sur Google Earth, « NO MADE » écrit en toutes lettres, vu du ciel sur la voie ferrée de Cap d’Ail : une performance datant de 2006. Une découverte qui donne envie d’explorer d’autres dimensions plus universelles encore !