Le 20 novembre 2006, dans l’enceinte de son ancien lycée d’Emstetten, en Allemagne, un jeune homme de 19 ans tire sur des élèves et des professeurs avant de se donner la mort.
Il avait préparé son geste en notant dans des carnets les pensées hostiles à la société qu’il « ruminait » depuis plusieurs années. C’est d’après ce journal intime que l’auteur Suédois Lars Norén a écrit « Le 20 novembre », un monologue qui plonge les spectateurs dans la tête torturée d’un garçon qui crie sa haine de la société.
Depuis qu’il l’avait lu, Samuel Chariéras poursuivait l’idée de l’interpréter et de le mettre en scène pour donner à entendre une parole forte en partageant ce texte avec les spectateurs. Un texte qui chemine dans leur tête au-delà du temps de la représentation. C’est un cri de désespoir sur la noirceur de l’existence et le manque de perspectives qui se présentent à la fin de la scolarité. « Tout ce que j’ai appris à l’école c’est que je suis perdant ! »
Avec un enseignement scolaire cadré et dogmatique, le jeune homme perçoit l’école comme un lieu de répression qui prépare à être des adultes d’une société soumise et formatée. « Les ratés ! Nous sommes de plus en plus nombreux. Une armée de losers ! » dit-il en se jugeant inapte au bonheur soumis par les médias.
Le texte prend toute sa valeur grâce à l’interprétation de Samuel Chariéras qui a un jeu intense pour dire ce texte.
Il lui tient particulièrement à coeur de le faire résonner sur un plateau de théâtre et de donner à entendre cette parole au plus grand nombre possible de témoins de la société actuelle. « Faire réfléchir et réagir le spectateur. Pourquoi des hommes en assassinent-ils d’autres ? Pour quelles raisons ? Comment en sont-ils arrivés là ? » dit-il.
Passionné de jeux vidéo, le tueur s’y est entraîné à faire la guerre, il est seul maintenant face à tous les autres, de même que le comédien est seul face au public. A chaque représentation, Samuel Chariéras doit faire en lui tout le cheminement de ce jeune homme dont les tourments le conduiront à l’acte ultime : tuer le plus grand nombre d’élèves et de professeurs dans cette école où il ne s’est jamais senti apprécié « Vous n’êtes pas innocents ! » leur dit-il alors qu’il sait qu’il n’y survivra pas. Déterminé et violent, son discours a quelque chose de logique. Il n’accepte pas ce monde où l’individu est soumis à un parcours obligatoire et programmé. « Tu te crois heureux, mais t’es juste adapté à ton boulot... Une vie sans intérêt », dit-il
Au jeu du comédien, se superposent d’excellents dessins de personnages dont le nez se termine en crayon pointu, bien taillé. Qu’a voulu signifier le dessinateur Nino ? On suppose qu’il fait référence à l’écriture du journal intime de ce jeune homme qui utilisait sa plume comme arme avant d’en saisir une « pour du vrai » et de faire feu. Cet événement fait écho à d’autres massacres, plus ou moins récents et on pense à la tuerie de Columbine aux Etats-Unis, au cours de laquelle 15 personnes périrent.
En écrivant une fiction fondée sur un fait réel, Lars Norén nous renvoie à nos responsabilités, à nos haines de toutes sortes.
Recroquevillé en boule au sol et entouré d’horloges dessinées, Samuel Chariéras continue à dire son texte et à mettre son plan à exécution. « Il n’y eut qu’un mort ce jour-là. Lui-même ! » Un spectacle fort intéressant et transmis avec énergie (David Ayala signe la direction d’acteur) !
Caroline Boudet-Lefort