Cette composition inattendue du spectacle crée un tissage d’analogies entre les différentes pièces.
Comme si les histoires agissaient en échos qui résonnent les unes par rapport aux autres. Comme si plusieurs histoires pouvaient se superposer ou se croiser parfois alors que l’action ne coïncide pas toujours. Mais cela fonctionne. Et fort bien.
Dans ces comédies acidulées, tous les modèles s’inspirent de l’époque de Feydeau où l’adultère bourgeois était banalisé. Avec ces comédies de moeurs insolentes, l’auteur donne à voir les incapacités, les faiblesses, les lâchetés, les mesquineries de ses contemporains. Il dit, à sa façon pointue et rosse, la différence des sexes. Le sexe réputé fort, bardé de certitudes, montre une certaine misogynie, « Les femmes ! Ce que ça vous complique la vie ! ». Misogynie accentuée par les costumes : les femmes sont en peignoir, en bigoudis, en déshabillé...
Quoique les personnages soient caricaturaux, le texte est plus douloureux qu’il ne semble au prime abord, si on regarde ce qui se passe entre ces bourgeois, sournoisement paumés dans leur identité.
Ils semblent plutôt être les enfants qu’ils sont restés. Feydeau dit avec un humour féroce les impasses de la vie de couple, la fatigue de vivre ensemble, les concessions, les compromissions. Et aussi les mensonges et les trahisons.
La mise en scène de Georges Lavaudant navigue à bonne distance du texte, avec une ironie certaine, distillée par des comédiens aussi brillants que libres. Ils parviennent à faire entendre le cynisme planqué derrière la comédie. Comment s’y prennent-ils donc pour nous entraîner à un tel rythme en changeant rapidement de personnages, revenant de l’un à l’autre, prenant le tic de l’un, se jouant de l’accent de l’autre, manipulant leurs voix à loisir ?
Ils sont intelligemment habillés par Jean-Pierre Vergier, créateur des costumes. Et aussi du décor sobre aux murs blancs avec des chaises colorées qui donne une tonalité pop.
Durant des intermèdes musicaux « Hôtel Feydeau » s’inscrit en immenses lettres lumineuses, tandis que des comédiens dansent, tantôt les uns tantôt les autres, afin que certains puissent rapidement changer de costumes. Tout est minuté avec un chronomètre impeccable pour que les saynètes s’enchaînent à un rythme saccadé par une musique alerte, tandis que les dialogues fusent avec une drôlerie jubilatoire. Dans « On purge bébé », au centre du champ de bataille conjugal, le « bébé » de sept ans fait ses caprices et stimule ses parents dans leur guerre.
C’est drôle avec une légèreté qui parfois peut se teinter d’amertume, d’une ironie écorchée dans le jeu des acteurs.
L’humour peut dissimuler des abîmes de cruauté. Sur ces vies un peu ratées, car jamais savourées dans l’instant. Sur ces imbroglios conjugaux et familiaux où on peut imaginer que les personnages sont des fantômes évoluant dans une époque qu’ils savent révolue.
Cette pétillante comédie de moeurs possède cet esprit champagne réputé si français. Il en a la légèreté des bulles, dont il ne reste rien la soirée terminée. Aussi le petit miracle de ce spectacle, est-il le rythme. Le public rit beaucoup de tous ces petits arrangements avec la vie de couple, magistralement orchestrés par le maestro Georges Lavaudant. On aura goûté, le temps d’une cavalcade effrénée d’un couple à l’autre, à quelques belles tranches de rigolade. C’est déjà ça !
Caroline Boudet-Lefort