Bien avant l’invention de #MeToo, cette auteure avait déjà écrit sur les agressions sexuelles subies par celles auxquelles le silence fut imposé : femmes et petites filles naïves qui ne comprenaient pas l’horreur de ce qui leur arrivait et auxquelles on a imposé de se taire, par crainte de la honte familiale.
Aussi ce qui jaillit de Souad Labbize, c’est ce silence de femme, ce silence qui rend complice de la violence de l’acte criminel masculin. Cet acte qui bousille un être à jamais. Et encore plus le déni qui l’entoure à cause du silence des « autres », ce qui en fait des complices du violeur. Il en va de ricanements, de railleries, de moqueries, et autres connivences...
Elles sont deux, habillées d’un jeans identique et d’une tunique, verte pour l’une et rose fluo pour l’autre. Deux à se relayer pour cette lecture qui prend au ventre chaque auditeur. Elles appellent cela « lecture vivante », mais elles sont mortes à l’intérieur d’elles quand elles s’approprient ces paroles. « Des paroles enfermées dans mon cachot intime ».
Il a fallu à l’auteure quarante années pour pouvoir les écrire en descendant « dans les caves de l’enfance »
« Les mots « violeur » ou « pervers » ne figuraient pas dans mon armoire à mots », dit-elle, en évoquant son viol à l’âge de 9 ans par un adulte, et blessée à jamais par le silence de sa mère. Mots douloureux, traumatisants, rancuniers. Mots imprimés sur des feuilles de papier que les comédiennes, au bord de la nausée, jettent au sol avec mépris au fur et à mesure qu’avance leur lecture.
Une femme qui aspire au bonheur, mais qui reste « handicapée » sans un soutien maternel, sans une reconnaissance qui fait de cette mère une complice de la brutalité masculine. « Le rôle de la mère qui ne veut – ou ne peut - comprendre ». C’est sans doute le plus douloureux dans ces circonstances traumatiques, le silence maternel et « une famille unie autour de mes secrets ». Elle reste une enfant murée dans le mutisme, et n’osera parler des autres viols et agressions sexuelles. « Je m’habituais au manque de tact de ma mère, à l’absence d’affection, au silence de mon père ». Ce déni entraîne la culpabilité.
Une phrase revient comme un leitmotiv « Rien de grave n’est arrivé depuis que ma mère a hurlé ! ».
A-t-elle hurlé d’horreur et d’effroi ou hurlé pour engueuler sa fille trop faible de ne pas avoir résisté ? Une enfant face à un adulte, une enfant dans toute son innocence et sa naïveté...
Sous la franchise abrasive de ce regard sur la fragilité féminine - cette condition qui expose au danger – la nostalgie d’un amour maternel protecteur fait trembler cette femme aux souvenirs à fleur de peau.
L’auditeur-spectateur est capté par l’énergie farouche de l’expression de son désarroi et de sa souffrance
Il imagine l’effort terrible de ranimer ses souvenirs pour les écrire – dans un style magnifique – pour les transmettre aux femmes et aux fillettes d’aujourd’hui, certes plus averties, mais toujours exposées.
Avec une excellente diction et des jeux de scène astucieux, la lecture de Laurence Merlin et Faustine Finzi – parfaites - ne fait que surligner la poésie et la pertinence des mots de ce texte magnifique, sobrement mis en espace par Catherine Lauverjon.
Voir la « lecture vivante » de ce texte d’une force impressionnante, avec des mots qui trottent dans nos têtes pendant longtemps, a été l’occasion de découvrir un tout petit théâtre en plein centre de Nice : le Théâtre l’Impertinent qui a une programmation fort intéressante. Prochainement « Le Roi se meurt » de Ionesco, « Célimène et le Cardinal » de Jacques Rampal, et d’autres à venir...
Caroline Boudet-Lefort