Tout en s’appuyant sur des bases réelles poussées jusqu’à l’absurde, Stefano Massini invente un monde délirant - vers lequel nous courrons à toute allure – et dont s’empare une poignée de jeunes comédiens épatants de la Cie « Les Eclaireurs ».
En pénétrant dans la salle, le spectateur est accueilli par un décor d’objets hétéroclites où dominent le rouge et le blanc, comme le seront les malicieux costumes des acteurs de cette hilarante comédie. Et pourtant c’est drôle et triste, à la fois.
Tandis que défilent quelques images vidéo, une voix standardisée nous accueille dans le Musée de l’Imagination pour donner une alarmante vision du futur, dans un monde bétonné sous forme de mégapoles où l’espace sera rationalisé et la nature évacuée comme inutile. Il n’est plus question de rêvasser devant un beau paysage qui ne servira à rien. Le nucléaire aura réponse à tout, tant pis pour la planète !
L’école se fait en rap. Grâce à des puces électroniques, les acquisitions seront immédiates passant directement par voie digitale dans le cerveau humain. Bien évidemment le livre sera une curiosité, véritable objet de musée pour évoquer le temps des grands-mères.
Même si l’auteur accentue le trait, on voit bien qu’avec la cuisine industrielle on se dirige vers une alimentation à la « va-vite » et que le pas sera rapidement franchi pour la nourriture sous forme de pilules.
Bien sûr des pilules à la saveur de la courgette ou du boudin pour ne pas perdre le goût de la cuisine d’antan. Ainsi, il n’y aura plus d’amoncellements de déchets, ce sera donc déjà un problème de résolu, mais quel sera le plaisir de la convivialité en se réunissant autour d’assiettes de pilules ?
Un tramway aérien passera au-dessus des voitures (n’a-t-on pas récemment inauguré un funiculaire pour éviter les embouteillages ?). Sans doute ferons-nous bientôt du tourisme en ballon. L’argent sera virtuel et la publicité financera la vie de chacun – il faudra vite trouver un sponsor (« achetez-nous ! » clament les comédiens). Les guerres - uniquement des guerres pour éviter la guerre – seront digitales ou faites par des soldats robots. Finies les maladies, et les suicides n’auront lieu qu’en cas de panne d’ordinateur, seul véritable drame. Il n’y aura plus de malheur dans la vie de chacun et, si une vague de tristesse se pointe, vite une piqûre d’optimisme ou une giclée de spray du bonheur, et youpi !
Quant à Internet – ah ! Internet – c’est lui qui régira la planète.
Tous surveillés, encadrés, dirigés dans sa voie toute tracée. Un monde d’uniformatisation où l’un sera identique à l’autre, sans que son apparence, ses qualités et ses défauts ne le distinguent de la masse. Chacun passera à la moulinette de la robotisation, enfermé dans une maison-clapier comme celle de son voisin. En accéléré, les acteurs font une démonstration décapante en utilisant des instruments de cuisine (ou autre) genre râpe ou mini-radiateur : tout leur est utile !
Toniques, les comédiens jouent, courent, dansent pour démontrer ce diable d’avenir ! Comme s’ils avaient le diable au corps pour dire ce texte déjanté dont l’humour provocateur plane entre deux mondes, celui d’aujourd’hui et celui de demain.
L’auteur va au bout de ses détestations et de ses dénonciations. Il s’inspire de situations réalistes et réelles pour les pousser plus loin et nous les livrer joyeusement, n’hésitant pas à faire appel au western aussi bien qu’à l’élection de Donald Trump, ce qui réjouit les enfants, déjà politisés semble-t-il ! Leurs réactions sont immédiates, rien ne leur échappe.
Envisagé de manière universelle, le sujet navigue entre des situations invraisemblables dont les détails attestent la réalité. Poussée jusqu’à l’absurde, la comédie assène simplement, sans discours, ses messages et son idéologie.
L’étonnante bande de comédiens (Kevin Ferdjani, Marjory Gesbert, Issam Kadichi et Irène Reva) se joue des formes, des rythmes et des codes visuels.
Elle n’a pas peur de la pagaille et conduit à la joie, malgré l’effroyable programme égrené sans fin dans ce spectacle qui fait mouche.