Cette actrice y est particulièrement émouvante dans le rôle de Myrtle Gordon, comédienne adulée. Un soir, en sortant d’une répétition, la star est émue par une jeune admiratrice qu’elle voit se faire écraser par une voiture. Bouleversée par cette mort accidentelle, elle se réfugie dans l’alcool au risque de mettre en danger l’équilibre du spectacle qu’elle interprète.
Difficile de comparer le film de près de deux heures et demie et la pièce condensée en une heure dix. Dans cette mise en abîme du théâtre dans le théâtre, Isabelle Adjani s’accapare le personnage de Myrtle Gordon avec tout son talent quoiqu’un peu trop sage. Elle exprime la distance entre l’actrice et son rôle, où, se laissant absorber par son personnage sur scène, elle n’arrive pas à éloigner de ses pensées le souvenir de cette admiratrice lui évoquant sa propre jeunesse (d’autant plus qu’elle est interprétée sur un écran par sa nièce Zoé Adjani qui lui ressemble énormément).
Sur scène, ou parfois jetés dans le public, elle est accompagnée par deux comédiens : Morgan Lloyd Sicard dans le personnage du metteur en scène (que joue Ben Gazzara dans le film) et Frédéric Pierrot dans celui du partenaire et amant de Myrtle (John Cassavetes lui-même au cinéma).
Avec parfois l’irruption de Cyril Teste pour montrer le travail d’un projet sans cesse en cours de création malgré toutes les répétitions, souvent durant des mois, avant la « première ». Le public peut voir tant la scène où se joue le spectacle que les coulisses apparentes, tandis que, de plus, cinéma et théâtre sont imbriqués l’un dans l’autre avec l’adaptation d’un film sur scène durant la pièce.
Un caméraman circule sur le plateau en poursuivant l’actrice et montre ses images sur un immense écran dont la luminosité envahit parfois la scène au détriment, pour le spectateur, du jeu des comédiens. Tous ces niveaux rendent le spectacle lourdement spectaculaire et racontent sans nuances des émotions trop explosées d’un univers à l’autre.
Le magnétisme d’Adjani est toujours là, avec sa carnation translucide, ses merveilleux yeux bleus, son allure altière.
Elle reste auréolée de ses audacieuses performances cinématographiques de Possession à Adèle H, en passant par Camille Claudel et La Reine Margot. Frédéric Pierrot est impeccable en partenaire d’une actrice mythique. Tous manifestent parfaitement la difficulté de jouer qu’ont les comédiens et à exprimer l’amour et le manque d’amour autant que la solitude de chacun dans sa vie avec les risques du vieillissement. Chaque soir se répète la même mise en danger.
Rarement, au théâtre, le silence était aussi total dans la salle avec un public très attentif.
Pourtant lorsqu’un des comédiens dit en parlant de la pièce du soir de cette Première : « la moitié du public aime, l’autre déteste et trouve ça embrouillamini », quelques ricanements fusent dans le public, comme s’il s’agissait d’un avis sur Opening Night ! Mais n’interprétons pas... et apprécions les qualités novatrices et interprétations magistrales de ce spectacle salué par de fougueuses acclamations et des applaudissements frénétiques.
Caroline Boudet-Lefort