LOGIQUIMPERTURBABLEDUFOU
Texte, adaptation et mise en scène de Zabou Breitman
Ils sont quatre jeunes excellents comédiens à occuper tous les postes, afin de s’exprimer tout autant avec les mots qu’avec leurs corps.
Leur travail de gestes clownesques et de voix est admirable. Nous avons pu les apprécier au cours d’une répétition publique de sortie de résidence à Anthéa, après cinq semaines de répétitions d’un intensif entraînement physique afin de s’approprier l’espace. C’était il y a un an déjà ! Aussi tout laisse à supposer une multitude de changements depuis. Le spectacle, alors balbutiant, nous a présenté de jolies trouvailles qui auront sans doute été conservées : un gros pull rouge « habité » par quatre comédiens, un astucieux hublot de bateau derrière lequel les poissons nagent comme dans un aquarium, de sympathiques moments de danse dont un mambo endiablé...
Nous sommes dans un hôpital psychiatrique, aussi pourquoi chercher une cohérence dans cet univers insolite. La folie rôde, autant chez les soignés que chez les soignants, d’autant que les comédiens passent alertement d’un personnage à l’autre, d’un registre à un autre, en mettant ou enlevant vite une blouse blanche.
Chacun joue plusieurs partitions ce qui exige de la part des acteurs un immense travail de précision et un tempo parfait.
Chaque détail a son importance dans cette confusion entre soignés et soignants. Qui est le fou ?
Les patients restent dans leur folie, dans leur « logique imperturbable », l’un est agressif, l’autre délirant... Chaque cas est unique. Même si le fou a sa propre logique, il passe d’une idée à l’autre et sautille dans sa manière d’exprimer ses fantasmes loufoques et chaque apparition semble incongrue. Cependant, le spectacle raconte aussi la violence de la maltraitance institutionnelle, avec une chef de service autoritaire, sûre de son droit.
Depuis le spectacle, drôle et émouvant, a été présenté cet été avec succès dans le off à Avignon, et il revient à Anthéa pour explorer les limites de la folie, dans son absurdité et sa poésie. A la fois comédienne, metteuse en scène et cinéaste, Zabou Breitman avait déjà flirté avec ce qu’on nomme la folie dans « Des gens », adaptation théâtrale du film « Urgences » de Raymond Depardon réalisé aux urgences d’un H P.
Dans un mélange de réalisme et d’onirisme, les courtes saynètes ont un dosage épatant de burlesque qui évite la dramatisation de l’univers de la maladie mentale. L’humour est toujours présent, tirant vers l’absurde et la légèreté. Avec une imagination « dingue » qui permet à la culture de se renouveler pour ne pas répéter ce qui a été fait par le passé, le spectacle confirme l’audace de Zabou Breitman. Avec des croisements vertigineux pour mieux imaginer la trame où se tisse une multitude d’histoires grâce à différents modes d’écriture - façon Beckett ou Joyce-, son inventivité ludique et une ébouriffante fluidité permettent à son spectacle de tourner à la magie dans un merveilleux tourbillon de significations qui fait l’expérience de l’humanité.
A la faveur de l’alchimie créée entre le travail de l’écriture et celui des acteurs, elle exprime une vérité saisissante. De cette réalité, elle tire des situations cocasses, pleine de dérision. On reste estomaqué et hilare dans cette comédie décalée où les comédiens ont beau avoir des chapeaux turlututu, ce n’est pas toujours drôle. Mais, dans cette folle aventure parfois difficile à mener, leur enthousiasme leur a donné des ailes !
Caroline Boudet-Lefort