Les Vitalabri sont chez eux "partout et nulle part. Surtout nulle part !"
Voilà ce que dit d’emblée l’auteur de ses personnages. Le père, la mère et le fils - un violoniste qu’on croirait échappé d’un tableau de Chagall - composent cette famille : ils disent n’être aimés nulle part, aussi déambulent-ils sans cesse pour trouver un lieu un tant soit peu accueillant, mais partout ils n’affrontent que des rejets.
Toujours sur les routes, ils cherchent vainement le pays où ils seront aimés. On leur dit qu’on préfère accueillir des riches et non des miséreux, même au pays des « welcome ». Là-bas peut-être ! Mais là-bas c’est pire, leur dit-on. Sans abri et sans papiers, les Vitalabri continuent leur route, avec comme seul bien leur violon. Ceux qui sont nés quelque part et restent retranchés derrière leurs frontières infranchissables n’en veulent pas et refusent de les accueillir. Ils ont trop d’enfants ou pas assez. C’est jamais juste ce qu’il faut. Le manque d’argent ? Ils connaissent depuis toujours, leurs parents déjà manquaient d’argent. Madame Vitalabri pleine d’espoir et rêve d’un pays où ils auront une place, elle voudrait aller « là où on les aime », mais ce lieu n’existe pas. Pour les aider à franchir la frontière, on leur demande de l’argent, mais ils n’ont « pas un sou, pas un radis, pas un Kopek... » Aussi sont-ils toujours expulsés.
Leur seule richesse, la musique.
Mais la musique, à quoi ça sert ? demande un policier.
« C’est beau, ça émeut » répond le fils qui sera aussitôt embarqué on ne sait où, laissant ses parents avec une tristesse inconsolable. La violence exercée par les polices de tous les pays qui rejettent partout les « Vitalabri » se révèle poignante. Exubérants et pathétiques, ces errants traçant la route avec obstination se greffent n’importe où pour trouver une place. Par leur entêtement à tenter de prendre racine, ils rendent dérisoires les persécutions et les compromissions à leur égard.
Un ultime franchissement de frontière et un hasard improbable permettront un « happy end ». Il faut bien que quelques histoires finissent bien. Cette heureuse fin des contes de fées pour enfants « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants », est-elle vraiment la recette du bonheur aujourd’hui ?
Dans cette simple et attachant courte pièce de Jean-Claude Grumberg, le réalisme et le merveilleux se mêlent. Chaque personnage à son double en marionnette joyeusement incongrue ce qui ajoute de la poésie et dédramatise la situation douloureuse - et tellement d’actualité - de tous ceux qui hantent les rues pour dormir dans des recoins de portes d’immeubles.
Les comédiens sont tous formidables : Olga Grumberg joue la mère avec une émotion douce-amère, Pascale Blaison passe habilement de l’animation des marionnettes à l’interprétation de plusieurs personnages, Eric Slabiak, violoniste renommé, exécute ses propres compositions musicales, et Pascal Vannson est un père qui assène quelques répliques piquantes.
Avec un humour grinçant, un regard intelligent et une belle délicatesse dans l’expression des sentiments, cette pièce drôle et mélancolique livre une sensible réflexion sur l’exil, la famille, le rejet de tout peuple nomade toujours mal-aimé.
Caroline Boudet-Lefort