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« Les élucubrations d’un homme soudain frappé par la grâce » d’Edouard Baer

Déjà installé sur scène, le décor expose un café avec bar et terrasse où sont étalées quelques tables et chaises qui seront utilisées par les comédiens.
« Les élucubrations d’un homme soudain frappé par la grâce » est un long monologue parsemé de maigres échanges de paroles avec le barman de ce bistrot où Edouard Baer a échoué.

Le comédien virtuose s’interroge sur son identité

« Pourquoi on est soi et pas quelqu’un d’autre ? On ne sait pas ! » Et, à toute allure pendant une heure et demie que dure son savoureux spectacle, on se régale de le voir circuler dans des méandres de mots et des digressions foutraques où il entraîne les spectateurs ravis de cet enchevêtrement ininterrompu.

Ce monologue n’a rien de monotone

Le comédien bouge, circule, passant de la scène à la salle, s’adresse à un spectateur, puis truffe son spectacle de dialogues soit avec le barman, soit au téléphone avec des interlocuteurs fictifs (« ce maudit téléphone  », dit-il). Il change à toute allure de registres, d’expressions, de mimiques, et s’imagine d’autres vies... Son visage est très mobile, tout autant que ses paroles qui nous entraînent ici, là et ailleurs, mais toujours avec dérision et humour. Et parfois une pointe d’émotion.

Au début, il a surgi de la salle en commençant à dérouler ses mots avant de grimper sur scène pour un bref échange avec le barman dont déjà il essaie de démêler l’identité suite à la présentation de celui-ci : est-il régisseur ? acteur ? ou barman ? ou bien les trois ? Et donc, à cet instant précis, « quel « moi » est là ? » Oui, l’identité de chacun l’interroge et particulièrement la sienne de comédien qui, de plus, peut revêtir toutes sortes de personnages.

« Si vous êtes fragile, le public le sent... On ne peut jouer contre le public, il faut se sentir aimé !  »
Et Edouard Baer est vite rassuré sur l’amour de « son » public qui réagit au quart de tour, qui ri et même applaudit à quelques répliques savoureusement dites par son comédien adoré.

Pourtant lui n’est pas certain d’être lui-même ! Au point d’avoir un jour pénétré chez lui et ensuite – mais deux ans après ! – s’être rendu compte que ce n’était pas son domicile ! Que la femme avec qui il avait passé tout ce temps n’était pas la sienne... quoique celle-ci se soit bien adaptée à la situation !

Il n’hésite pas à pratiquer l’autodérision, une forme d’humour qu’il aime particulièrement

Il est donc lui-même un personnage en plein désarroi qui cherche « qui il est  ». Aussi, en citant des auteurs qu’il admire, c’est une véritable quête d’identifications qu’il enclenche. Il fait entrer dans son spectacle un monde fou. En évoquant des écrivains pour lesquels il a de l’admiration, peut-être cherche-t-il à s’identifier à eux. Il lit quelques pages émouvantes de « La Chute » d’Albert Camus qui l’a aidé à sortir de la vie de ses parents pour s’accaparer la sienne. Puis il cite André Malraux, Boris Vian, Romain Gary, Charles Bukowski dont il parcourt quelques extraits.... Chez Bukowski, ce n’est pas tant le pilier de bistrot qu’il aime que l’homme qui s’est arraché à ses malheurs en découvrant les livres pour lui « tenir chaud ». Et Thomas Bernhard qui « creuse les problèmes et tourne en rond sans jamais s’en sortir  ».

Il ajoute de comédiens de référence comme Rochefort, Marielle, ou Trintignant, et déroule une émouvante chanson de Georges Brassens.

Pour trouver sa propre identité doit-on glaner ici et là et picorer partout ce qui peut nous construire ? Il est possible que tout cela s’incruste à notre insu, c’est ce que semble dire Edouard Baer. En plaisantant, en riant et en nous faisant rire, il prouve son désir de partager son ample érudition.

Sa complice Isabelle Nanty s’est associée à lui pour la mise en scène de cet inventaire culturel. Un vrai régal qui nous touche en plein coeur !

Caroline Boudet-Lefort

Visuel de Une (détail) ©Pascal Chantier

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