Le Principe de réalité
Texte, mise en scène et jeu Frédéric de Goldfiem et Jonathan Gensburger
Allongé sur un tapis, Jonathan Gensburger fait mine de s’éveiller en s’étirant, puis il marmonne, s’adresse au public, le prend à partie, le fait rire... Son monologue va durer près de deux heures. Un exploit !
Seul sur la piste, il va nous parler de théâtre, de l’ennui au théâtre, de l’importance du comédien à prendre son public par la main « pour l’accompagner dans un univers magique ».
Le temps et sa durée subjective reviennent sous diverses formes, en parallèle avec l’identité de chacun d’entre nous, mais aussi de celle d’un théâtre, d’un lieu qui a une âme comme, par exemple, le Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris. S’enchaîne tout un bla-bla-bla sur les théâtres de la région et leurs directeurs. Chacun est mis sur la sellette, Frédéric Rey d’abord qui dirige « La Providence », puis Irina Brook pour le TNN, enfin Daniel Benoin pour Anthéa.
Tout cela se raconte dans un bric-à-brac de mots qui pourraient être improvisés, en partant dans tous les sens et, sans savoir pourquoi. Soudain il est question de ruches, d’abeilles, de miel, d’ours.... On se demande comment, d’associations en associations, le comédien a pu en arriver là.
Le public s’esclaffe. Beaucoup même.
Sans doute, à cause du ton pince-sans-rire de Jonathan Gensburger.
Il parle de la subvention accordée par le TNN, il y revient de façon obsessionnelle, soulignant ironiquement le risque financier pris pour ce spectacle informel par rapport aux pièces programmées au vu de critiques déjà publiées et à leur succès antérieur.
Avec un humour ironique, Jonathan juxtapose tous les modes de récit, du narratif au discursif, du poétique au publicitaire, de l’épique au politique, du cynique au bienveillant... Chaque saut d’une narration à l’autre est un défi et cette confrontation des différents modes permet de créer un rythme, un mouvement, qui tombe un peu dans certains changements de registre. Tel l’instant suspendu, silencieux, de la création d’une oeuvre conceptuelle avec une table, une chaise, une boîte... qui s’est enchaîné à une scène saugrenue et hilarante durant laquelle Johathan dialogue simplement avec une chaise, il prend des selfies avec elle, comme tout le monde le fait avec n’importe qui et n’importe quoi !
On se demande parfois où il nous entraîne, tel un enfant qui refuserait de jouer au terrible jeu de la vraie vie ! Qu’importe ! C’est si bon de rire !
Loin d’un spectacle « amateur et immature », cette performance est truffée d’une multitude de clins d’oeil à l’actualité, aux comportements obsessionnels ou pas, à l’absurde de petits « trucs » du quotidien, à l’entreprise improbable de jouer d’un imprévisible burlesque pour déboussoler le public.
L’excellente imitation de Sarkosy est-elle indispensable ? Elle est l’occasion de se moquer des promesses fallacieuses des hommes politiques et d’un pouvoir sûr de lui. L’ironie est partout !
Des miettes de pauses avec des chansons, dont celle du joli brin de voix d’une petite fille, détendent dans cet univers de folie qui pourrait encore aller plus loin, pourquoi pas !
Imaginé par Frédéric de Golfiem et Jonathan Gensburger, « Le Principe de réalité » continue, dans la même veine que « le Principe de précaution », à poser les grandes questions de la vie à travers ce trentenaire paumé qui s’interroge et nous interroge aussi. La mise en scène sobre de Frédéric de Golfiem laisse imaginer la part d’improvisation au cours de chaque représentation qui, sans doute, doit varier selon la réceptivité du public.
Le soir où nous y étions, les deux heures ont filé à toute allure ! Il est dit au cours de ce monologue qu’une bonne critique c’est « je n’ai pas vu le temps passer ! ». Ok !
C’était le cas, ça fait du bien de rire aux éclats !