Victime de visions et d’hallucinations de plus en plus envahissantes, l’écrivain délire et s’effraie d’actes dont il ne se souvient pas. Est-il somnambule ? Quelqu’un pénètre-t-il dans sa chambre ?
Chaque nuit, son double vient le visiter, le hanter. Toujours présent, envahissant. Le Horla, comme il l’appelle, cet étranger en lui, cet autre soi-même, devient de plus en plus inquiétant. Le familier est une source d’angoisse qui le saisit par ses visions cauchemardesques avec « l’inquiétante étrangeté » du double. Il flirte avec les limites du réel, sans franchir le point de non-retour. Ce chemin d’une descente dans les profondeurs de l’être est le récit prémonitoire de la folie qui allait accompagner Maupassant.
L’auteur, alors atteint de syphilis, souffrait d’horribles migraines l’entraînant dans la folie. Au jour le jour - les dates sont rapidement citées par le comédien - il nous fait pénétrer dans un univers aux frontières de l’étrange avec cette nouvelle fantastique sur le double, une partie de soi qui échappe à tout contrôle et nous conduit dans les profondeurs de soi-même, cheminant en nous durant nos insomnies. Elle reste l’expression d’un cas clinique souvent cité par les psychanalystes.
Dans « Le Horla », l’auteur raconte sa fascination pour l’autre à l’intérieur de soi, un monde obscur qui nous habite et que l’on préfère ne pas connaître tant il nous est étranger. Un moi invisible, ressenti à travers des sensations et des émotions.
Double ou inconscient ?
Samuel Chariéras a choisi de mettre le spectateur dans la tête de l’écrivain et utilise des « trucs » d’illusionniste pour montrer visuellement les hallucinations de l’auteur : les objets se déplacent de façon mystérieuse, installant chacun dans un univers fantastique.
Le verre d’eau se vide, un papier saute de la corbeille où il a été jeté, un drap s’écarte sans qu’on y touche, le fauteuil bascule tout seul, le miroir reflète des objets inconnus... Le délire s’amplifie, représenté par des mains qui apparaissent sur son bureau. Il est dans un état d’agitation extrême, mêlée de colère et d’épouvante. Cette épouvante le fait frissonner, se démener. Il se bat seul : « Le Horla me hante, je le tuerai ». La fameuse scène du miroir prédispose à faire croire à un être surnaturel dont le reflet s’efface. Plutôt qu’une simple présence mystérieuse et invisible, Le Horla serait une puissance destructrice qui annonce la fin de l’écrivain. Rencontrer son double, c’est être averti que la mort est proche. Est-ce un fantasme ?
La première mise en scène de Samuel Chariéras est une réussite faite de visions cauchemardesques et d’associations visuelles pour montrer la frontière entre l’intérieur et l’extérieur.
Le texte, volontairement dit sur un ton proche du rap, donne une impression d’ânonnement, dommage ! Le comédien occupe tout l’espace avec d’excellents jeux de scène. Paul Chariéras, son père, le rejoint dans la dernière scène, rompant l’intolérable solitude de l’être.
À la fin, le visage recouvert d’argile, Samuel Chariéras semble alors être un sadhu indien. Mais, envahi par l’angoisse de Maupassant, en a-t-il toute la sagesse ?
Caroline Boudet-Lefort