Au XVIIIe siècle, sous le prétexte de difficultés d’argent après avoir largement doté leurs deux filles aînées, les parents de Suzanne décident de l’envoyer au couvent. Mais ce pourrait être aussi pour la punir d’une faute commise par la mère dont la naissance de Suzanne aurait été la conséquence. Celle-ci ne veut pas devenir religieuse et supplie ses supérieures et le clergé sur tous les tons : cris, lamentations, pleurs...
Suzanne est interprétée à la fois par Gaële Boghossian et par Aliénor de Georges qui se complètent à merveille pour montrer la dualité du personnage, tantôt forte et déterminée, tantôt victime démunie et à bout de forces. « Je ne veux pas être religieuse et je ne le serai pas » clame-t-elle. On lui impose le silence. Seule, abandonnée, démunie, elle doit faire voeu de chasteté et d’obéissance, ce qu’elle refuse, « mon corps est ici, mais mon coeur n’y est pas », hurle-t-elle. Elle affronte sa mère (interprétée aussi par Gaële Boghossian) « Vous êtes toujours ma mère et je suis toujours votre enfant », mais rien n’y fait. Ce sera le couvent, encore le couvent, toujours le couvent même si elle en change pour une vie monastique moins dure.
La pièce se montre d’une totale actualité avec la condition des femmes toujours en difficulté pour faire entendre leurs voix, trop souvent mises en position subalterne, devant obéissance et résignation, ou obligées à décupler leur énergie pour se faire entendre. Cette oeuvre proclame la liberté et dénonce l’oppression.
Les deux comédiennes ont une immense force pour crier leur refus et tout sacrifice. Elles réinventent la voix de cette religieuse qui ne renonce jamais à elle-même et devient un des plus saisissant personnage théâtral. Gaële Boghossian joue avec toutes les parties de son corps, ses membres, son visage et même ses yeux qu’on voit « hurler » autant que ses lamentations. Le jeu subtil des deux comédiennes souligne la rage de cette femme meurtrie mais volontaire, victime qui reste une observatrice avisée.
La musique de Clément Althaus ajoute à l’ambiance toxique ainsi que les subtils éclairages de Samuèle Dumas et toutes les images de la vidéo de Paulo Correia passant des sombres grilles du couvent à de lumineux vitraux d’église : il ne faudrait pas oublier le poids de la religion, ici utilisée comme une punition.
On aime que le théâtre nous étonne, nous surprenne, nous capte, et c’est le cas ici.
Avec cette magistrale mise en scène de Paulo Correia, nous sommes dans un univers quasi fantastique qui comble et enthousiasme le public.
Caroline Boudet-Lefort
Représentations à venir :
vendredi 21 mai 2021 | 19h
mardi 25 mai 2021 | 19h
mercredi 26 mai 2021 | 19h
jeudi 27 mai 2021 | 19h
Réservations et informations PAR CI