Irina Brook, est à la tête du Théâtre National de Nice depuis le 1er janvier dernier. Celle qui a mis en scène La Tempête de Shakespeare fera-t-elle souffler un vent nouveau sur ce grand navire du spectacle vivant ?
Le TNN a connu un été 2013 agité dès la nouvelle de la mise à pied de son fidèle capitaine Daniel Benoin qui, après plus de 10 ans d’exercice, avait atteint la limite autorisée pour renouveler son mandat. Le 4 octobre, Irina Brook était officiellement nommée par le Ministère de la Culture pour prendre sa suite à compter du 1er janvier 2014.
Irina Brook est la fille d’une comédienne anglaise et du dramaturge metteur en scène Peter Brook. Si elle n’a pas encore dirigé un théâtre public, elle possède une solide et riche expérience des tréteaux. Comédienne formée à New York selon la méthode de l’Actors Studio, elle se dirige ensuite vers la mise en scène. Une reconversion qui lui vaut de récolter en 2001 pas moins de cinq Molières pour La Bête sur la Lune de Richard Kalinoski, sa première adaptation créée à Londres en 1996. Elle a plus récemment monté La Tempête, de Shakespeare, aux Bouffes du Nord où son père œuvre depuis 1974, Pan d’après Peter Pan en 2011 et adapter de grands auteurs classiques dont Homère, Cervantes, Marivaux ou Tennessee Williams.
Après avoir, à la demande d’Ariane Mnouchkine, dirigé la troupe du Théâtre du Soleil, elle créera en 2008 sa propre compagnie s’orientant également vers la mise en scène d’opéras de La Flûte enchantée à La Traviata. En 2015, elle présentera Don Pasquale à l’Opéra de Vienne. Si ce n’est qu’en juin qu’elle dévoilera sa programmation au TNN, Irina Brook a bien voulu nous ouvrir quelques pistes sur ses envies et motivations…
Ce premier poste de directrice de Théâtre National, c’était une envie ou une sorte d’aboutissement logique ?
Diriger un théâtre public, on ne peut pas dire que c’était vraiment une envie, dans le sens où je me suis toujours sentie plus attiré par les structures alternatives. Mon aventure avec le Théâtre du Soleil à la Cartoucherie en témoigne. Je suis quelqu’un d’atypique qui ne remplissait pas vraiment les cases pour un théâtre public. Mais force est de constater qu’il est aujourd’hui de plus en plus difficile d’exister dans ce domaine. De plus, j’ai un profil assez compliqué, évoluant toujours entre deux univers, à moitié française et anglaise, je ne me suis jamais vraiment posée, ancrée nulle part. A l’âge de 50 ans, je me suis dit qu’il était peut-être temps de réunir ce que j’avais semé un peu partout.
Nice, pourquoi ce choix ?
Cela n’a pu se faire, que parce que c’était Nice précisément. J’ai toujours eu une relation professionnelle passionnelle, intime avec ce théâtre où nous avons beaucoup joué. Tous les deux ans je suis venue y présenter mes créations, et notamment La Bête sur la Lune. J’ai vécu à Nice de fortes expériences et eu de bons rapports avec le public. Alors je me suis dit que c’était le seul endroit où j’aurais envie de me fixer pour une fois.
Avez-vous quelque chose à dire à propos de cette passation qui a connu quelques remous ?
Daniel Benoin a fait un travail remarquable. Et je comprends très bien qu’il soit difficile de quitter un théâtre auquel on a tant donné. Je compatie entièrement. Cela n’est pour personne une situation agréable à vivre, mais c’est la règle pour tous. Maintenant que tout est réglé, je pars d’un très bon pied dans cette nouvelle aventure.
Vos priorités pour la programmation de votre première saison ?
J’y travaille. J’espère pouvoir ouvrir sur de la nouveauté. J’ai grande confiance dans le public. Mon seul critère : offrir des spectacles riches émotionnellement. Je ne suis pas dans la noirceur ou le cynisme. Mes goûts personnels sont extrêmement populaires. Cela m’a d’ailleurs parfois desservi auprès d’une certaine intelligentsia, mais j’aime faire partager ces choses.
Comment doit-on prendre en compte dans une programmation la spécificité d’un lieu, d’un public ?
Je ne pourrai vraiment répondre à cette question que dans un an. Après, le théâtre reste un langage universel. Avec ma compagnie je n’ai pas fait différemment à Londres ou à New York. J’ai travaillé un peu partout et pour moi, un public, ce n’est jamais que des hommes et des femmes avec des sensibilités différentes, ici comme ailleurs.
Cette programmation sera-t-elle ouverte à tous les arts de la scène ?
Pour moi le théâtre est un art vivant qui englobe plusieurs disciplines, formes d’expression : musique, danse etc. J’aime personnellement pratiquer les mélanges, le fruit d’un mélange est toujours plus riche. Je suis passionnée de musique. Elle occupe beaucoup d’importance dans mon travail. Il ne faut jamais perdre de vue que le meilleur moyen de faire un cadeau c’est de donner ce que l’on aime soit même. C’est dans cet esprit que je travaillerai sur cette programmation.
La part de création du TNN sera-t-elle la même ?
C’est une obligation inscrite dans le cahier des charges Et ce n’est certainement pas quelqu’un comme moi qui dérogerait à cette règle. Mais elle se fera en partage avec d’autres artistes et créateurs, ouverts à l’international.
Avec les compagnies locales aussi ?
Bien évidemment, car il est naturel et indispensable d’ancrer le TNN dans le tissu local. Mais je pourrai en dévoiler davantage quand j’aurais rencontré tous les acteurs.
Pensez-vous également réaliser des mises en scène pour l’opéra comme vous l’avez déjà fait à plusieurs reprises ?
J’ai une grande passion pour l’opéra qui est lié aussi à la difficulté de créer pour cette forme d’expression. C’est un autre exercice qui n’offre pas la même part de liberté que le théâtre. Il y a plus de contraintes, des choses que l’on peut faire ou ne pas faire. Cela vient déjà du fait que l’on ne choisit pas les acteurs. Certes souvent les chanteurs peuvent être intéressants mais il faut composer avec ce paramètre. Le travail sur la musique me passionne au premier chef. Je fais depuis longtemps des opéras assez lourds à mettre en scène. Je rêve aujourd’hui de travailler avec des jeunes musiciens ou chanteurs sur des formes plus nouvelles, plus actuelles, apporter quelque chose de novateur dans ce registre. Pourquoi pas concrétiser ce souhait à Nice ?
Photo de Une : TNN © Fraicher-Matthey