| Retour

Hôtel Europe

Après treize ans d’absence, Jacques Weber, ancien directeur du Théâtre National de Nice, est revenu du 7.01 au 11.01 comme comédien afin d’interpréter, pour quelques représentations, la pièce de Bernard-Henri Lévy, « Hôtel Europe ».

Seul, enfermé dans une chambre d’hôtel à Sarajevo, un homme laisse vagabonder ses pensées, alors qu’il devrait plutôt rédiger le discours qu’il doit prononcer dans deux heures devant une large assemblée.

Le thème porte sur l’Europe, son futur et ses valeurs.

Nous sommes le 27 juin 2014 et il s’interroge sur le choix de cette date de commémoration du déclenchement de la Première Guerre Mondiale. Faut-il fêter le début d’une guerre ? Et non plutôt la fin, l’armistice ? Bernard-Henri Lévy pose la question, via Jacques Weber, dans « Hôtel Europe ».

Cela le met dans tous ses états, alors qu’il se trouve dans cette ville restée longtemps assiégée sans que l’Europe n’intervienne pour la sauver. Sarajevo est devenue symbole de ville martyr, C’est aussi là qu’a eu lieu l’assassinat de l’archiduc d’Autriche François-Ferdinand et de son épouse Sophie, point de départ de la guerre 14-18 qui mit l’Europe à feu et à sang (la trace des pieds du jeune nationaliste serbe est fixée dans le sol d’un trottoir de la ville).

L’écrivain – le spectateur de la pièce suppose qu’il s’agit d’un écrivain, sans doute Bernard-Henri Lévy lui-même - a posé son ordinateur devant lui, mais, envahi de pensées dans tous les sens, il ne trouve pas de fil conducteur du déroulement de son discours.

Cherchant l’inspiration, il navigue sur son Mac, passant de vieilles photos à des documents parfois insolites qui n’incitent ses pensées qu’à vagabonder davantage. C’est ce soliloque intérieur qu’il met en mots en le livrant au public au grand dam de certains spectateurs dont les méninges ne peuvent suivre cette gymnastique qu’on attend d’eux et qui restent plongés dans l’hébétude. Nous savons tous qu’il est parfois difficile de suivre les pensées quand elles commencent à se bousculer d’associations en associations. Déjà les nôtres, mais évidemment encore plus celles d’un autre. Qu’importe si on perd quelques idées énoncées, on peut bien laisser s’égarer quelques miettes, il y a tant à glaner !

On rencontre « la petite princesse Europe » que Zeus, transformé en taureau, enleva en son temps, des textes de quelques philosophes, d’Husserl à Heidegger, en passant par Derrida dont la photo signe la lecture d’un texte. C’est au spectateur de se débrouiller pour reconnaître chacun d’entre eux, et sinon ce n’est pas grave, le texte peut se suffire.

Des images d’amoncellements de cadavres bosniens illustrent les souvenirs d’un peuple que l’auteur a soutenu.

Des noms d’opposants à leur régime et d’autres qui en ont fait la gloire. Tout ce monde est dans le désordre de la mémoire, se bousculant d’images en citations et prouvant l’érudition diversifiée du philosophe. Brouillonnes, ses idées ne sont pas toujours bien définies, mais elles poussent un cri d’alarme et jettent un pavé dans la mare.

Evidemment, on retrouve Bernard-Henri Lévy qui ose se raconter lui-même. Certes, il faut du culot ! Mais, il ne serait plus lui-même sans son narcissisme et on l’aime tel qu’il est. Sa pensée est si vivace, si stimulante ! Et il est si magistralement interprété par Jacques Weber qui porte une chemise blanche largement ouverte, comme celle de Bernard-Henri Lévy, signature supplémentaire de son propre personnage. Seul en scène durant près de deux heures, le comédien va au bout de lui-même pour déclamer son monologue, prêt à tomber d’épuisement à la fin du spectacle. Grâce à son jeu, à son extraordinaire présence et à sa diction impeccable, chaque idée développée se détache parfaitement.

La mise en scène de Dino Mustafic, grand dramaturge bosniaque lié d’amitié avec Bernard-Henri Lévy depuis le tournage de son film « Bosna ! », tente de mettre du mouvement à ce murmure intérieur déclamé : des meubles se déplacent, d’incessantes sonneries de portable retentissent et de multiples recherches sur l’ordinateur sont montrées sur l’écran en vidéo, comme immense décor de fond de scène. Amère et cinglante, la pièce est parfois drôle, mais si souvent tragique comme l’est la vie !
Aussi, toutes les sirènes sont-elles présentes pour clamer cette alerte à l’urgence, cet appel à la conscience européenne en péril.

Par Caroline Boudet-Lefort

Artiste(s)