Pas de mise en scène spectaculaire. L’immobilité des deux comédiens porte cette rencontre vers une figuration étrange par sa vérité. Des fantômes en posture précaire de personnages qui excèdent le dispositif théâtral par la mémoire. On ne peut voir ce spectacle qu’en adhérant à ce qui se passe ou plutôt ce qui se dit.
On est très vite au coeur de l’action.
D’abord un écran, les éclats d’un match avec les commentaires d’un journaliste : Platini part avec la coupe d’Europe. Cette passion pour le foot qu’il a eu dès l’âge de six ans l’a poursuivi toute sa vie Il dit que le foot, c’est aller à gauche et à droite pour courir après le ballon, mais Marguerite Duras, elle, voit de l’angélisme dans le foot. Est-il d’accord avec ce mot d’angélisme ? Hum, hum !
L’angélisme, c’est le refus d’admettre la réalité. Pour lui, le footballeur est sur un terrain avec la finalité de faire gagner l’équipe. Pas de gagner soi-même. L’angélisme serait-ce cette abnégation ? Il dit que la vie est faite d’amitié dans le foot et qu’il n’aurait jamais pu faire un sport individuel. Elle réplique que la solitude, elle est toujours pour tout le monde... Il ne sait pas que l’écriture de Marguerite Duras a une séduction étrange, une fascination et que le pouvoir incantatoire de son style pénètre sa voix où les silences sont aussi éloquents que les mots.
L’écrivain écoute beaucoup, mais parle peu, à mots comptés. Par sa seule présence, son silence, son regard, elle embarque le footballeur dans un monde inimaginable pour lui. On sait que la présence de Marguerite Duras et sa parole pesaient leur poids d’existence, de réel. Elle créait le silence et ce qui vient du silence, ce qui a dû surprendre Platini, d’autant plus qu’elle l’a qualifié d’« ange bleu ».
Il a jugé irréaliste, ou plutôt surréaliste, cette interview qui, au théâtre, réjouit les spectateurs durant une captivante heure de lecture - sans musique ni décor - où les comédiens se répondent sans jouer.
Ou du moins un jeu ténu, sobre, sans artifice inutile. Tous deux mettent les mots en avant, en évidence. Peut-être parfois avec un rien d’ironie dans le regard, comme une complicité avec le public pour ne pas oublier d’où viennent ces mots qu’ils énoncent : lui un grand sportif, elle une grande écrivaine.
Dans cet échange entre deux monstres sacrés qui placent la question de la vérité au coeur de leur propos – ce qui fait naître l’improbable idée de communauté - , le spectateur grappille des mots, des sensations qui restent en tête et sans doute s’interroge-t-il longtemps sur ce que voulait dire « angélisme » pour Platini.
Caroline Boudet-Lefort