Dans la capitale sans nom d’un pays sans nom, la stupeur s’empare du gouvernement au vu du résultat des élections municipales : 83% de bulletins blancs. Pas de quoi congratuler la démocratie !
D’accord, il pleut à flots et chacun préfère rester calfeutré chez soi. C’est la raison invoquée par les préposés installés derrière l’urne, puis par les élus, incapables de penser qu’il pourrait s’agir d’un rejet démocratique et citoyen de leur politique. Les dirigeants supposent un complot, bien qu’il n’y ait aucun écho de ce côté-là, mais ce silence pourrait être la preuve d’une conspiration organisée par des francs-maçons, des nihilistes, le nouveau terrorisme, allez savoir... Tout est imaginé dans cette « situation préoccupante et inhabituelle ». Et les remèdes proposés sont dérisoires et chargés de beaucoup d’ironie : un référendum, par exemple « Pour ou contre la voiture en ville ? ». Le moral et le concret changent sans cesse de place jusqu’à se confondre, emportés ensemble dans le déchaînement des comédiens qui s’agitent, parlant tous en même temps.
Le roman de Saramago est écrit avec une recherche stylistique originale : les dialogues s’enchaînent directement aux descriptions sans ponctuation, ni tiret à la ligne. Ces trouvailles donnent un rythme particulier, comme si tout se déroulait avec une logique imperturbable dans ce passionnant parcours sans jugement moral, ni coups de griffes à aucun parti.
Ce n’est pas le cas dans l’adaptation pour la scène. Pour transcrire le style de l’écriture, de multiples pistes s’offraient, mais celles qui sont choisies laissent perplexes, loin de tout surréalisme dans cette situation insolite.
Le sujet semblait sans doute être opportun, vu les consignes de refuser le choix proposé aux dernières élections. Toute cette histoire avait des allures de conte de fées effrayant, mais, vouloir coller à l’actualité n’est pas la certitude d’une réussite. Avec cette catastrophe démocratique, le théâtre explose par tous les bouts. La pièce captive et déroute pendant un temps, puis peu à peu l’attention s’échappe de ce projet d’une sorte de présage surréaliste séduisant, porté par le duo de jeunes auteur et metteuse en scène.
La pluie tombe sans cesse et les acteurs pataugent dans les flaques qui se forment sur la scène, tandis que l’heure s’inscrit en chiffres immenses au fond du plateau. Le jeu des six acteurs est impeccable, quoique mal défini entre l’outrance d’un théâtre de l’absurde ou le naturel. Ils oscillent sans cesse de l’un à l’autre. Le spectateur ne sait pas où il est embarqué parfois le rire, parfois le tragique. Il apprécie pourtant l’excellente scénographie d’Hélène Jourdan, avec un bon rythme, malgré une certaine lassitude sur la fin donnant l’impression de piétiner, de traîner sur une bonne idée qui est répétée tant et plus, sans aucune évolution sinon des jugements à l’emporte-pièce.
Quoiqu’il en soit c’est une bonne soirée. A voir !
Caroline Boudet-Lefort