Cela se présente comme une répétition de théâtre.
Jacques Bellay aime les comédiens. Il a voulu les montrer face au travail auquel ils sont confrontés avant le lever de rideau de la première représentation, alors qu’ils cherchent une intonation appropriée au texte ou la façon de bricoler les accessoires nécessaires, voire d’inventer la mise en place de situations inadaptées au théâtre, puisqu’il s’agit d’un roman.
Et les trouvailles astucieuses fusent ! Candide se lance dans une multitude d’aventures. Si bien que seuls l’humour et le bricolage pouvaient permettre d’y faire face. Le metteur en scène prend lui-même la place du conteur et lit le livre en respectant chaque épisode de la folle destinée de Candide illustrée par trois comédiens. Chacun d’eux interprète plusieurs personnages, tandis qu’une dessinatrice esquisse sur un immense panneau les décors et même les portraits de personnages secondaires. Bravo à Camille Ulrich pour son talent, sa rapidité et son imagination !
Malgré sa critique de l’optimisme, Voltaire refuse toute doctrine, toute forme de dogmatisme. Il déploie l’espace ouvert des voyages, des rencontres et des aventures avant de le resserrer dans le jardin de Candide (le fameux jardin qu’il faudra cultiver).
Le philosophe du siècle des Lumières, pour qui tous les hommes sont libres, a dénoncé les fanatismes religieux et se trouve ainsi en pleine actualité.
L’histoire est connue. C’est dans le château du baron de Thunder-ten-tronckh que vivait Candide, amoureux de Cunégonde et plein d’admiration pour son précepteur Pangloss, théoricien de l’optimisme. Ainsi « tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes ». Mais, « chassé à coups de pieds dans le derrière », Candide s’en va de par le monde où il vit, où qu’il aille, des expériences surprenantes et même invraisemblables. Esprit libre et provocateur, Voltaire a écrit ce conte philosophique aux nombreuses péripéties comme un véritable récit initiatique. Mais, s’il reprend les formes du conte traditionnel, c’est pour les parodier en les pervertissant par l’exagération.
Cette même exagération est reprise par la mise en scène et le jeu des comédiens qui s’en donnent à coeur joie dans l’outrance de leur jeu d’un potache assumé et même revendiqué. Avec une étonnante économie de moyens (exemple des cageots de légumes représentent le fameux jardin de Candide) et un sens du détail ou de la stylisation, on oublie qu’ils ne sont que trois comédiens – excellents ! - Il suffit de quelques accessoires (foulard, cabas ...) pour suggérer le nouveau personnage, le lieu, le mode de vie qui change. C’est simple et juste ! Elise Clary, Jonathan Gensburger et Laurent Prévot sont soumis à un rythme effréné pour changer de costumes à toute allure. Ils s’ingénient en recherches pointues et singulières pour que le réel devienne irréel.
Comment font-ils pour être toujours aussi inventifs et créateurs dans leur intention de faire théâtre d’un récit ?
Les situations insensées et saugrenues nous surprennent sans cesse par les trouvailles abracadabrantes.
Le public rit aux éclats devant ces excès qui vont crescendo (la tempête est un top !). Les épisodes les plus fous s’enchaînent et rien ne les arrête dans ce foutraque humoristique.
Avec cette manière non théâtrale de faire du théâtre, le metteur en scène et les comédiens font de ce roman d’apprentissage - Candide doit traverser des épreuves - un lien vivant avec les spectateurs.