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Avignon 2024 : ébullition, rires, émotions et sacrées découvertes théâtrales

Courir d’un théâtre à l’autre dans les rues chaudes d’Avignon (parfois très chaudes) en juillet, passer d’un spectacle hilarant à un autre plus grave évoquant notre monde en fureur ou courant à sa perte, écouter des chansons tristes, voir avec délice un spectacle de flamenco, découvrir des auteurs inconnus, en redécouvrir d’autres, peu ou mal connus, traverser des rues bondées de gens heureux, gais, échangeant sur les spectacles qu’ils ont adoré, laisser passer les saltimbanques tonitruants annonçant leurs spectacles à la cantonade.

Les rues sont aussi pleines de senteurs issues de restaurants aux terrasses débordantes. Ici on mange international : Érythréen (très bon, on loge pour notre séjour au-dessus), grec, français de souche, asiatique, pizzas à la découpe, couscous, kebabs, etc. Je ne sais pas d’ailleurs comment les restaurants se débrouillent avec tout ce monde, mais on mange vite et bien et à des prix raisonnables. Les serveurs sont souriants et empathiques.

Les voies médiévales sont recouvertes d’affichettes multicolores d’annonces de spectacles

Elles sont presque toutes réalisées avec soin : graphismes des textes, belles photos assez grandes pour attirer le regard. Elles sont collées, attachées sur les murs par milliers : 2700 spectacles à promouvoir, des centaines d’artistes, de comédiens, de musiciens, d’acrobates, de jongleurs… (un million et demi de tickets vendus).
Dans les avenues, se pressent aussi les programmateurs venus de toute la France pour faire leur marché et acheter les spectacles qui seront joués durant l’année un peu partout. Ils sont essentiels, c’est grâce à eux, la culture se propage dans toutes les régions de France et que les troupes naissantes se font connaître. Il y a aussi les journalistes comme moi qui en quelques jours ne peuvent pas tout voir, aussi les choix se font comme ils peuvent : des articles de journaux lus dans le Canard Enchaîné, Télérama, sur la presse professionnelle, etc., des bruits de couloirs, des conseils d’amis… On espère toujours ne pas rater l’exception, l’extra-ordinaire, mais ce n’est pas possible.

Au petit bonheur la chance, souvent !

Quelquefois aussi on se doit d’encourager des amis comédiens .J’ai la chance d’avoir comme amie Dominique Lhotte qui assure avec son organisation Ace & Co la promotion d’artistes, de metteurs en scène, d’auteurs. Elle nous recommande chaque année plus de spectacles qu’on pourrait voir. Ce sont ses coups de cœur, ceux qu’elle a choisi de défendre (une quarantaine quand même). Il faut la voir dans son « salon-saloon » entourée de jeunes stagiaires, futurs attachés de presse qu’elle forme. Il faut faire circuler les articles dans les réseaux, sur les journaux. Un rythme d’enfer, mais ils apprennent vite et aiment ce qu’ils font. Ils ont vu presque tous les spectacles et savent en parler. Ils vous attendent à chaque théâtre avec vos places.

Cette belle ville gothique d’Avignon se transforme pour plusieurs semaines en un lieu festif, une cité du théâtre, de la danse, du spectacle vivant, très vivant

On se dit que c’est trop beau. La vie, la ville, les villes devraient toujours être comme ça, des lieux de convivialité et de plaisirs partagés. 
Cet après-midi, j’ai beaucoup ri dans le spectacle : «  Trois contes et quelques » du groupe Merci. J’ai pleuré ensuite en écoutant les chansons émouvantes de Piaf revisitées par Nathalie Romier. Toute la salle a repris : «  Allez, venez Milord  », «  Moi j’essuie les verres au fond du café », « Paname », etc. Je ne me rappelais plus la beauté et la simplicité de ces textes, souvent des petites histoires tristes bien tournées (en trois minutes). Qu’elles sont belles ces chansons !

Hier, on a vu à la suite une pièce de Corneille, une comédie en alexandrins, un pastiche d’Electre, le journal de captivité de Jean Zay qui nous a plongé dans les affres de la guerre et du nazisme, suivi par des moments tendres de la vie de Colette ou d’Arletty… Tout se mélange et tout s’inscrit dans nos mémoires (elles n’ont qu’à faire le tri, c’est leur boulot). J’ai de plus la « chance » de devoir écrire sur les spectacles que j’ai vus, ce qui m’oblige à me documenter et d’en apprendre plus sur les vies de Jean Zay, de Colette, de Corneille ou d’Arletty. Les images des spectacles me reviennent alors à l’esprit et en les décrivant, je les revois. De retour dans l’appartement loué en plein cœur de la ville, rue de la Carreterie, on prend un peu de repos entre deux spectacles, de nombreuses douches quotidiennes, on mange quelques pâtes (sucres lents), des fruits, et on repart.

Chaque année en Avignon est présentée une grande et belle exposition au Palais des Papes

Cette année, c’est la regrettée Miss Tic que j’ai croisée il y a longtemps et que j’ai ratée (elle est décédée trop jeune, trop tôt) pour mon film sur les streetartistes et Ernest Pignon Ernest dont elle était l’amie. Même si j’ai beaucoup de critiques à faire sur l’accrochage et la scénographie, voir un tel ensemble de ses œuvres réchauffe le cœur et l’esprit. Quelle grande poètesse ! Quel sens aigu des mots (un article à venir ! ).

Avignon est essentiel.

Sélection subjective de quelques spectacles

L’Improbable histoire des Passantes

 Théâtre de L’Oriflamme  

« Je veux dédier ce poème
À toutes les femmes que l’on aime 
Pendant quelques instants secrets
 »

Si on connaissait la très belle chanson de Brassens  : « Les Passantes », on ne connaissait pas l’histoire de son origine. Grâce à Hervé Masquelier et à Gérald Duchemin (au piano électrique), on apprend que Brassens n’en est pas l’auteur, contrairement à la plupart de ses chansons (il a mis en musique par la suite François Villon, Victor Hugo, Paul Verlaine, Paul Fort, Aragon, etc.) L’auteur des « Passantes » Antoine Pol, un jeune officier passionné de poésie, avait fait publier à compte d’auteur pendant qu’il était à la guerre en 1918 un petit recueil de ses textes intitulé « Émotions poétiques ». Édité à cent dix exemplaires, cet ouvrage est passé pratiquement inaperçu. 
C’est un jeune homme fauché, à la fin de l’autre guerre, en 1944, qui tombe sur ce petit livre aux Puces de Vanves et l’acquiert, probablement à la place d’un sandwich. Brassens a alors 23 ans, il vit chez Jeanne et son mari à l’impasse Florimont, avec qui il forme un trouple qui va durer plus de vingt ans. Il écrit à l’époque des textes pour des revues anarchistes et des poèmes depuis l’âge de 16 ans. Ce n’est qu’à partir des années 50 qu’il se fera connaître grâce à Patachou et à ses chansons : « L’auvergnat » et « Le Gorille  ». Un poème émouvant d’Antoine Pol « Les Passantes » ne quitte pas son esprit mais ce n’est que beaucoup plus tard en 1972 (dans l’album Fernande : « Quand je pense à Fernande…. ») qu’il le mettra en musique après plusieurs remaniements et l’autorisation de l’auteur. « Les Passantes » a depuis été reprise par de nombreux artistes dans des langues et des orchestrations très différentes : Francis Cabrel, Maxime Leforestier, Graeme Allwright en anglais, etc.

Dans ce spectacle, Hervé Masquelier nous raconte la belle histoire d’une chanson (il y en a. sûrement d’autres à écrire). Il nous rappelle à la fin cette émission de Jacques Chancel où Lino Ventura a demandé à Brassens de la chanter (accompagné par Maxime Le Forestier). Si on en entend quelques strophes, on aurait bien aimé pouvoir écouter toute la chanson. Je l’ai vite recherchée sur Internet. En voici les dernières strophes :
« Mais si l’on a manqué sa vie
On songe avec un peu d’envie
À tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu’on n’osa pas prendre
Aux cœurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu’on n’a jamais revus
Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l’on n’a pas su retenir 
 ». 

Colette l’indomptable

 BA Théâtre – Avignon
La vie de Colette racontée en scènes dynamiques entre théâtre et music-hall. Un format original et inattendu pour évoquer ses amours et sa vie tumultueuse après avoir quitté Willy, son mari et mentor, critique littéraire et éditeur qui signait de son seul nom leur travail commun.
Colette qui ne cache pas sa bisexualité, se libère de Willy et obtiendra la reconnaissance littéraire. Elle sera là deuxième femme à être élue membre de l’académie Goncourt en 1945, et la première femme en France à recevoir des funérailles nationales.
Trois comédiens : Ariane Carmin, Mia Delmae et David Koenig jouent de multiples rôles dans des décors sommaires mais efficaces : un wagon de train, les coulisses de théâtre ou des chambres d’hôtels. Énergiques et tourbillonnants, ils chantent, dansent et se répondent dans une succession de tableaux évoquant des épisodes connus de la vie de cette indomptable rebelle, un modèle de « garçonne » qui allait déstabiliser et remettre en question les convenances de ce début de vingtième siècle. ?Écrivaine, danseuse de music-hall pratiquant le mîme et la pantomine, rien ne l’arrête malgré les promesses de vie dans le luxe de sa riche et aristocrate maîtresse Missy.?Passant des bras des femmes à celles des hommes, plusieurs fois mariée, Colette reste un modèle de femme libre.
Textes et mise en scène de Gaël Lepingle, musiques de Julien Joubert

Jean Zay, l’homme complet

 Théâtre Episcène

Le spectacle est issu des souvenirs de captivité que nous a laissés Jean Zay, repris et adapté par Xavier Béja qui incarne avec justesse et acuité cet homme « complet », d’une grande culture et d’une sensibilité aiguë.?Issu d’une famille juive alsacienne, Jean Zay fera des études de droit et deviendra secrétaire de rédaction du journal de son père, radical-socialiste « Le Progrès du Loiret ». En 1925, avec quelques amis proches, il fonde des revues littéraires. À dix-neuf ans, horrifié par les massacre de la Première Guerre mondiale, Zay compose Le Drapeau, un poème antimilitariste. Il s’engage très jeune en politique et franchit rapidement tous les échelons. Membre de la Ligue des droits de l’homme, responsable de la Ligue de l’enseignement, il est et à 27 ans le plus jeune député de France. Léon Blum le nommera Ministre l’Éducation nationale et des Beaux-Arts.
Par sa personnalité et son dynamisme, il incarne une des figures essentielle du Front populaire. On lui doit la scolarité obligatoire, l’éducation physique, la laïcité à l’école, le Festival de Cannes (qui aurait dû être inauguré en septembre 1939). Il démocratise les musées, créé la Réunion des Théâtres Nationaux, le Musée de l’Homme, le Musée d’Art moderne et celui des Arts et Traditions Populaires, initie les droits d’auteurs, le Palais de la Découverte, le CNRS et l’ENA et organise l’Exposition universelle de 1937. En septembre 1939, il démissionne et s’embarque avec 26 autres parlementaires pour Casablanca à bord du « Massilia », décidé à créer un front de résistance. Arrêté à Rabat, le 16 août 1940, condamné pour « désertion » à la déportation perpétuelle et à la dégradation militaire par le régime de Vichy. Il subit quatre ans de prison à Marseille puis à Riom avant d’être assassiné par les sbires de Maréchal. C’est pendant ces quatre années atroces qu’il écrira : « Souvenirs et solitude ». Ces textes repris par Xavier Béjà dans une demie obscurité rappelant la cellule où il a été enfermé résonnent dans le théâtre. Habité par son texte, il nous transmet ses mots pleins de sagesse, sa vision éthique de la France et son sens des réformes. Il incarne avec émotion le « penseur d’avenir » que Jean Zay a été a été et dont les œuvres ont perduré et donné une direction à notre pays.
D’après « Souvenirs et solitude », de Jean Zay
Musique de Alvaro Bello, Mise en scène de Michel Cochet  

Méphisto

 Théâtre de l’Étincelle
Une pièce moderne en alexandrins, pourquoi pas ? François Brett relève le défi et réussit par son talent à nous faire oublier ce mode d’écriture désuet tout en gardant sa musicalité.
Un couple qui travaille sur une pièce écrite par l’homme où intervient la figure de la mort voit surgir un jeune diable sous le nom de Méphisto. Éberlués, pensant à une farce, ils mettent du temps avant d’accepter qu’il s’agit bien d’un personnage venu d’ailleurs aux pouvoirs surnaturels. Pour le dissuader d’emmener Alex dans l’autre monde, ils lui proposent de se mettre dans la peau d’un homme afin d’apprendre ce qu’est la sensibilité humaine. Mephisto accepte le challenge et commence à ressentir des émotions, particimèrement face à Anna qui tente de le séduire. Du coup, c’est la mort, une femme âgée, qui débarque pour empêcher cette alliance. À son tour, elle sera tentée par l’expérience.?Quatre comédiens incarnent ces personnages sur une scène occupée par un salon et un lit (où on se retrouveront les trois principaux personnages).?Entre humour, dérision, Interrogations sur l’avenir de l’homme, cette pièce dynamique et drôle nous amène à réfléchir sur les chemins dangereux que l’humanité emprunte.

Arletty – Un cœur très occupé de Jean-Luc Voulfow - Mise en scène François Nambot

 Théâtre les 3 S

Jean-Luc Voulfow a mis en forme la correspondance amoureuse (plus de 600 lettres) entre Arletty et son officier allemand Hans-Jürgen Soehring, en introduisant un jeune journaliste qui vient interviewer la chanteuse. ?Il sait tout de ses lettres qu’il a lues et relues (on saura pourquoi à la fin) et débarque dans sa vie, très curieux, posant des questions de plus en plus intimes. S’ensuit une discussion très vive au début – elle lui dira plusieurs fois de partir à cause de son arrogance et de son immaturité, puis un dialogue s’instaure qui met en lumière cette passion intense – au delà de la guerre – qui a uni Arlette à Hans. 
On connaît sa célèbre phrase d’Arletty : « mon cœur est français mais mon cul est international », mais ces lettres enflammées étaient bien moins connues. Aussi on apprend les détails très intimes de leur relation. Cette passion lui vaudra d’être arrêtée en 1944, mise à l’index et interdite de plateaux pendant quelques années, mais elle reviendra et occupera la scène pendant plusieurs décennies et jouera dans une vingtaine de films. Atteinte d’un glaucome à 84 ans, elle perd partiellement la vue et décèdera en 1992 à l’âge de 94 ans
L’épisode raconté dans la pièce se situe alors qu’elle a 72 ans. Son dialogue avec le jeune journaliste lui permet de faire un point sur sa vie et de répondre aux critiques qui n’ont pas arrêté de la poursuivre. Béatrice Costantini incarne une Arletty remplie d’humour et de sensibilité. Damien Bennetot joue Samuel, le jeune journaliste impertinent et irrespectueux qui finalement s’attendrira.
Mise en scène de Gilbert Pascal

Le Menteur - Un texte de Pierre Corneille

 Théâtre du Girasole
Comme son titre l’indique, tout commence quand ce grand menteur de Dorante arrive à Paris et s’invente une carrière militaire pour éblouir deux jeunes femmes. À partir de là, il s’enferre dans un imbroglio de mensonges qui donnent naissances à de nouvelles affabulations qu’il assume plus ou moins bien Corneille a signé là une de ses pièces les plus humoristiques, restée assez peu connue. Le menteur est une fête théâtrale tourbillonnante où tous les personnages sont dupes, y compris le menteur. Alexandre Bierry est d’une énergie folle. Accompagné de Stéphane Bierry, Benjamin Boyer, Brice Hillairet, Marion Lahmer, et Mathilde Riey, tous sont étourdissants et on rit beaucoup
Adaptation et mise en scène Marion Bierry,
Décor modulable et très sympa de Nicolas Sire
Costumes : Virginie Houdinière, assistée de Laura Cheneau  
Lumière : Laurent Castaingt

Heureux les orphelins

 Théâtre des Gémeaux
Oreste, conseiller ministériel prêt à toutes les compromissions, retrouve sa sœur Electre au chevet de leur mère mourante. Electre désire régler de vieux comptes issus de non-dits qu’Oreste tente d’esquiver mais elle ne le lâche pas et tente de mettre des mots à la place du silence qui tue. Inspirée par la pièce de Giraudoux qui réinterpréte le mythe antique d’Electre, la Compagnie hors du temps  le revisite à son tour en l’actualisant. Sont traités la trahison des politiques sur le glyphosate ou les soins palliatifs. 
Les textes sont bien écrits et créatifs et se partagent entre la tragédie antique et une comédie de mœurs particulièrement satyrique.
Texte et mise en scène de Sébastien Bizeau d’après Jean Giraudoux 
Avec Emmanuel Gaury, Matthieu Le Goaster, Paul Martin, Cindy Spath, Maou Tulissi

Momentos

 Théâtre Girasole - Création Flamenca de Valérie Ortiz

Un grand moment de flamenco au delà des formes classiques, où tout est mis en œuvre pour créer des ambiances musicales différentes selon les scènes. Chaque musicien a son moment de lumière : superbe prestation du batteur, du guitariste, de l’accordéoniste ou du chanteur à la voix vibrante et émouvante. Valérie Ortiz est une flamenca hors pair, une silhouette rouge et noire mise en valeur par les lumières qui éclairent son corps sculpté par la danse. Elle réapparaîtra toujours superbe dans une tenue dorée, puis dans celle plus classique d’une robe colorée à volants. Deux autres danseurs l’accompagnent, leurs claquettes et castagnettes résonnant et rythmant des musiques élaborées.“Le spectacle est une invitation à une introspection poétique, une exploration de notre monde intérieur rythmée par la musique et la danse“. Un bonheur.
Danse : Felipe Calvarro Valérie Ortiz Carlos Escudero
Chant : Jésus Carceller
Accordéon : Jeremy Naud
Guitare : Paul Buttin Jésus Carceller
Percussion : Alexis Sebileau
Créateur lumière : Matthieu Durbec

3 contes et quelques

 Musée Angladon

À la manière des contes pour enfants librement adaptés d’après Charles Perrault, ce spectacle en plein air dans la cour du Musée Angledon est hilarant et riche de références actuelles.
L’auteur Emmanuel Adely a un humour puissant et décalé. Avec les mots simples des contes de fées, il retrace avec un humour dévastateur notre univers. Deux comédiens (Georges Campagnac, Pierre-Jean Étienne) sous le regard d’un troisième en costume, Perrault lui-même assis sur un beau fauteuil (Raphaël Sevet), jouent trois contes.
Le premier : « Peau d’huile » un conte dans le genre oriental d’un homme très très riche qui veut épouser sa fille, puis « Lou », un pastiche du Chaperon Rouge compliqué d’un prédateur sexuel, et « Serial Lover », un Barbe Bleu dans lequel la curiosité s’avère être un très très vilain défaut.
La mise en scène de Joël Flesel est singulièrement loufoque : un terrain de golf sur lequel un engin de chantier se balade et sous lequel sont déterrés des crânes et un blouson d’enfant.
Les textes sont aussi désopilants que les acteurs, un humour dévastateur qui revisite les thèmes cruciaux et insolubles de la nature humaine.
Le groupe Merci montre une fois de plus son originalité et la diversité de ses inspirations.

Cassandra

 Théâtre Pixel
Une comédienne incarnant une Cassandre malgré elle aux prises avec Pôle Emploi. Une fable moderne. Coup de chance ou du destin, elle atteint la gloire en jouant l’héroïne d’une série télé très populaire. Courageuse et névrosée, elle deviendra par sa notoriété et le hasard des choses Présidente de la République.
Ce seule en scène de Manon Balthazard, une jeune femme remplie d’énergie nous promène dans les affres que connaît une actrice qui tente de s’extirper tout autant des codes contraignants d’un milieu cynique que «  des pièges de la célébrité ou des illusions du paraître  ».

D’après l’œuvre de Rodolphe Corrion
Adaptation et jeu de Manon Balthazard
Mise en scène Loïc Bartolini  
 

Edith Piaf

 Ba théâtre
Interprète : Nathalie Romier
Arrangement Musical : Léo Debonon

Edith Piaf est née dans une famille appartenant au monde du spectacle depuis deux générations : son père est artiste acrobate et sa mère chanteuse lyrique de cabaret puis artiste de rue. Dès l’âge de 9 ans, la môme Piaf révèle son talent et sa voix d’exception. Elle chante des valses, des tangos, des javas et reprend les chansons réalistes de Fréhel qu’elle interprète à l’aide d’un porte-voix dans les rues et les cours.
Repérée par Louis Maitrier, pianiste de Jazz, puis par Jacques Canetti qui lui fait enregistrer son premier disque, elle rencontre Marguerite Monnot, dite Momone, sa fidèle grande amie, qui l’accompagnera tout au long de sa carrière et composera les musiques de Mon légionnaire, l’Hymne à l’amour, Milord, Les Amants d’un jour, etc.
Star de la fin des années 30, Piaf triomphe au music hall et au théâtre.
En 1961, à la demande de Bruno Coquatrix, Édith Piaf donne à l’Olympia, une série de concerts, parmi les plus mémorables de sa carrière.

C’est ce concert devenu culte que Nathalie Romier, grande interprète de Piaf depuis des années nous fait revivre avec toutes les chansons dans leur ordre de passage et avec la même scénographie. Dans un film réalisé à l’époque, on revoit Bruno Coquatrix et ses amis. L’Olympia, menacé de disparition à cause de problèmes financiers, a été sauvé grâce à cette série de concerts, particulièrement émouvants car Edith Piaf était très malade et le public sentait bien que c’était peut-être la dernière fois qu’il la voyait.
Elle interprète « Non, je ne regrette rien », une chanson qui est devenue célèbre dans le monde entier ainsi que : « Allez, venez Milord  », reprise par toute la salle, puis «  Moi j’essuie les verres au fond du café  », « Paname  », etc. 
Même si elle ne composait pas toutes ses chansons, Piaf participait à leur création, sachant bien ce qu’elle voulait.
Je ne me rappelais plus la beauté et la simplicité de ces textes, souvent des petites histoires tristes bien tournées et d’une grande poésie.
Qu’elles sont belles ces chansons !

La beauté sauvera le monde, de Barbara Castin, mis en scène par Pierre Boucard

 Théâtre des Corps Saints, Avignon

À son enfant qui ne dort pas, sa mère lui raconte le monde d’avant où il y avait des jardins, des paysages verdoyants sous des ciels étoilés. Elle se remémore des moments de sa vie où elle a été d’abord une grande scientifique se battant contre l’agro-industrie. Elle travaillait à l’époque sur les insectes pollinisateurs dont 70 % ont disparu alors qu’ils sont essentiels pour le vivant, puis sur les neo-corticoïdes, un poison permanent pour la terre. Son combat contre l’extinction de masse des espèces vivantes est en même temps une déclaration d’amour à la terre.
Sacrifiant son désir d’enfant, Barbara Castin a tout fait pour tenter d’alerter le monde : publications, prises de parole, manifs (elle est surnommée la passionaria des abeilles)
avant de comprendre que ce n’est pas la meilleure façon de s’y prendre pour faire changer les choses et qu’après tout, seule la beauté changera le monde. La beauté qui apaise, restaure l’harmonie, ouvre le cœur au désir de connaître.

Un texte très dense, implacable qui en même temps répond à tous les détracteurs cyniques.
Barbara Castin est solaire, vraie, intense, délivrant des moments poétiques suivis de critiques acerbes.
Du théâtre intelligent, qui réveille, fait réfléchir tout en étant du vrai théâtre.

Mardi à Monoprix

 BA Théâtre

Thierry de Pina évoque la relation émouvante d’une fille avec son père.
Après le décès de sa mère, tous les mardis, Marie-Pierre passe ranger la maison. Ils n’ont pas grand chose à se dire, mais évoquent des souvenirs, parlent de l’actualité. Ils vont ensuite à Monoprix faire les courses pour la semaine.
Une histoire banale et émouvante sauf que Marie-Pierre s’appelait Jean-Pierre à sa naissance. C’est maintenant une belle femme qui porte de grandes boucles d’oreilles, et attire le regard. Même si son père a du mal à comprendre et à l’accepter, on entend ses interrogations, son malaise.
Ce spectacle d’Emmanuel Darley pose des questions importantes sur le sentiment d’être un autre ou une autre, dans un corps où on ne se reconnaît pas, sur les discriminations subies, et sur le long chemin à faire pour trouver sa place dans la société. Le texte est sensible, direct, juste et l’interprétation de Thiery de Pina sobre et émouvante.
Une pièce à montrer dans les écoles

Metteur·se en scène : Collectif Ah le Zèbre !
Costume de Jean-Paul Gaultier

Jean Moulin, d’une Vie au Destin

 Au Palace

Commandée par le musée de la Libération de Paris, la vie de Jean Moulin est racontée en une heure à un rythme effréné par trois garçons et deux filles.
Dans une mise en scène dynamique, ils interprètent tous plusieurs rôles pour incarner les différentes personnalités qui ont croisé la vie du célèbre résistant.
La pièce de Mathieu Touzé pourrait être la vision d’une jeune génération décomplexée face à une icône historique.
Interprètes : T. Dutay, Léo Gardy, Manon Guilluy, Pauline Le Meur, Elie Montane

Être peintre - Tatiana Vialle - d’après des lettres de Nicolas de Staël

Une mise en scène originale pour ce spectacle qui parle de peinture, de création et de transmission artistique.
Le spectacle commence quand un enseignant en art (qui connaît bien son métier) s’adresse aux spectateurs comme à des étudiants. Un dialogue s’instaure alors avec une jeune étudiante un peu perdue.
Pour répondre à sa question : « qu’est-ce qu’être artiste  ? », il lui fait lire des lettres écrites par Nicolas de Staël.
La première réponse serait l’inévitable et indispensable nécessité intérieure : «  Toute ma vie, j’ai eu besoin de penser peinture, de voir des tableaux, de faire de la peinture pour m’aider à vivre, pour me libérer de mes impressions, de toutes les sensations, de toutes les inquiétudes auxquelles je n’ai trouvé d’autre issue que la peinture ».
La seconde pouvant être : «  Le vertige et le doute  », qui ne cessent l’interroger l’artiste.
Ces lettres donneront à l’étudiante son sujet d’étude qu’elle peinait à trouver : filmer son enseignant lisant des lettres de Nicolas de Staël où il évoque son art mais aussi sa vie intime.
Pendant leurs échanges, la calligraphe Juliette Baigné trace des traits et des mots sur de grandes feuilles qu’elle accroche sur le mur noir du fond de scène comme pour une mise en abîme des œuvres de Nicolas de Staël.

Mise en scène de Tatiana Vialle
Avec Telma Bello et Mathieu Touzé

Van Gogh Famandine

Théâtre de l’Atelier Florentin

Pour mettre en scène la lecture de quatre lettres de Van Gogh, Laurent Lafuma utilise un rituel funéraire malgache : la Famadine (où pour célébrer un ancêtre ses os sont déterrés, portés à travers le village, honorés par des libation et des cadeaux avant d’être réenterrées dans un linceul neuf).
Ces lettres choisies au milieu des quelques 800 lettres écrites par l’artiste montrent la profondeur de sa pensée, son approche de la couleur et les problèmes à résoudre pour représenter un paysage à partir d’une palette de couleurs.
La sensibilité et la diction du comédien nous fait pénétrer dans le monde de cet artiste qui a été en même temps un immense écrivain.
Miss en scène : Salomé Laloux-Bard

Elizabeth Costello. Sept leçons et cinq contes moraux - D’après l’œuvre de J.M. Coetzee

 Au Palais des papes

Inspiré par le personnage de romancière imaginé par le Prix Nobel de littérature 2003 J.M. Coetzee, Krzysztof Warlikowski explore les névroses des hommes, à la fois victimes et complices de systèmes corrompus.
Sur la scène de la cour du Palais des Papes, dans une mise en scène grandiose comprenant les personnages réels et la projection en direct à différentes tailles de leurs silhouettes ou de leurs visages, se jouent « sept leçons et cinq contes moraux ».
Victimes ou bourreaux, maîtres et esclaves, innocents et coupables, athées et croyants, débattent et se battent dans un monde où cynisme et pessimisme dominent.
«  Je suis juste quelqu’un qui, comme tout prisonnier enchaîné, a des intuitions de liberté et qui construit des représentations de gens laissant tomber ces chaînes et tournant leurs visages vers la lumière. »

Avec Mariusz Bonaszewski, Andrzej Chyra, Magdalena Cielecka, Ewa Dakowska, Bartosz Gelner, Magorzata Hajewska-Krzysztofik, Jadwiga Jankowska-Cielak, Maja Komorowska, Hiroaki Murakami, Maja Ostaszewska, Ewelina Pankowska, Jacek Poniedzia ?ek, Magdalena Popawska
Texte d’après Elizabeth Costello, L’Homme ralenti, L’Abattoir de verre de JM.Coetzee 
Mise en scène Krzysztof Warlikowski

Tous visuels ©DR

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