Emmanuel Demarcy-Mota a déjà monté « Six personnages en quête d’auteur », il y a 20 ans et n’a pas hésité à reprendre la même troupe, avec Hugues Quester et Alain Libolt en tête d’affiche.
Un décor sobre. Sur le plateau circulent machinistes et comédiens d’une pièce en cours de répétitions dirigées par le directeur du théâtre (Alain Libolt) qui règle une multitude de détails, quand soudain apparaissent, tels des fantômes blafards, les membres d’une famille.
Ces « personnages » semblent sortir d’un film en noir et blanc et surgir dans un film en couleurs.
Le décalage est flagrant.
Jamais la fusion ne pourra se faire.
Ce sont des personnages, abandonnés par leur auteur qui n’est pas allé à la fin de l’écriture de sa pièce, et ils errent en quête de quelqu’un qui la terminerait. Ils déboulent sur cette scène où des comédiens répètent une pièce visiblement pas dans le même style que la leur. Qu’est-ce que ces six personnages cherchent à faire croire ? Ces personnages cachent en eux un drame - fiction ou réalité ? – et ils demandent aux acteurs d’interpréter le drame qu’ils ont vécu, mais ceux-ci jouent trop justement et ils décident d’interpréter eux-mêmes leur propre drame. Ce drame qui accable leur famille créant entre eux un climat pesant, particulièrement pour la mère. Tout se terminera par des coups de feu. L’ado et la fillette meurent. Fiction ? Réalité ?
Personne ne détient LA vérité et tout devient confusion
Les acteurs ne peuvent être vrais puisque, au fond, cela ne l’est pas. C’est du théâtre, ce n’est donc qu’une imitation. Les personnages et les acteurs se querellent : réalité ? fiction ? drame réel ? véracité du jeu ? Comme le théâtre n’est qu’une illusion comment savoir ? « Pour du vrai ou pour du faux ? »
Le théâtre est un mystère étouffant, un double fragile, ambigu, qui gangrène tout avec une terrible avalanche de trompe-l’oeil ou bien un trouble discours sur l’illusion.
Le théâtre est un art trompeur qui fascine, une duperie dont chacun accepte d’être victime dans un public crédule de l’apparence et de l’illusion. Ainsi, il accepte d’être trompé.
Après tout, les personnages n’existent que dans le regard des spectateurs et chacun n’en fait que ce qu’il veut. Chaque situation reste abstraite et « à chacun sa vérité ». La réalité les conduit peu à peu vers le néant. Chacun cherche à être réinventé entre illusion et mensonge s’il devient un autre personnage. Après la liberté laissée à tout auteur et à son imagination, n’est-ce pas le principe même du théâtre ? C’est l’imaginaire qui conduit chaque personnage sur une scène de théâtre, à s’incarner dans un comédien.
Peut-être Pirandello cherchait-il comment échapper au tragique de la réalité. Il entraîne et embrouille le public dans un monde où les personnages ont, chacun, quelque chose à revendiquer. Il donne de malicieux jeux de miroirs et une déroutante spirale en trompe l’oeil qu’il traite comme un brouet maléfique et génial avec une virtuosité qui donne le vertige. Avec toutes les énigmes qu’il suggère, on sort l’esprit un peu embrouillé de cette pièce abstraite avec des scènes indémêlables, mais qu’importe !
La virtuosité de la mise en scène et du jeu des acteurs suffit à envoûter sans chercher à démêler vrai et faux, ou réalité et illusion
Chacune de leurs identités pose question dans cette dislocation de « personnages en quête d’auteur », tous bien incarnés par une distribution haut de gamme. Quand ils racontent leur drame, est-ce celui de la vie des comédiens ou de leurs rôles. L’authenticité n’est que dans leur interprétation nourrie d’illusions. Rendez-vous dans les profondeurs de l’inconscient pour une pièce complexe et cérébrale qui fait un mal monstre et un bien fou.
Lorsque le directeur ramasse ses affaires, il laisse l’impression d’avoir perdu sa journée de répétition. Ces six personnages n’étaient-ils qu’une illusion ? A la fin, ils ne sont plus là...
Caroline Boudet-Lefort