| Retour

Anthéa - Maman (de, avec et mise en scène de Samuel Benchetrit)

Vanessa Paradis est ovationnée dès le lever de rideau où, emmitouflée dans un manteau de fourrure, elle est seule en scène devant un magasin de vêtements pour femmes enceintes dont l’enseigne en néon, « Maman », illumine toute la rue. Elle tire le rideau de fer et attend un taxi.

Un jeune homme l’aborde, la prenant pour ce qu’elle n’est pas. La femme observe, sonde, interroge ce paumé (Simon Thomas) qu’elle voudrait prendre sous son aile, embarquant son mari Bernard (Samuel Benchetrit) dans un projet insolite.

Miné par l’usure du quotidien, un couple cherche comment réanimer la flamme éteinte malgré la tendresse routinière et des attentions faites de « petits riens ».

La pièce est incongrue, elle ne ressemble qu’à elle-même, avec un défi possible : passer de la dimension réaliste à une dimension imaginaire.

Et c’est émouvant pour les personnages, tout autant que pour les spectateurs.
Ce théâtre conjugal montre comment l’amour quotidien et l’amour idéalisé entrent en concurrence frontale. « Il y a parfois pas plus étrangers que les gens les plus proches de nous, ceux que nous aimons le plus... » dit Bernard à sa femme. Comment un être familier se change en énigme qui ne vous nomme même plus par votre prénom, sans mettre aucun mot à la place... Le train-train des habitudes qui pourrit tout !
Le comique verbal arrive souvent par l’art du décalage entre le mari imperméable à la lubie de sa femme. Il souhaiterait surtout que son couple aille mieux. «  Tu m’as manqué en étant là, à quelques centimètres de moi, c’était bien ça le pire ! » lui dit-il. Dans cette extrême intensité romanesque, il se dégage tendresse et poésie.
Passant d’une candeur égoïste à un entêtement hors norme, cette femme a été trahie par une épreuve qui la conforte dans cet entêtement. Aussi reste-t-elle hantée par ce jeune homme cabossé par la vie et dont elle voudrait devenir la mère. « On n’adopte pas un adulte !  » lui dit son mari. Mais, avec la plume poétique de Samuel Benchetrit, cela peut s’arranger.
Un quatrième personnage (Gabor Rassov) vient mettre son grain de sel de regard extérieur à cette famille qui lui semble pour le moins bizarrement unie.

L’intrigue se révèle plus dense que prévu avec des retournements inattendus tandis que cette « mère » gagne en épaisseur.

Le jeune homme auquel elle s’est attaché reste dubitatif sur leur rencontre « Je ne suis pas habitué à l’amour... J’ai un couteau pour la tendresse... »
En matière d’efficacité narrative, de performance collective des acteurs et de la tchatche, la pièce est très insolite. Entre fiction poétique et réalisme inventif, il se dégage tendresse et dérision. « Nous étions des parents sans enfant... des parents amateurs... mais des parents quand même... »
En femme fragile, Vanessa Paradis est fort émouvante. Elle sait parfaitement tendre ses bras à l’enfant qu’elle s’est choisie. Cette mère en puissance a vécu un drame qu’elle révélera pour éclairer son étrange comportement.

Avec la pièce « Maman », écrite, mise en scène et interprétée par Samuel Benchetrit - son mari également dans la « vraie vie » -, la chanteuse et comédienne monte sur les planches pour la première fois. La salle d’Anthéa était pleine à craquer pour ses débuts très attendus. Fragile et ardente, elle brille au milieu de ses partenaires masculins tous excellents.

Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une (DR ANTHEA FACEBOOK)

Artiste(s)